Mars 2018
« La seule solution est de s’organiser pour dépendre le moins possible de Donald Trump » / Grand entretien avec Hubert Védrine
Agir pour le climat : arènes, enjeux, pouvoirsRIS 109 - Printemps 2018
Pascal Boniface – Les évolutions stratégiques et les rapports de forces internationaux sont actuellement marqués par le renforcement du pouvoir de Xi Jinping, les frasques de Donald Trump ainsi que l’énergie renouvelée de Vladimir Poutine. Comment percevez-vous les grands équilibres mondiaux, notamment à travers ces trois personnages emblématiques et les trois grandes puissances qu’ils dirigent ?
Hubert Védrine – Il est difficile de caractériser un monde si vaste. Je rappelle toujours ce qui me paraît être la donnée essentielle depuis une vingtaine d’années : les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance et du pouvoir qu’ils ont exercé – bien ou mal – pendant quatre siècles.
Tous ne l’ont manifestement pas réalisé.
Hubert Védrine – Ils ont du mal à admettre cette idée complètement déboussolante. Les Européens, par exemple, ont une vision très idéalisée – la communauté internationale, la Cour pénale internationale pour punir les méchants –, qui ne suffit pas tellement le monde est autre. Pour les Américains, c’est à la fois vexant, humiliant et inquiétant : pour être en sécurité, ils passent leur temps à osciller entre vouloir contrôler le monde entier et chercher à se claquemurer chez eux. D’où les extravagances du corps électoral, qui à chaque élection présidentielle passe d’un extrême à l’autre.
Il n’y a, à mon avis, pas encore de « communauté » entre les peuples du monde : elle est à construire, mais n’existe pas. Les Nations unies, le G7 ou le G20 sont des cadres : ce qui s’y passe dépend du rapport réel entre les puissances qui sont là ou d’autres qui sont à l’extérieur mais peuvent agir. C’est un monde certes global, mais semi-chaotique, ce qui ne veut pas forcément dire en guerre : il n’y a plus de mécanisme automatique de généralisation des conflits, il n’existe pas de systèmes d’alliances tels que ceux qui prévalaient par exemple en 1913. Nous sommes dans une sorte d’entre-deux.
Dans ce contexte, il y a les phénomènes que vous citiez. Les États-Unis ne sont plus une hyperpuissance complète, mais restent le pays numéro un, avec aujourd’hui à leur tête quelqu’un de fantasque et brutal. Le comportement de D. Trump génère de l’incertitude, qui se répercute sur l’ensemble des relations internationales.
La Chine poursuit son ascension sans que s’organise face à elle la coalition de tous ceux que cela inquiète. Il y a tout de même 10 à 15 puissances qui pourraient l’être compte tenu de sa puissance économique et commerciale, qu’elle projette dans ses projets de nouvelles routes de la soie, etc. 30 à 40 pays sont d’ores et déjà un peu inhibés face à elle et des lobbies chinois se développent, y compris dans des pays non asiatiques.
V. Poutine, pour sa part, a réussi l’opération consistant à démontrer que son pays n’est plus un paillasson. Grâce à un pouvoir de nuisance résiduelle, et des erreurs des autres, il est revenu dans le jeu et est capable de mettre le pied dans la porte à deux ou trois endroits. Mais la Russie n’est pas redevenue pour autant une puissance globale.
Et puis, il existe beaucoup d’autres problèmes, comme les convulsions géantes au sein de l’islam, notamment sunnite, avec des répercussions gravissimes dans le monde entier qui font de nous d’éventuelles victimes collatérales. Au milieu de cela, les Européens ne savent toujours pas comment se positionner. Sans vouloir paraître alarmiste, le tableau est trouble et instable. Dans ce contexte, il est plus compliqué qu’avant pour chaque acteur de se demander quoi faire, surtout pour ceux qui croyaient tout contrôler, avant…
On parle beaucoup de l’« État profond » américain : sur l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les garanties apportées aux alliés, par exemple, D. Trump est revenu sur ses déclarations de campagne. Peut-on dire que les généraux qui l’entourent l’empêchent de faire certaines frasques ?
Hubert Védrine – Je parlais récemment de cela avec des amis démocrates américains, des responsables importants, qui me disaient en être venus à souhaiter que l’armée soit puissante et que les généraux – qui sont d’ailleurs un peu atypiques, à la retraite, mais qui ont une expérience du monde réel – encadrent D. Trump dans l’hypothèse où il voudrait prendre une décision vraiment effarante.
