Novembre 2015
Paradoxes latino-américains / Entretien avec Alain Rouquié
La France, le mondeRIS 100 - Hiver 2015
Pascal Boniface – L’Amérique latine vous apparaît-elle comme un continent d’avenir dans un monde globalisé ?
Alain Rouquié – Il s’agit clairement d’un continent d’avenir, et je n’ajouterai pas « et qui le restera », car je crois que l’Amérique latine dans sa diversité est particulièrement adaptée à un monde globalisé. En effet, l’Amérique latine depuis son insertion dans l’économie mondiale a toujours vécu dans la globalisation. Elle a pris en quelque sorte son envol lors de la première mondialisation, à la fin du XIXe siècle, qui lui était très favorable. Le continent fournissait des matières premières et achetait des produits industriels, essentiellement à la Grande-Bretagne d’abord, puis aux États-Unis. Sur la base des « avantages comparatifs », ces échanges entre économies complémentaires semblaient équilibrés et donc satisfaisants.
Dans la mondialisation actuelle, qui est un peu la concurrence de tous contre tous, et avec une Amérique latine qui tente, depuis les années 1930, de s’industrialiser, de se développer, de rattraper son retard sur les pays riches, les choses sont plus compliquées. Ainsi, la prospérité que la région a connue entre 2003 et 2012 a été à double tranchant. Le « supercycle » des matières premières, tiré par la demande asiatique et chinoise en particulier, a permis à l’ensemble des pays sud-américains de connaître des taux de croissance exceptionnellement élevés. Sur la période, les échanges entre l’Amérique latine et la Chine ont été multipliés par dix. Je ne dirais pas que tous des pays d’Amérique latine ont profité de cette aubaine, car les pays du Nord du sous-continent davantage intégrés dans l’économie nord-américaine, notamment le Mexique, signataire de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), n’ont pas suivi le même chemin que l’Amérique du Sud. Mais comme on le voit, il y a donc un aspect clairement positif. Cela ne doit pas occulter les aspects négatifs. Tout d’abord, cette forte demande de matières premières, que ce soit des produits alimentaires ou des minerais, a accru un peu plus la dépendance des pays producteurs vis-à-vis du marché international, de sa volatilité et de sa fragilité conjoncturelle : la région n’est pas à l’abri d’un changement brutal des cours internationaux, et c’est ce qui fait qu’elle se retrouve dans la situation qu’elle traverse aujourd’hui. Trois des grands pays d’Amérique du Sud – Argentine, Venezuela et Brésil – font ainsi face à une forte récession.
Dans le même temps, les industries, créées depuis le début du XXe siècle, longtemps très protégées et faiblement compétitives, ont été concurrencées par les produits chinois, tant sur les marchés tiers que sur les marchés nationaux. La conséquence majeure a été une « re-primarisation » des exportations et des économies, qui a rendu difficile, au moment où la conjoncture s’est renversée, de s’appuyer sur une diversification économique pour retrouver un nouveau dynamisme.
En dépit des efforts des pays pour diversifier leurs marchés et pour s’industrialiser, perdure donc une tendance à vendre sur le marché mondial ce qui est produit « naturellement », et au moindre coût. On voit donc là un paradoxe latino-américain : l’abondance des ressources naturelles tend à freiner la croissance et le développement. Ces pays risquent, dans des conjonctures hautes comme celles que l’on a connues récemment, avec des prix des matières premières très élevés, et une demande extérieure forte, d’être prisonniers de leur richesse.
Pour autant, il ne faut pas noircir le tableau : les pays d’Amérique latine ont traversé des conjonctures bien plus mauvaises, durant lesquelles ils n’avaient pas les moyens de réagir. Aujourd’hui, ils disposent de structures financières assainies et de capacités de réaction réelles, notamment grâce à des réserves de change qu’ils n’avaient pas il y a quelques années. En outre, la démocratie s’est consolidée dans toute l’Amérique continentale, ce qui n’est pas un mince avantage.
Au final, il y a donc des éléments positifs dans ce qui a été entrepris ces dix dernières années. Mais la fragilité intrinsèque du modèle économique entraîne un certain nombre d’inconnues.
D’aucuns évoquent, à propos du renversement de conjoncture actuel, une possible « décennie perdue », comme dans les années 1980.
