Novembre 2017
L’atlantisme est-il un anachronisme ? Le nécessaire débat sur l’avenir de la politique étrangère de la France / Par Barthélemy Courmont
À qui profite le commerce ? L’impact du libre-échange sur les relations internationalesRIS 108 - Hiver 2017
« Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ». Les mots sont délibérément forts, et suggèrent une rupture avec les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande en matière de politique étrangère : en accordant un entretien à huit quotidiens européens (Le Figaro, Le Soir, Le Temps, The Guardian, Corriere della Sera, El Pais, Süddeutsche Zeitung et Gazeta Wyborcza) à la veille de son premier sommet européen à Bruxelles, les 22 et 23 juin 2017, Emmanuel Macron a détaillé les contours de la politique étrangère de la France sous son quinquennat. Avec au passage une critique à peine voilée des choix de ses prédécesseurs – comme le retour dans le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 2009 et la participation à l’opération militaire en Libye en 2011 – et des réseaux d’influence qui, sous les présidences Sarkozy et Hollande, ont impulsé une politique étrangère alignée sur Washington, ces « néoconservateurs » pointés du doigt par le nouveau président de la République.
Au-delà de la critique d’un mouvement qui s’est rendu célèbre aux États-Unis au début des années 2000 en impulsant la guerre en Irak, avant de trouver paradoxalement des relais dans les pays européens, et notamment en France, l’intervention d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de ses positions en matière de politique étrangère depuis son entrée en fonction et invite à réfléchir à ce que représente aujourd’hui l’atlantisme. Non pas parce que le néoconservatisme est l’expression de l’atlantisme, mais parce qu’il est le meilleur révélateur des malaises d’un attachement à des « valeurs transatlantiques » qui ne semblent plus en phase avec les enjeux politico-sécuritaires actuels, et se montrent par ailleurs dans l’incapacité d’y apporter des réponses concrètes et acceptables.
Dès lors, l’atlantisme est-il un anachronisme ? Cette question nécessite un débat de fond, débarrassé de postures idéologiques et de déterminismes, dans lequel doivent être intégrés des éléments factuels qui traduisent un contexte particulier, mais aussi des réflexions sur la place de la France auprès de ses alliés traditionnels, et de manière élargie dans le concert des nations. Une question qui ne consisterait pas à opposer les partisans de l’atlantisme et ceux qui souhaitent en sortir, mais à interpeller sur les résultats et la pertinence, ou non, d’un changement de posture. Et pour que cette question ne soit pas, tel un serpent de mer, prétexte à l’immobilisme et à des discussions privilégiant l’entre-soi, elle doit mobiliser de multiples acteurs stratégiques, et être notamment ouverte aux think tanks et au monde universitaire.
Un contexte favorable
S’il exprime traditionnellement une volonté d’afficher des valeurs et des intérêts communs aux pays de l’Atlantique Nord, l’atlantisme se résume souvent à un alignement des positions européennes sur Washington, la faute à une relation totalement asymétrique entre les États-Unis et les autres. La France s’est illustrée à plusieurs reprises pour exprimer sa singularité, avec force sous la présidence du général de Gaulle, à l’occasion de la crise des euromissiles, et plus récemment lors de l’intervention militaire en Irak en 2003, épisode sur lequel Emmanuel Macron a d’ailleurs indiqué, comme pour prendre un peu plus ses distances avec les néoconservateurs, que « la France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison » [1].
Depuis plusieurs années, cette singularité française a cependant laissé place à un plus grand alignement sur les États-Unis, notamment sous la présidence de Barack Obama (2009-2017), dont la popularité en Europe occidentale n’a pas faibli tout au long de ses deux mandats. L’élection de Donald Trump et les décisions importantes qu’il a engagées depuis son entrée en fonction – en particulier le retrait de l’accord de Paris de lutte contre le changement climatique – ont de manière indiscutable terni, ne serait-ce que provisoirement, l’image des États-Unis en France. Il est d’ailleurs notable que la même tendance soit relevée dans de nombreux autres pays, quelle que soit la relation qu’ils entretiennent historiquement avec Washington, au point que selon une enquête du Pew Research Center menée en juin 2017, à l’exception de certains pays en développement, seuls deux pays manifestent une opinion majoritairement positive du président américain : la Russie et Israël [2]. Cette perte d’influence des États-Unis, relative mais réelle, a inévitablement un impact sur la relation transatlantique, d’autant que les positions de l’administration Trump ne font qu’accentuer le sentiment d’incompréhension des alliés européens, mais aussi du Canada. Et si la visite de Donald Trump à Paris à l’occasion des célébrations du 14 juillet 2017 et de la commémoration du centenaire de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale fut riche en symboles et permit aux deux dirigeants de réaffirmer le lien fort entre Paris et Washington, elle n’a pas rassuré sur les hésitations américaines.