L’« État profond » est une expression qui concerne au départ la Turquie mais qui, nous l’avons vu à plusieurs reprises historiques, peut s’appliquer aux États-Unis. Quand D. Trump a douté de l’article 5, qui est la base même de l’OTAN, tout le système l’a contredit, assurant qu’il était encore valable, même s’il y a toujours eu des interrogations sur cet article. Mais il y a aussi des cas inverses : la seule bonne idée, pourrait-on dire, de D. Trump était d’établir des relations plus pragmatiques avec la Russie. Sur ce point, le système l’a finalement coincé en profitant de ses imprudences. Sur l’Iran, je crains que les pulsions de D. Trump et de l’État profond américain n’aillent dans le même sens, c’est-à-dire assez loin pour sortir de l’accord sur le nucléaire et appliquer de nouvelles sanctions, ce qui serait à mon avis la conséquence la plus gravissime possible actuelle du comportement aberrant du président, compte tenu des conséquences possibles.
Il est paradoxalement rassurant de voir des généraux au pouvoir : si l’on est généralement plutôt inquiet d’une telle situation, ils apportent aux États-Unis une part de rationalité dans le contexte actuel. Mais dans le même temps, tant sur la Russie que sur l’Iran, il y a une méfiance, voire une hostilité profondément ancrées. D. Trump a ainsi la possibilité de remettre en cause l’accord sur le nucléaire parce que l’Iran apparaît toujours comme une menace. Quant à la Russie, sans voir que sa crispation pourrait être la conséquence de l’élargissement de l’OTAN et du système de défense antimissile, elle est toujours perçue comme une menace existentielle par les corps de sécurité américains et par l’OTAN, en quelque sorte comme l’héritière directe de l’Union soviétique.
Hubert Védrine – C’est vrai, mais ce n’est pas que militaire. Sur la Russie et l’Iran, les démocrates américains dont je parlais ne s’inquiètent pas tellement des orientations de fond ; ils pensent plutôt à la gestion de crise. Ils ont peur de ce que D. Trump serait capable de faire en cas de crise aigüe. Dans la longue durée, il est évident qu’il y a un système américain qui n’est pas que militaire, mais également très politique : l’ensemble du Parti républicain est comme cela, ainsi qu’une partie des démocrates, et ils tiennent à leurs ennemis ! Ces groupes ne veulent pas avoir des relations réalistes et apaisées avec la Russie et ont besoin de cet adversaire historique. Ils ne sont pas du tout prêts à admettre que tout n’est pas de la faute des Russes.
Il y a énormément de choses à reprocher aux Russes et il faut se méfier d’eux. Il n’empêche qu’il faut tout de même établir de meilleures relations. Et puis, on pourrait s’interroger, en effet, sur l’OTAN, sur la défense antimissile, sur l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et l’Ukraine, dont une partie avait été conçue non pas pour faire de l’Ukraine un pont entre deux ensembles, mais pour couper les relations économiques de l’Ukraine avec la Russie. Même Zbigniew Brzezinski, Polonais d’origine, très antirusse et très favorable à l’élargissement de l’OTAN, disait au cours de ses dernières années qu’il était idiot de vouloir intégrer l’Ukraine à l’Alliance atlantique, et que la solution raisonnable était pour un statut « à l’autrichienne », une sorte de neutralité.
Z. Brzezinski avait théorisé le fait que sans l’Ukraine, la Russie ne pouvait plus être un empire et que c’était donc une bonne chose de l’en détacher, mais pas à ce point.
Hubert Védrine – Les présidents précédents avaient suivi les idées de Z. Brzezinski, notamment George W. Bush. Mais au cours des dix dernières années, Z. Brzezinski avait changé. Et même Henry Kissinger, qui est un autre « dur à cuire », a dit plusieurs fois que depuis la fin de l’Union soviétique, nous n’avons fait aucun effort pour intégrer la Russie à un ensemble de sécurité en Europe. Cela aurait certainement été très difficile, cela n’aurait peut-être pas fonctionné, mais il n’y a eu aucun effort en ce sens.
Le budget militaire de la Russie représente aujourd’hui 10 % des dépenses militaires des seuls États-Unis, sans parler de leurs alliés européens. Comment expliquer qu’elle soit toujours vue, y compris en France par la plupart des médias, comme une menace et que V. Poutine soit finalement perçu comme l’héritier de Leonid Brejnev ?
Hubert Védrine – Nous n’avons pas le temps de comprendre pourquoi les médias disent souvent des choses extravagantes : ils ont leur ligne et une sorte d’idéologie sur de nombreux sujets, dont la Russie. Mais nous ne pouvons pas faire comme si la Russie n’était pas un problème ; les Baltes, les Polonais et d’autres sont par exemple encore très méfiants à son égard. Par ailleurs, si V. Poutine a l’air d’un calculateur froid, il peut être par moments émotionnel et furieux.