Alain Rouquié – Personnellement, je n’y crois pas. Aujourd’hui, aucun État n’a une dette extérieure importante, en dehors du Venezuela, ni un système bancaire défaillant. La prospérité du début du XXIe siècle n’a peut-être pas permis de changer le modèle économique, elle a au contraire renforcé un « modèle extractif » dans certains pays, mais elle a entraîné des investissements dans l’éducation et dans la réduction de la pauvreté. Des millions de Latino-Américains ont ainsi pu accéder à la « classe moyenne ». Mais, là aussi, le risque est grand : ces populations sont plus exigeantes et n’ont pas envie de retomber dans leur situation antérieure. Or, c’est justement ce qui est en train de se passer dans certains pays, avec les conséquences politiques que l’on peut imaginer.
L’émergence de cette classe moyenne se traduit-elle par une certaine montée en puissance des sociétés civiles dans les pays de la région ?
Alain Rouquié – Les pays du cône Sud ont toujours eu une classe moyenne importante. En Argentine et en Uruguay, par exemple, les couches moyennes ont même formé l’axe constitutif de la société, car ce sont des pays d’immigration, comme les États-Unis. C’est beaucoup moins le cas au Brésil, qui a connu l’esclavage jusqu’à la fin du XIXe siècle. Toutefois, il est vrai que, sur la période récente, l’expansion des classes moyennes a été tout à fait extraordinaire.
Mais il ne faudrait pas se leurrer sur ce que signifie classe moyenne dans ce contexte. En Europe, nous pensons à des classes moyennes de statut, donc relativement stables. En Amérique latine, la récente promotion des couches populaires défavorisées se fait par la consommation. Et notamment grâce au crédit, ce qui les rend très vulnérables. Tout cela a été rendu possible par l’effet d’une conjoncture porteuse, créatrice d’emplois et d’aides publiques. Il faut noter, cependant, que le secteur informel reste énorme. Les travailleurs indépendants, les petites entreprises non enregistrées qui n’ont aucune couverture sociale représentent entre 20 et 45 % de l’activité économique suivant les pays. Un renversement de la situation économique peut donc renvoyer ces nouveaux consommateurs à leur situation antérieure. C’est l’un des grands risques de la période actuelle.
Cette montée des classes moyennes a-t-elle une réelle incidence sur l’exigence civique des populations ?
Alain Rouquié – C’est un fait, mais ce à quoi nous avons assisté pendant la période faste avait commencé bien avant. La progression en matière d’éducation, investissement d’avenir, est forte. Les progrès sont réels et visibles. Aujourd’hui, certains pays latino-américains dépensent autant pour l’éducation que des États européens. Des experts de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignent que, sur les tests de connaissances que l’on dispense aux écoliers de 15 ans dans le monde entier, les résultats ont progressé dans presque tous les pays d’Amérique latine. L’accès à l’enseignement supérieur s’est également développé.
Ces progrès éducatifs et culturels font que les citoyens sont effectivement plus exigeants. Ils veulent de la transparence et une lutte active contre la corruption. C’est l’un des éléments essentiels de la politique latino-américaine actuelle, qui n’existait pas il y a encore dix ou quinze ans. À l’époque, la corruption était culturellement acceptée ; aujourd’hui, elle est devenue intolérable, comme le montrent l’appui à l’indépendance du judiciaire et le recul de l’impunité au Guatemala ou au Brésil.
D’un point de vue stratégique, pensez-vous que l’Amérique latine soit un pôle en tant que tel ? Ou est-ce davantage un espace fragmenté qui ne peut peser du fait de ses divisions ?
Alain Rouquié – L’Amérique latine est fragmentée et n’a cessé de rêver d’unité. Tous ses efforts diplomatiques tendent vers cette unité continentale, même s’ils se résument souvent à multiplier les regroupements et les institutions sans aller beaucoup plus loin. Par exemple, en matière économique, on ne peut pas dire qu’il y ait aujourd’hui un grand dynamisme des processus d’intégration : le Marché commun du Sud (Mercosur), qui représente cinq États dont deux grands, l’Argentine et le Brésil, est en panne, la Communauté andine (CAN) n’existe guère malgré ses institutions. Il n’y a que l’intégration centre-américaine, dont on parle peu, qui va de l’avant.