Le vote en faveur du « Brexit » fut évidemment l’autre événement de l’année 2016 dont l’impact sur la relation transatlantique est particulièrement fort. Parce que le Royaume-Uni reste l’allié le plus proche de Washington en Europe, parce que les initiatives de relance de la construction européenne reposent désormais sur le couple franco-allemand, et parce que la France reste, parmi les États membres de l’Union européenne (UE), celui dont la voix est la plus susceptible de porter à l’international. Devant ce nouveau paradigme, le maintien d’une posture atlantiste consisterait à donner du crédit aux choix électoraux récents de Washington et Londres, tandis que s’en démarquer permettrait non seulement de renforcer la singularité française, mais aussi de gagner considérablement en influence. S’il y a ainsi lieu de porter un regard inquiet sur les conséquences du « Brexit » et de l’élection de Donald Trump, il y aussi, dans ce contexte particulier, des opportunités à saisir.
La montée en puissance des pays dits émergents et leur poids grandissant sur les questions économiques, mais aussi politico-stratégiques, sont un autre élément impliquant de repenser l’atlantisme. Nier l’émergence d’une nouvelle multipolarité, en se réfugiant derrière des mécanismes atlantistes, revient en effet à se mettre en marge des développements géopolitiques contemporains et à prendre le risque de « sortir » de l’Histoire. Si la pertinence d’un lien fort avec les voisins et alliés transatlantiques reste entière pour la France, elle ne doit pas occulter, et encore moins diminuer, les possibilités de se tourner vers d’autres partenaires pour apporter des réponses aux défis de notre époque. La demande est grande, et la France a la possibilité de jouer un rôle plus important face à ces défis.
À ces considérations géopolitiques vient s’ajouter une réalité politique française : l’atlantisme n’est ni de droite ni de gauche. Un argument cher au président de la République, et qui correspond à la recomposition profonde du paysage politique français. D’ailleurs, la posture généralement opposée à l’atlantisme, qualifiée de gaullo-mitterrandienne, fait explicitement référence à deux anciens chefs d’État, l’un de droite, l’autre de gauche. Après avoir longtemps été flou sur ses intentions en matière de politique étrangère, Emmanuel Macron a progressivement revendiqué son attachement à cet héritage gaullo-mitterrandien, notamment à l’occasion du débat télévisé l’opposant à Marine Le Pen entre les deux tours de l’élection présidentielle. Le président de la République a sans doute pris la mesure du contexte particulier, qui impose plus que jamais un effort de redéfinition de l’intérêt national français et de la meilleure manière d’en assurer la promotion.
La relance du projet européen en ligne de mire
Désireux d’être l’un des principaux artisans de la relance du projet européen, le président de la République s’est évertué à mentionner lors de son entretien les différences entre Européens et Américains, expliquant notamment que « les États-Unis d’Amérique aiment autant que nous la liberté. Mais ils n’ont pas notre goût pour la justice ». Par ces mots qui ne sont pas choisis au hasard, Emmanuel Macron rappelle les différences fondamentales entre ce qui est parfois décrit comme le « wilsonisme botté » des États-Unis et la vision normative de l’Union européenne. Des différences que de nombreux intellectuels pointent du doigt depuis une vingtaine d’années, y compris dans les milieux conservateurs américains, l’ouvrage controversé de Robert Kagan, La puissance et la faiblesse [3], en étant la meilleure illustration. Opposition de deux modèles, « dérive des continents » [4] : les qualificatifs ne manquent pas pour faire mention des écarts supposément grandissants entre les alliés de l’Atlantique Nord dans un contexte post-guerre froide. Et ils ne sont pas toujours exagérés.