En réalité, beaucoup de puissances ont besoin que la Russie reste une menace. Ils ont transféré sur la Russie, qui avait un temps disparu des radars et qui a depuis réémergé, toute leur analyse antérieure sur l’Union soviétique. Là-dessus, certains mettent en avant qu’il s’agit d’un système qui peut avoir des aspects dangereux et qu’il est donc nécessaire d’être prudent. Mais avoir des rapports prudents avec la Russie pourrait se faire de manière non hystérique.
D’un autre côté, les États-Unis sont de moins en moins multilatéralistes, ce à quoi un hypothétique impeachment de D. Trump ne changerait rien, puisque c’est alors Mike Pence qui prendrait la Maison-Blanche.
Hubert Védrine – Aujourd’hui, le mieux est de s’organiser pour dépendre le moins possible de D. Trump. Ceux qui écartaient l’hypothèse que D. Trump puisse être élu tellement cela leur paraissait impossible espèrent depuis qu’il y aura un impeachment la semaine prochaine. C’est faux : l’impeachment nécessiterait les deux tiers des sénateurs et il faudrait pour cela que la base lâche massivement D. Trump.
Les autres pays et partenaires des États-Unis se disent donc qu’il faut faire avec. Quelques rares pays se satisfont de la situation : le gouvernement polonais n’est pas mécontent, tout comme évidemment Benyamin Netanyahou et les Saoudiens. Cela dit, même B. Netanyahou n’aime pas quand D. Trump déclare qu’il a une idée pour régler le problème israélo-palestinien. Il préférait entendre qu’il n’existe pas de problème. Même là, il y a une microdissonance. Les Saoudiens sont également assez satisfaits de cette espèce d’alliance terrible, sorte d’« Axe du Mal à l’envers », entre D. Trump, les wahhabites et le Likoud, qui les rassure, les consolide, mais peut aussi les amener à faire des erreurs sur la question chiite, par exemple au Yémen.
De façon paradoxale, la Chine tire profit des absurdités de D. Trump. Par exemple, l’une des plus grandes réussites de Barack Obama était le grand accord commercial de partenariat transpacifique (TPP), sans la Chine, dont D. Trump ne veut plus. Il a déclaré ne pas souhaiter d’accords multilatéraux, mais des accords pays par pays. La Chine s’est évidemment immédiatement positionnée pour établir un grand accord avec le reste de l’Asie-Pacifique, sans les États-Unis.
Mais y a-t-il véritablement un changement fondamental ? Quelle est finalement la part de changement et la part de continuité dans la situation actuelle ? On s’attend désormais à ce que D. Trump finisse son mandat, peut-être même sera-t-il ensuite réélu. Mais dans l’hypothèse d’un unique mandat, peut-on s’attendre à un changement fondamental des États-Unis en 2020 ?
Hubert Védrine – C’est une question très intéressante du point de vue de la tendance historique. Mon intuition est que l’on ne reviendra pas à la situation antérieure, dans laquelle les deux rives de l’Atlantique avaient été rapprochées du fait de la menace, réelle, de l’Union soviétique de Joseph Staline. D’où l’esprit de communauté atlantique et ce qui en a découlé sur le plan des institutions, l’article 5, etc. Tout cela est né de la conclusion de la Seconde Guerre mondiale, où ce sont les Soviétiques, puis les Américains qui ont écrasé le nazisme. Cette situation a conduit à l’organisation du monde en 1945. Je pense d’ailleurs que Franklin D. Roosevelt et Harry Truman, durant la guerre froide, ont mené la plus intelligente période de politique étrangère américaine de tous les temps, puisqu’elle était à la fois inspirée par les intérêts vitaux du pays, mais aussi véritablement généreuse par certains de ses aspects. Le choix de H. Truman d’endiguer l’Union soviétique plutôt que de la refouler s’inscrivait dans une perspective de très long terme.
Des relations très étroites ont ainsi été nouées, mais la menace commune n’existe plus. Et depuis la chute de l’Union soviétique, il se produit une sorte d’éloignement, qui va conduire les États-Unis et l’Europe à devenir progressivement des cousins issus de germains, avec une relation historique qui n’est plus aussi étroite, plus aussi automatique. Il y a une distanciation, qui n’est pas une rupture, mais un éloignement relatif entre deux mondes qui ont certaines valeurs communes mais beaucoup d’autres tout à fait différentes.
Le multilatéralisme, par exemple, est un point d’opposition entre Européens et Américains.
Hubert Védrine – Oui, mais c’est un critère exagéré et ce n’est pas nouveau. Bill Clinton disait lui-même que les États-Unis tenteraient de régler les problèmes avec leurs amis, alliés et partenaires lorsqu’ils le pourraient, mais qu’ils agiraient seuls s’il le fallait.