Reste l’intégration politique. Il y a eu d’abord, en 2008, l’Union des nations sud-américaines (Unasur), qui a rapproché le Mercosur de la CAN. C’était une grande idée brésilienne pour fédérer autour de Brasilia toute l’Amérique du Sud en cercles concentriques. Toutefois, il n’y a pas vraiment eu de résultats concrets. Il existe un secrétariat à Quito, une commission de Défense, un grand projet d’infrastructures régionales, mais cela reste modeste sinon relativement virtuel.
Ensuite a été fondée la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac), qui inclue tous les pays du sous-continent, y compris les Caraïbes. Ainsi le Mexique rejoignait les grands pays d’Amérique du Sud et Cuba reprenait sa place dans le concert latino-américain. En cela, c’est une réussite.
Il est vrai, cependant, qu’un certain nombre de pays divergent les uns des autres. Ainsi, les États de l’Alliance bolivarienne (ALBA) fondée par le Venezuela et Cuba diffèrent dans leur approche des relations internationales, de l’économie, mais aussi du politique et du social de ceux de l’Alliance du Pacifique, qui regroupe le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili.
À partir de ce constat, il est néanmoins difficile de dire que l’Amérique latine ne pèse pas. Certes, d’un point de vue économique, son produit intérieur brut (PIB) représente moins de 10 % du PIB mondial. Mais au-delà de cette valeur brute du PIB, la région est riche en ressources naturelles et exporte en effet des matières premières valorisées, qui lui permettent de jouer un réel rôle économique. Sa participation au commerce mondial n’est donc pas négligeable. En outre, elle a un poids politique propre et pas seulement en nombre de votes aux Nations unies. Elle présente, à la différence d’autres continents, une grande homogénéité culturelle et linguistique – le portugais et le castillan sont si proches – et n’a pas à affronter de déchirements ethniques et religieux. Son rayonnement va donc bien au-delà de son poids économique.
L’Amérique latine dispose également d’un certain soft power.
Alain Rouquié – En effet, l’attractivité, l’image, l’influence de l’Amérique latine comptent également. Je ne parle pas simplement de littérature ou de musique, de football, de cinéma ou d’arts plastiques. L’Amérique latine est avant tout une grande zone de paix, un continent dénucléarisé depuis le traité de Tlatelolco [1]. Si l’on prend les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), le Brésil, géant désarmé, est le seul membre du groupe à avoir renoncé à l’arme atomique.
Enfin, l’Amérique latine dispose aujourd’hui d’un acteur de premier plan, qui est en train de modifier un peu le fonctionnement de la diplomatie mondiale : le pape argentin François. Le Vatican a ainsi joué un rôle de premier plan dans le dégel des relations entre les États-Unis et Cuba. Et il continuera à être actif sous ce pontificat à l’égard de tous les problèmes mondiaux auxquels l’Amérique latine est confrontée. En effet, si l’Église ne fait pas partie de l’Amérique latine, l’Amérique latine constitue une forte partie de l’Église.
Que faut-il penser de l’affrontement Mexique-Brésil pour le leadership du continent ? Est-ce une vue de l’esprit ? Est-ce encore autre chose ?
Alain Rouquié – Il n’y a pas ou il n’y a plus d’affrontement. Le Mexique n’a plus de prétention au leadership régional. Il en a eu autrefois, quand son régime était fermé, autoritaire et nationaliste. Il avait besoin de cette dimension pour se légitimer. Cela faisait partie d’une politique défensive vis-à-vis des États-Unis, dans la continuité de la révolution mexicaine. Tout cela a été abandonné entre 1982 et 2000, notamment avec la signature de l’Alena en 1993. Le Mexique a en quelque sorte basculé vers les États-Unis après avoir reconnu que pour son développement, l’intégration commerciale et économique dans l’Amérique du Nord s’imposait. C’est sa position actuelle, mais cela ne veut pas dire que le pays soit totalement aligné. Il n’a plus aujourd’hui d’ambition régionale, et il a même reconnu implicitement la prééminence du Brésil à partir du moment où le PIB brésilien a été le double du sien. L’équilibre n’est plus possible, l’intégration dans l’Amérique du Nord lui laisse moins de marge de manœuvre, et il n’est plus guère actif que dans sa propre zone d’influence : les Caraïbes et l’Amérique centrale.