Dès 2002, en effet, le général allemand Klaus Naumann, président du Comité militaire de l’OTAN entre février 1996 et mai 1999, estimait que « les Alliés européens considèrent l’OTAN comme une organisation de défense collective et de gestion des crises, alors que les États-Unis, membre indispensable et le plus puissant de l’Alliance, ne voient plus dans celle-ci l’instrument militaire de prédilection à utiliser en cas de conflit ou de guerre. Ils considèrent plutôt l’OTAN comme un instrument politique utile et un dispositif de sécurité collective pour stabiliser l’Europe et réaliser la vision qui, à l’origine, a conduit à la fondation de l’OTAN en 1949, à savoir une Europe “entière et libre” » [5]. Certes, les divisions profondes entre « vieille » et « nouvelle » Europe – pour reprendre les propos de Donald Rumsfeld, alors secrétaire américain à la Défense – en marge de la guerre en Irak ont imposé un nouveau regard sur la construction européenne en matière de sécurité et de défense. Mais les fondamentaux évoqués par le général Naumann n’en demeurent pas moins pertinents, et toujours d’actualité. Parce que les questions pertinentes soulevées en 2002, et qui ne faisaient alors que relayer des débats de fond, n’ont pas encore trouvé de réponse.
Lors d’un discours devant le Parlement hongrois le 24 février 2004, en pleine crise opposant la « vieille » et la « nouvelle » Europe, Jacques Chirac s’était lui aussi exprimé sur le sujet, considérant que « pour que notre Alliance soit toujours forte et solide, pour qu’elle soit respectueuse des positions de ses membres, encore faut-il que l’Europe acquière une véritable réalité militaire. Œuvrer à l’Europe de la défense, c’est contribuer à la vitalité du lien transatlantique. C’est préserver notre avenir commun. Une Europe plus forte, c’est une Alliance plus forte ». Si certains éléments énoncés par l’ancien président de la République française sont, là encore, toujours d’actualité, d’autres paramètres sont désormais à considérer : le contexte géopolitique très différent, comme précédemment mentionné, mais aussi les déséquilibres patents entre les États membres, et notamment les alliés européens. Aussi est-il indispensable de dialoguer avec les partenaires européens afin de prendre en considération leur vision de la construction européenne, leurs espoirs, tout autant que leurs réserves. Toute tentative unilatérale ou même bilatérale – si Berlin y est associée – sera, à l’inverse, confrontée au risque de nouvelles dissonances. Le vaste chantier de la défense française, illustré par la malheureuse polémique entre le chef de l’État et le chef d’état-major des armées démissionnaire, le général Pierre de Villiers, doit ainsi s’inscrire dans une réflexion impliquant les partenaires européens et ne pas se limiter à des querelles franco-françaises.
Cette relance du projet européen, chère au président de la République et qu’il a exprimée à l’occasion de plusieurs interventions publiques et de visites officielles dans de nombreux pays de l’UE dans les semaines qui suivirent son élection, passe également par trois impératifs : réfléchir à la place de la France au sein de l’OTAN, et par extension à l’avenir de cette alliance ; élargir les partenariats aux puissances émergentes sur des points de convergence qu’il convient d’identifier ; et intégrer davantage les travaux des think tanks dans les réflexions sur les orientations de la politique étrangère de la France et de l’Union européenne.
Repenser la place de la France dans l’OTAN
L’atlantisme ne saurait se résumer à l’OTAN, et vice-versa. Pour autant, l’Alliance atlantique en fut le bras armé ainsi que la principale structure politico-militaire, permettant d’assurer une sécurité collective au nom de principes et d’intérêts en commun. Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette sécurité collective, tandis que l’appréciation des risques et des menaces, tout autant que les moyens devant être mobilisés pour y répondre, n’est plus nécessairement commune au sein des États membres de l’OTAN ?
Si Emmanuel Macron a réaffirmé son attachement à l’OTAN au cours de sa campagne électorale, plusieurs candidats ont manifesté le désir de sortir du commandement intégré, voire même de l’Alliance – Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen en tête –, tandis que d’autres, comme François Fillon, restèrent plus discrets sur une question potentiellement clivante au sein de leurs électorats, et qui continue de faire débat. Le quinquennat qui s’ouvre devra y apporter des réponses, et sans doute tirer profit de la majorité parlementaire dont le chef de l’exécutif dispose.