B. Obama, pour sa part, avait montré qu’il n’intégrait plus comme ses prédécesseurs la mission wilsonienne de démocratiser le monde – la chrétienté disait « évangéliser », ou l’Occident dit « droit-de-l’hommiser ». Il y a eu un début de distanciation, avec un discours consistant à dire : « nous interviendrons dans certains cas, si cela est vraiment nécessaire, mais ce n’est pas notre mission première, et d’ailleurs souvent cela ne fonctionne pas ». Ce n’est pas l’abandon de l’Europe, mais la fin du rêve missionnaire des États-Unis. Et D. Trump, en dépit de sa brutalité et de sa vulgarité, dit des choses qui ne sont pas le contraire de B. Obama. On n’associe généralement pas les deux personnages, tellement B. Obama était intelligent, séduisant et sophistiqué. Il n’empêche qu’il y a une redéfinition du rôle des États-Unis qui effraie les Européens. Or si les Européens étaient vraiment sortis du coma stratégique, ils devraient justement en profiter.
« Make America Great Again » ne serait-il pas, finalement, la reconnaissance implicite que les États-Unis n’ont plus leur pouvoir d’antan ? N’y a-t-il pas fondamentalement une difficulté pour eux à réaliser que l’Occident a perdu le monopole de la puissance, même si l’on voit mal un homme politique américain relativiser la puissance de son pays face à ses électeurs ?
Hubert Védrine – C’était déjà le slogan de Ronald Reagan, mais un président pourrait dire : « nous ne dominons plus le système mondial, mais nous restons, de loin, la puissance numéro un ». Cependant, le système politique américain n’a pas pour fonction d’instruire et d’éduquer le corps électoral.
Il y a le même trouble en Europe, mais par idéalisme : les Européens ont vraiment cru à la communauté internationale, et que les gentilles organisations non gouvernementales (ONG) et la gentille société civile allaient partout supplanter les méchants gouvernements. Cette vision sympathique et inopérante, le monde réel n’est pas du tout fondé là-dessus, a marqué beaucoup d’esprits.
Il y a un choc entre la mondialisation économique et la réalité politique. La première donne une impression d’uniformité et aboutit à une vision opérationnelle simplifiée, schématique, globale. Les analyses économiques parlent de flux, tous les pays sont mis sur le même plan, les identités ne comptent pas, etc. Or la réalité politique est plutôt celle d’un réveil des inquiétudes, des identités – ce qui n’est pas forcément tragique.
Les Européens sont, à mon avis, aussi déboussolés dans le système actuel que les Américains. Mais c’est encore plus vexant pour ces derniers, parce qu’ils se disaient qu’ils organisaient le monde et que dans le cas contraire, la situation serait très inquiétante. D’où des oscillations : ils passent de B. Clinton à George W. Bush, puis à B. Obama, et enfin à D. Trump. Cela traduit une inquiétude : comment garder le contrôle ?
Il y a aussi l’aspect économique : « Make America Great Again » parle à un électorat de classe moyenne, ouvrière, blanche, du Middle West, qui a le sentiment que la mondialisation a enrichi la Chine et l’a mis, lui, hors circuit. C’est là où D. Trump est pris dans des contradictions, car le bilan économique de B. Obama est excellent.
Venons-en à la Chine : avec le triomphe et la confirmation de Xi Jinping, quelle est votre appréciation du projet phare de nouvelles routes de la soie ? Faut-il y adhérer ou faut-il s’en méfier à défaut d’en connaître les raisons profondes et les conséquences potentielles ? Pensez-vous qu’il puisse avoir un impact majeur sur le futur des relations internationales et sur les liens de la Chine avec le reste du monde ?
Hubert Védrine – Il y eut deux grands hommes dans l’histoire de la Chine contemporaine. Mao Zedong, après les guerres civiles, a refait l’unité du pays avec une immense cruauté. Deng Xiaoping, qui a pris le contrôle à la fin des années 1970, l’a sorti des folies du maoïsme et a lancé le tournant : « peu importe que le chat soit noir ou blanc dès lors qu’il attrape la souris ». Ce qui signifiait : « on prend ce qui marche », c’est-à-dire l’économie de marché, mais on garde le contrôle politique.
Mao Zedong n’a pas eu d’influence sur le reste du monde, alors que Deng Xiaoping a eu une influence immense. Le monde dans lequel nous sommes aujourd’hui, cette forme de mondialisation avec une Chine triomphante, est un succès de Deng Xiaoping. Il a été poursuivi par ses deux successeurs avec modération, retenue et prudence, jusqu’à ce que Xi Jinping arrive et s’affranchisse des précautions de Deng Xiaoping : se développer sans élever la voix, sans inquiéter, sans provoquer. Xi Jinping pense que la Chine est assez forte pour se passer de cela et pour assumer. Et pour le moment, cela fonctionne. Les routes de la soie sont la concrétisation de cette ambition. Non seulement elles sont terrestres, avec des trains qui partent de l’Ouest de la Chine pour aller vers le Kazakhstan, puis la Russie et enfin l’Europe, mais aussi maritimes, sans oublier l’Afrique.