La récession et les difficultés politiques brésiliennes pourraient conduire à des changements si Enrique Peña Nieto ne faisait face, lui aussi, à quelques difficultés intérieures. Je ne vois donc pas le Mexique se lancer dans une rivalité avec le Brésil, huitième économie mondiale. Quant à ce dernier, l’époque n’est plus celle de Luiz Inácio Lula da Silva, qui souhaitait faire du pays un acteur mondial et lui avait donné une présence internationale sans précédent. Aujourd’hui, les difficultés économiques et surtout politiques que connaît Dilma Rousseff rendent la politique extérieure du Brésil bien plus discrète.
Je crois donc que le Brésil et le Mexique traversent tous deux une période de profil bas, après des moments de grandes ambitions. Ce n’est pas aujourd’hui que l’on peut voir renaître de grandes aspirations, ni chez l’un, ni chez l’autre.
Le récent sommet de Panama a-t-il enterré la doctrine Monroe ?
Alain Rouquié – Lorsqu’un vice-président américain affirme que la doctrine Monroe est morte, on peut légitimement penser qu’il ne dit pas cela à la légère. Il est vrai que 1823, c’est loin ! Mais ce n’est pas ce qui me semble important. Ce qui compte, c’est ce qui se passe aujourd’hui en Amérique : la région est en train de tourner la page de la guerre froide avec un quart de siècle de retard.
En effet, l’Amérique vivait encore à l’heure d’un affrontement planétaire depuis longtemps terminé. L’absence de relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, alors que Washington entretient des relations très denses avec la Chine et le Viêtnam, faisait figure d’anachronisme. Il y a donc un dégel, même si la normalisation prendra du temps et si l’embargo n’est pas encore levé. Mais il n’y a plus de volonté états-unienne d’en finir avec le régime castriste. En cinquante-quatre ans et sous 11 présidents américains, toutes les tentatives pour éliminer le régime de La Havane ont échoué. Barack Obama a tiré les leçons de cet échec. Parallèlement, il faut retenir l’aboutissement en vue des négociations de paix entre le gouvernement de Bogota et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Cette guerre civile était aussi un reliquat de la guerre froide.
Pourquoi ce changement d’attitude à Washington ? Parce que les États-Unis, un peu inquiets sans doute de l’activisme chinois dans la région, entendaient se réconcilier, à peu de frais, avec l’Amérique latine. Et alors que les États bolivariens et quelques autres ont un discours très anti-américain, Cuba leur coupe l’herbe sous le pied. Au moment où La Havane normalise ses rapports avec Washington, l’anti-impérialisme perd une partie de ses capacités mobilisatrices.
La France et l’Europe conservent-elles, selon vous, une bonne image dans la région ? Y sont-elles suffisamment présentes ?
Alain Rouquié – Malgré ses efforts et les sommets présidentiels successifs, UE-Celac aujourd’hui, l’Europe a perdu du poids. La crise économique n’est pas étrangère à ce recul. Seuls deux pays semblent compter maintenant en Amérique latine : la Chine et les États-Unis. Ces derniers ne s’intéressent plus beaucoup à leurs voisins du Sud, ils ont simplement calmé le jeu en changeant de politique à l’égard de Cuba. Le « pivot » asiatique est leur priorité comme le montre, entre autres, le traité de partenariat du Pacifique (TPP) récemment conclu. Mais la Chine, elle, est de plus en plus présente. Elle est le premier client du Brésil, de l’Argentine, du Pérou et le deuxième marché de tous les autres pays latino-américains. Elle est aussi leur premier fournisseur de produits manufacturés.
L’Europe, néanmoins, reste loin devant la Chine pour les investissements et la coopération. Elle a une image plus attirante que celle de l’empire du Milieu. Par ailleurs, l’Europe n’est pas et n’a jamais été un rival ou une alternative aux États-Unis dans cette région.
Concernant la France, sa présence économique est forte dans certains pays, faible dans d’autres, mais change peu. Nous avons une bonne image, une présence culturelle très étoffée – les Alliances françaises, les centres culturels français, des instituts de recherche, des lycées et des écoles –, une présence diplomatique dense – deuxième réseau après les États-Unis –, cependant depuis un demi-siècle, disons depuis 1964 quand Charles de Gaulle a inscrit l’Amérique latine sur la carte de la politique extérieure de notre pays, on attend une avancée de notre commerce et de nos entreprises dans cette région.