Le fait est qu’en dépit des innombrables promesses d’évolution de l’Alliance depuis la fin de la guerre froide, celle-ci reste perpétuellement engluée dans des logiques de bipolarité que les relations complexes entre Moscou et les États membres frontaliers de la Russie n’ont fait que renforcer. À cette situation est venue s’ajouter la position ambivalente de Donald Trump, dont les déclarations contradictoires sèment le doute quant à l’engagement de Washington dans l’Alliance et aux perspectives d’évolution de celle-ci. Le président américain a ainsi alterné entre des critiques acerbes adressées aux alliés européens sur la question du partage du fardeau et des propos dithyrambiques à l’égard de l’OTAN, avant de se plaindre des obligations contenues dans l’article 5 du traité signé en 1949, dont il convient de rappeler qu’il précise « qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». Certes, ce n’est pas la première fois depuis la fin de la guerre froide que cet article pose problème, mais les relations tendues entre Moscou et certains États membres de l’UE n’ont pas pour effet d’apaiser les craintes liées à ces obligations. Dans un discours à Varsovie, le 6 juillet 2017, le président américain a répété son attachement à l’article 5, au risque de paraître schizophrène. D’autant qu’en parallèle de ces hésitations de la Maison-Blanche devant ce qui constitue la pierre angulaire de l’OTAN, celle-ci s’est élargie en accueillant le Monténégro – pays de 600 000 habitants dont il convient de questionner la participation aux forces de l’Alliance. En outre, le très influent sénateur républicain John McCain a effectué en mars 2017 une tournée dans les Balkans durant laquelle il a martelé la « nécessité d’un leadership américain pour contrer l’influence russe », faisant au passage la promotion de l’élargissement de l’Alliance [6]. La France est-elle disposée à suivre aveuglément cet aventurisme, par ailleurs très mal coordonné en interne, de Washington à l’égard de la Russie et de cette « influence russe » si sévèrement condamnée ? En se montrant très réservé sur la pertinence et les objectifs de l’élargissement de l’OTAN, Emmanuel Macron apporte des éléments de réponse, mais ceux-ci restent encore largement à élaborer.
Enfin, « la France sera fidèle à toutes ses alliances », a déclaré le président de la République lors de son discours au Congrès, à Versailles, le 3 juillet 2017, comme pour couper court à toute velléité de sortie de l’OTAN ou de son commandement intégré. Mais il a également mentionné que « les alliances d’hier s’effritent », comme pour mieux inviter à leur rénovation, condition essentielle de leur renforcement. C’est sur le terrain de cette rénovation, difficile mais sans doute indispensable, qu’Emmanuel Macron se positionne. Celle-ci doit cependant être analysée, débattue et proposée en cohérence avec un engagement de la France dans l’Alliance atlantique et une volonté d’indépendance stratégique que le chef de l’État a énoncés en parallèle.
Élargir le dialogue et les partenariats avec les émergents
Évoquant sa rencontre à Versailles avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a rappelé à plusieurs reprises dans son entretien de juin 2017 la nécessité de travailler avec la Russie sur le dossier syrien, et ainsi de relancer un dialogue resté quasi absent sous le quinquennat de François Hollande. Indispensable, cette relation avec Moscou doit s’accompagner d’un échange plus étroit avec les puissances émergentes. La Chine, l’Inde, le Brésil, mais aussi des acteurs régionaux incontournables avec lesquels les conditions d’un partenariat accru sont déjà sur la table : l’Égypte, l’Australie, le Japon, l’Indonésie, pour n’en citer que quelques-uns, dans des zones aujourd’hui identifiées comme à risques. L’affirmation de l’indépendance stratégique de la France doit ainsi s’accompagner de la promotion d’une multipolarité qui ne se limite pas à des déclarations d’intentions, mais à des actions concrètes et des convergences d’intérêts sur des dossiers précis.
Tandis qu’il était encore candidat, Emmanuel Macron avait évoqué, dans son discours sur la défense du 18 mars 2017, la question de la force de dissuasion nucléaire, expliquant que « plusieurs puissances développent aujourd’hui leurs forces nucléaires, certaines d’entre elles n’hésitent pas à les manier à des fins de démonstration et d’intimidation. Dans ce contexte, j’entends maintenir nos capacités de dissuasion sur le long terme ». Cette volonté passe par un engagement prononcé en faveur d’augmentations budgétaires à hauteur des ambitions fixées par l’Élysée, mais aussi par un plus grand effort de communication avec les autres puissances militaires mondiales. Dans ce contexte, si l’atlantisme n’est que la reproduction d’un occidentalisme totalement anachronique, et s’il est prétexte à l’immobilisme et au risque de passer à côté des grandes transformations géopolitiques de notre temps, alors il doit être effectivement considéré comme dépassé.