Les financements pour faire progresser l’influence de la Chine sur les pays qu’elle aide, pour construire des infrastructures ainsi que pour trouver des débouchés à ses produits sont gigantesques. Énormément de pays adhèrent à ce système et ont intérêt à avoir des relations étroites avec la Chine. C’est un instrument de puissance et de rayonnement extraordinaire, mais pas seulement : les Chinois achètent, par exemple en Afrique, des terres cultivables dont ils manquent énormément, avec des accords sur quasiment quatre-vingt-dix-neuf ans en Tanzanie, à Madagascar, etc.
Les spécialistes de la Chine ancienne disent que contrairement aux chrétiens, devenus occidentaux, ou aux musulmans, les Chinois ne sont pas dévorés par la volonté de convertir les autres : ils ne sont pas prosélytes, ils se fichent de ce que les autres pensent et ne nous feront pas le coup des valeurs chinoises universelles. Mais ceux qui étudient la géopolitique, les questions énergétiques ou d’autres encore pensent qu’à un tel niveau de puissance, cela revient presque au même : il existe une question globale de positionnement par rapport à la Chine. Toutefois, qui va s’opposer à elle ? Il n’y a pas jusqu’ici de réponse globale. Même les Américains n’y parviennent pas. Partout dans le monde, des lobbies chinois protestent dès que quelqu’un déclare qu’il faudrait peut-être se montrer vigilant vis-à-vis des investissements chinois.
Passons à la place de la France dans le monde. Au cours de la campagne qui a conduit à son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron s’est à plusieurs reprises référé au « gaullo-mitterrandisme », concept que vous avez créé et longtemps façonné. Comment le qualifieriez-vous ?
Hubert Védrine – C’est au début du premier septennat de François Mitterrand que j’avais de façon informelle dans une conversation avec des analystes diplomatiques et militaires et des journalistes, commencé à employer cette formule, à propos des questions de dissuasion. À l’époque, le concept ne s’appliquait pas à la politique étrangère en général. De plus, associer le général de Gaulle et F. Mitterrand semblait être un oxymore ; ils s’étaient beaucoup combattus, mais étant donné que F. Mitterrand avait décidé d’assumer ses grandes lignes de politique étrangère, surtout en matière de dissuasion, il m’a semblé qu’il y avait une continuité.
Rappelons que F. Mitterrand s’était tout d’abord opposé à la constitution de la dissuasion nucléaire, que l’on appelait à l’époque la « force de frappe ». Il en a ensuite été un ardant promoteur, au point de déclarer « la dissuasion, c’est moi ».
Hubert Védrine – Son raisonnement avait changé bien avant son élection, à partir du moment où les sous-marins étaient opérationnels. Mais il était favorable, dans une forme de continuité sur ce point, à une dissuasion « à la française », au niveau minimum, et tout à fait opposé aux fuites en avant des Soviétiques et des Américains. Il était pour la dissuasion stratégique, et pas du tout pour la flexibilité de la dissuasion, ni pour la riposte graduée que le général de Gaulle avait empêchée – les Américains ne l’ont imposée à l’OTAN que quand la France a quitté le commandement intégré. Sur ce point, il y eut donc une véritable continuité stratégique.
F. Mitterrand avait très bien compris la dissuasion. Vous venez de rappeler une formule qui montrait qu’il avait intégré le fait qu’il n’y a pas de dissuasion sans un « dissuadeur » crédible en haut du système. Quand il dit « la dissuasion, c’est moi », ce n’est pas un accès de mégalomanie : il avait simplement compris ce qu’est la dissuasion. Il faut que le dissuadeur soit dissuasif. On se situe, de ce point de vue, dans le gaullo-mitterrandisme, formule que beaucoup de personnes ont beaucoup employée, pour la défendre ces dernières années, la soutenir ou la critiquer, en englobant l’ensemble de la politique étrangère.
Un autre point de rapprochement est la relation à l’OTAN. Le général de Gaulle avait décidé de quitter le commandement intégré. F. Mitterrand avait déclaré qu’il ne fallait pas que l’OTAN devienne la « Sainte-Alliance » ; il était bien sûr un allié fidèle des États-Unis en cas de force majeure, notamment durant la crise des euromissiles, mais savait aussi prendre ses distances, comme sur la « guerre des étoiles ».