Néanmoins, il faut reconnaître que dans le domaine politique, la France est aujourd’hui plus active. Je dirais même que François Hollande apparaît comme le véritable héritier de C. de Gaulle en ce qui concerne le continent latin. Des dizaines de voyages dans les deux sens, de multiples échanges de visites de haut niveau en attestent. On n’avait jamais vu une telle intensité du dialogue politique entre la France et l’Amérique latine.
Cela va-t-il avoir des conséquences économiques et développer un nouveau type de relations ?
Alain Rouquié – La situation actuelle des économies latino-américaines n’est pas très attractive et ne pousse pas les entreprises à être particulièrement pugnaces dans ces pays. Ceci étant, on ne peut pas reprocher au gouvernement français de ne pas avoir fait le nécessaire pour créer un environnement propice. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, la réconciliation avec le Mexique, en 2012, a permis le redémarrage d’un certain nombre de projets qui existaient, mais qui étaient un peu hésitants. Évidemment, on ne peut modifier radicalement les choses en l’espace de cinq ans, mais il faut bien reconnaître que la France est plus présente qu’elle ne l’a jamais été. Et ce changement est très apprécié des Latino-Américains, des gouvernants comme des opinions publiques.
Quel bilan tirez-vous de l’action de la vague de gouvernements dits « progressistes » ?
Alain Rouquié – Il faudrait d’abord s’entendre sur les mots. Si l’on entend par « progressistes » les régimes que j’appelle « refondateurs », qui se veulent révolutionnaires et se réclament à la fois de Bolivar et du « socialisme du XXIe siècle », on se trouve face à des situations très différentes selon les pays. Par exemple, l’Équateur, avant l’arrivée à la présidence de Rafael Correa fin 2006, souffrait d’une extrême instabilité. Depuis lors, le pays, stabilisé, peut envisager des projets à moyen et long termes, ce qui est déjà très positif.
Plus globalement, ces gouvernements « bolivariens » ont tous mené des politiques sociales très inclusives, que ce soit au Venezuela, en Équateur ou en Bolivie. Mais celles-ci s’appuyaient sur les prix élevés des matières premières, en particulier du pétrole. Or quand le baril de pétrole perd 50 % de sa valeur, il devient difficile d’assurer des programmes sociaux ambitieux. Ces pays n’ont donc plus aujourd’hui le dynamisme qu’ils ont connu précédemment. Que va-t-il alors se passer dans les pays où la crise économique s’ajoutait à la crise politique, avant même la chute des cours, comme au Venezuela ?
Au final, le bilan est très contrasté. Ainsi, l’Équateur et la Bolivie ont des gestions économiques rigoureuses. La Bolivie a, en 2015, la plus forte croissance d’Amérique du Sud. Le Venezuela, en forte récession, est numéro un pour l’inflation dans le monde. Il convient de signaler que la Bolivie, quant à elle, a effectué une véritable révolution, ou du moins un changement de portée historique. Elle est devenue sous la présidence d’Evo Morales une république « multiculturelle et multiethnique ». À partir de 2005, la majorité de la population accède aux responsabilités publiques. La composition ethnique des élites gouvernantes a été profondément modifiée.
Dans le domaine politique, Hugo Chavez, disparu en 2013, avait modifié sa Constitution pour permettre la réélection indéfinie du président. L’Équateur, la Bolivie et le Nicaragua, autre État bolivarien, semblent vouloir s’inspirer de ce précédent pour rendre irréversible la « révolution » qu’ils mettent en œuvre. Faut-il placer parmi les pays dits « progressistes » le Brésil du Parti des travailleurs ou le Chili de la socialiste Michelle Bachelet, qui n’ont pas changé de constitution et où l’alternance au pouvoir est scrupuleusement respectée ?
- [1] NDLR : Signé en 1967, le traité de Tlatelolco crée une zone exempte d’armes nucléaires en Amérique latine. Il a été signé et ratifié par l’ensemble des pays de la région, et est entré en vigueur dès 1968.