En plus d’apporter un message clair quant à la volonté de la France de jouer un rôle accru dans les affaires internationales, un plus grand partenariat avec les puissances émergentes aurait également pour enjeu de diversifier l’« offre » française sur la scène internationale. Puissance militaire, certes confrontée à des défis mais malgré tout reconnue mondialement, la France a de multiples autres atouts à faire valoir, en mettant en avant à la fois ses spécificités diplomatiques, sociales et culturelles, mais aussi la vision normative de l’Union européenne, à laquelle elle est profondément attachée. S’ajoute à cela une image qui dépasse très largement le cercle des pays occidentaux et qui est d’ailleurs portée cette année au premier rang des soft powers [7], position symbolique mais qui reflète les déboires que rencontrent actuellement des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, et à l’inverse les opportunités dont dispose Paris. À l’heure où la notion de puissance ne repose plus exclusivement sur l’outil militaire ou la puissance économique, mais met en relief la capacité d’influence, et tandis qu’elle s’écrit dans une dynamique internationale et non plus régionale, la politique internationale de la France doit plus que jamais s’appuyer sur un entre-deux politique et idéologique « ni réalisme pur, ni moralisme absolu », cher à Raymond Aron.
Placer les think tanks au centre de la réflexion
Reste le cadre à l’intérieur duquel ces débats doivent s’organiser. Dans un article intitulé « La France doit quitter l’OTAN » publié dans Le Monde diplomatique en mars 2013 en commentaire des conclusions du rapport Védrine qui préconisaient de rester attaché à l’Alliance atlantique, Régis Debray avait, au-delà de son positionnement favorable à une sortie de l’organisation, déjà lancé un appel fort : « Pour montrer exigence, vigilance et influence, il faut des moyens financiers et des think tanks compétitifs. Il faut surtout des esprits originaux, avec d’autres sources d’inspiration et lieux de rencontre que le Center for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington ou l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres ». Quatre ans plus tard, force est constater que cet appel ne fut pas suivi d’effet, et la question de savoir où se produit la réflexion stratégique française est toujours au même point. Si les think tanks français sont loués à l’étranger pour la qualité de leurs travaux, leur reconnaissance par les institutions françaises fait encore parfois défaut, et leurs moyens restent très modestes en comparaison avec leurs homologues anglo-saxons. Si la recherche dans les sciences appliquées doit être encouragée, les expertises non gouvernementales sur les relations internationales ne sauraient être négligées. Mieux, c’est justement en plaçant les think tanks au centre de la réflexion sur des questions aussi importantes que l’attachement – ou non – de la France à l’atlantisme que les pouvoirs publics seront le mieux à même d’appréhender de manière dépassionnée et indépendante, en le confiant aux experts, un débat stratégique aussi majeur. Les appels à une plus grande participation des think tanks aux débats stratégiques ne manquent pas et sont relayés de concert par les différents instituts. Ils doivent être entendus, autant que les conditions favorisant une plus grande coopération entre les centres de recherche européens.
- [1] Isabelle Lasserre, « Emmanuel Macron : “l’Europe n’est pas un supermarché” », Le Figaro, 21 juin 2017.
- [2] Richard Wike, Bruce Stokes, Jacob Poushter et Janell Fetterolf, « Worldwide, few confident in Trump or his policies », Pew Research Center, 26 juin 2017.
- [3] Paris, Plon, 2003.
- [4] Olivier Chopin, L’Amérique et l’Europe : la dérive des continents ?, Paris, Grasset et Fasquelle, 2006.
- [5] Klaus Naumann, « La transformation de l’Alliance », Revue de l’OTAN, été 2002.
- [6] Matthew Karnitschnig, « US and Europe need to step up in Balkans, McCain Says », Politico, 27 avril 2017.
- [7] Alex Gray, « France becomes the world No 1 for soft power », World Economic Forum, 27 juillet 2017.