Hubert Védrine – La crise des euromissiles était une menace pour l’Europe. Le résultat absurde d’un complexe militaro-industriel soviétique qui n’était plus contrôlé par le Politburo, et qui a placé des missiles de moyenne portée SS20 en Europe, menaçant les pays de l’Europe de l’Ouest. Il ne s’agissait alors même pas d’une question de solidarité atlantique, mais presque de patriotisme européen. Mais cela a été vu comme une forme de solidarité atlantique. Ce petit malentendu a finalement rendu service à F. Mitterrand, car les milieux atlantistes et Washington étaient très hostiles à un gouvernement d’union de la gauche avec les communistes.
Par la suite, Nicolas Sarkozy a décidé de réintégrer complètement l’Alliance atlantique, ce qui était inutile puisque nous avions trouvé des arrangements pragmatiques sur à peu près tous les plans. Lui pensait ainsi pouvoir débloquer la défense européenne, ce qui était une illusion : si elle n’avance pas ou très peu, c’est pour d’autres raisons.
J’ai été heureux d’entendre Emmanuel Macron, candidat puis président, se référer par trois fois au gaullo-mitterrandisme. Je ne veux pas parler à sa place, mais je pense que cela signifie qu’il ne se sent pas forcément l’héritier de ce qui a été fait en France depuis une dizaine d’années, ce qui ouvre des perspectives.
Je ne sais pas exactement ce que le général de Gaulle penserait de la situation mondiale actuelle – certainement du mal –, je ne sais pas ce que ferait F. Mitterrand, même si pour moi, il est évident que tous deux auraient été, comme Jacques Chirac, opposés à la guerre américaine en Irak en 2003. Le reste est plus compliqué. Ils seraient sans doute pour une relation plus réaliste avec la Russie. Mais ce ne sont pas des recettes que l’on peut transposer mécaniquement.
L’exemple du refus de la guerre d’Irak, en 2003, peut-il montrer que ce que l’on qualifie de gaullo-mitterrandisme est une philosophie globale d’analyse réaliste des relations et de maintien d’une indépendance de la France, qui n’est pas cantonnée à la période de la guerre froide ? Tant le général de Gaulle que F. Mitterrand auraient ainsi, comme vous l’indiquez, pris la même décision que J. Chirac.
Hubert Védrine – Je le pense. Mais ce que l’on qualifie aujourd’hui de gaullo-mitterrandisme, si l’on ramène à l’essentiel, est que la France conserve une politique étrangère qui est la sienne, qui n’est pas simplement alignée. Une formule que j’ai beaucoup employée pour expliquer notre politique par rapport aux États-Unis, est : « nous sommes amis, alliés, mais pas alignés ». Tout le problème est là : pour la plupart des Américains, un allié doit être aligné, sinon à quoi sert-il ?
Aujourd’hui, cette formule signifie avoir une politique étrangère qui est la nôtre, conserver la capacité de la penser – il y a une question d’autonomie intellectuelle – et de la mettre en œuvre dans le monde réel, ce qui est compliqué. Mais cette dimension mentale s’est un peu érodée avec le temps.
De façon générale, même si ce n’est pas vrai sur tous les sujets, il y eut une rupture avec cette ligne diplomatique sous N. Sarkozy, puis François Hollande, qui n’ont pas cherché à l’entretenir. D’ailleurs, N. Sarkozy avait été élu sur le thème de la rupture : la rupture avec J. Chirac, avec ce qu’il avait gardé du gaullisme.
N. Sarkozy se réclamait du « monde occidental », ce que ni le général de Gaulle ni F. Mitterrand ne faisaient.
Hubert Védrine – Ils se référaient plutôt à la « famille occidentale ». Il y a une usure incarnée par certaines présidences, d’un côté, et il y a le monde global, la domination américaine, la montée de la Chine, de l’autre. Et puis, il n’y a plus les générations qui pensaient que la priorité de la France était de garder une capacité de pensée autonome, il y a la perspective européenne chez certains, etc.
Pensez-vous que ce monde soit influencé de façon excessive par les États-Unis, comme l’écrit Régis Debray dans Civilisation [1] ?
Hubert Védrine – Je suis globalement d’accord avec Régis Debray, j’aime beaucoup sa façon d’écrire et ce qu’il produit, mais ce qu’il décrit est là depuis très longtemps. C’est le résultat de la guerre. On aurait quasiment pu écrire cela sous le général de Gaulle, qui était constamment confronté à ce problème. D’autant qu’il n’y a pas que l’aspect stratégique : le cinéma américain, par exemple, a enchanté le monde depuis un siècle et les accords Blum-Byrnes en ont facilité le développement en France.
Cela n’est donc pas nouveau. Et cela fait très longtemps que l’on veut, en France, maintenir une capacité autonome de pensée. Par exemple, comment évaluer la Russie ? Est-ce une menace réelle ? considérable ? marginale ? exagérée ? Pour les Polonais, elle est imminente et proche. Selon les Italiens, tout cela est exagéré – la Russie est d’abord un fournisseur de gaz. Et il y a des visions différentes en France. L’opinion dominante dans les médias est devenue plus occidentaliste. Elle n’est pas forcément atlantiste, parce que l’atlantisme à l’ancienne de la IVe République consiste en l’alignement sur Washington. La plupart de ceux qui condamnaient le gaullo-mitterrandisme et se réjouissaient qu’il soit apparemment terminé, appartiennent à la branche française des néoconservateurs américains. Emmanuel Macron l’a mentionné, en disant qu’il ne voulait pas se soumettre l’idéologie des néoconservateurs, ce qui a d’ailleurs déclenché une contre-offensive de ces derniers.
La bataille n’est donc pas terminée : la France pourrait reconstruire une politique étrangère, mais il ne s’agit pas de jeter tout ce qui a été fait avant. Par exemple, il fallait intervenir au Mali, et F. Hollande a été courageux de le faire. Mais il y a tout de même un moment, une opportunité peut-être, pour reconstruire une politique étrangère plus réaliste.
E. Macron président et non plus candidat vous paraît-il, dans ses faits, gestes et premiers pas diplomatiques, se placer dans cette lignée gaullo-mitterrandienne ? Redonne-t-il une impulsion, un éclat à une politique étrangère auparavant un peu ternie ?
Hubert Védrine – Encore une fois, je parle prudemment, mais je ne crois pas qu’il veuille s’inscrire dans une quelconque lignée. Je pense qu’il veut être libre de sa démarche. Comme il ne veut pas être l’héritier des dix dernières années et qu’il veut avoir les mains libres pour avancer, il va renouer avec certains des aspects de ce qu’ont été le gaullisme et le mitterrandisme, étant entendu qu’il y a des décennies d’écart et que cela sera fondamentalement différent. Il existe donc une volonté de reconstruction à partir d’une plus grande liberté, qui peut coïncider sur certains points. Mais il va construire avec Jean-Yves Le Drian une politique étrangère « macronienne », non gaulliste, ni mitterrandiste.
Pour ses débuts, il montre en tout cas qu’il est tout à fait capable d’avoir un rapport direct et franc, et peut-être efficace, avec D. Trump, en faisant le contraire de la plupart des autres, qui sont épouvantés. Certains disent qu’il « achète à la baisse ». Il a noué une relation en se disant que cela ne pouvait pas nuire. Cela n’a pas produit d’effets sur la question climatique, mais sur ce point la France – et d’ailleurs le monde entier – a pris une position excellente : D. Trump fait les bêtises qu’il veut, mais nous continuons.
L’Iran est le prochain grand rendez-vous. L’accord sur le nucléaire est un résultat magnifique de B. Obama, dont on mesure mieux le courage et l’intelligence stratégique à la lumière des manœuvres de D. Trump et des républicains, ainsi que des pasdarans, qui rêvent d’un retour à la situation initiale par l’annulation de l’accord. La responsabilité des autres cosignataires – Conseil de sécurité moins les États-Unis, plus l’Allemagne – est d’éviter ce retour à la situation antérieure. Même si elle n’est pas celle du monde entier, contrairement à la question climatique, il y a là un rendez-vous historique. C’est là où l’on verra, mieux encore qu’en analysant ses débuts, quelle est la ligne d’Emmanuel Macron. Il a d’ores et déjà tenu des propos tout à fait clairs et courageux, en disant que la France était absolument favorable à l’application de l’accord tant que les Iraniens le respectent, ce dont l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) fait périodiquement état.
E. Macron a également reçu V. Poutine avec faste à Versailles. Il a forcément été critiqué, notamment par ceux dont vous parliez précédemment, qui voudraient qu’un responsable français n’ait aucun contact avec les Russes. Comment percevez-vous la gestion, par E. Macron, de la relation avec la Russie ?
Hubert Védrine – Là encore, c’est un peu tôt pour en parler, mais je trouve le début très juste. D’abord, il invite Vladimir Poutine à Versailles, à l’exposition Pierre le Grand, ce qui était justifié. Ceux qui s’y opposaient n’avaient que des mauvais arguments. Au cours des quinze ou vingt dernières années s’est développé en France, notamment dans la sphère publique, médiatico-politique – je le dis dans cet ordre à dessein –, un réflexe absurde qui consiste à dire que l’on ne peut pas fréquenter untel qui ne respecterait pas nos valeurs, ni même parler avec lui. C’est une espèce de prétention, d’arrogance, une sorte d’impérialisme conceptuel : comme si nous allions imposer nos conceptions à absolument tout le monde. On a essayé, c’est fini.
Si, en termes diplomatiques, l’on ne parle qu’avec des gens qui sont comme nous, avec qui va-t-on parler ? Nous avons même des griefs envers chaque pays européen. Donc, n’allons-nous parler qu’entre nous ? Ce serait absurde. Cependant, il ne s’agit pas non plus de parler avec n’importe quel despote : on peut parler chaque fois que cela est utile pour nos intérêts vitaux en tant que pays, nos intérêts vitaux collectifs en tant qu’Européens, ou en montant une alliance ad hoc selon des intérêts similaires. Il ne faut rien refuser d’avance, sinon où va-t-on ? L’immense courage d’Yitzhak Rabin avait précisément été de braver le tabou. Avant lui, les Israéliens ne pouvaient pas parler à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), c’était même pénalement répréhensible. Cela a échoué parce qu’il a été assassiné.
Il y a, en France, une véritable régression dans la sphère de la parole publique. Il faut absolument en sortir et affirmer que l’on parle avec tous les dirigeants lorsque cela est nécessaire. Ce qui ne veut pas dire, je le répète, parler avec n’importe qui. Par exemple, sur la Syrie, il n’est pas forcément utile de parler avec Bachar Al-Assad, mais on ne peut l’écarter ; par contre, il faut parler avec les Russes ou les Iraniens : c’est un principe de réalisme.
Pour conclure sur la Russie, j’ai trouvé les débuts d’Emmanuel Macron excellents. Je souhaite que cela se développe et se poursuive, sans naïveté. Il faut être méfiant, prudent, vigilant, mais je crois qu’il y a l’espace pour reconstruire une politique étrangère réaliste avec la Russie.
Vous avez été au cœur des relations entre F. Mitterrand et Helmut Kohl, puis entre J. Chirac et Gerhard Schröder. La relation entre la France et l’Allemagne semble s’être depuis distendue, par une sorte d’inversion des situations. Comment percevez-vous la tentative d’E. Macron de relancer le couple franco-allemand ?
Hubert Védrine – Je préfère l’expression « moteur » à celle de « couple », qui est trop narcissique. Un couple se regarde lui-même, le moteur tourne par rapport aux autres. De plus, je crois qu’il n’y a plus de couple depuis la réunification de l’Allemagne. Le rapport de forces a changé : l’Allemagne est beaucoup plus forte grâce à la réunification et aux réformes de G. Schröder, situation qu’Angela Merkel a habilement gérée, même si les choses sont devenues maintenant plus compliquées.
Nous ne sommes donc plus en relation de « couple ». Par exemple, les relations chancelier-président n’ont jamais été complètement synergiques après F. Mitterrand et H. Kohl. Il y a, en outre, un contexte un peu différent : l’Allemagne se rend compte que ce n’est pas commode, voire même gênant et dangereux pour elle de donner l’impression de tout gouverner en Europe. Par ailleurs, elle n’a pas de partenaire de substitution par rapport à la France. Ensuite, les Allemands, ayant vraiment craint que Marine Le Pen soit élue, ont été très soulagés que ce soit Emmanuel Macron qui, pour eux, a donné un coup d’arrêt au populisme en Europe.
Il y a donc aujourd’hui une conjoncture européenne intéressante. Mais évidemment, les Allemands attendent de voir de quoi Emmanuel Macron peut être capable. Car la France est devenue économiquement l’« homme malade », le seul pays qui refuse les réformes. À peu près tous les pays développés, qui avaient – et c’est heureux – un gigantesque État-providence se sont dit qu’il n’était plus finançable et qu’il était nécessaire de le corriger pour le sauver.
Les Allemands voient en tout cas les premiers pas d’Emmanuel Macron d’un œil assez positif. Le président en a profité pour faire plusieurs grands discours sur l’Europe, dans un mélange de profession de foi très européenne et de projets concrets, sur lesquels tout le monde se mettra d’accord : un Schengen qui fonctionne vraiment, qui finira d’ailleurs par cogérer les flux migratoires avec les pays de départ et de transit, je pense qu’on y viendra. Et puis, il y a d’autres projets plus ambitieux, plus compliqués. Mais tout cela est sur la table. Tout ce monde attend désormais le gouvernent allemand, car il n’est pas possible d’avancer sans l’Allemagne.
Dans Les mondes de François Mitterrand [2], vous écrivez que toutes les évolutions naturelles sont défavorables à la France parce que nous avons perdu la rente de situation du monde bipolaire. De quelles marges de manœuvre dispose-t-elle encore dans un monde que vous décrivez comme assez incertain et assez peu géré ?
Hubert Védrine – Mon propos est plutôt qu’aucune évolution en cours dans le monde depuis maintenant longtemps n’est automatiquement favorable aux Occidentaux. Mais je pense que nous disposons encore de beaucoup de marges de manœuvre.
Les Français, globalement, ont du mal à se stabiliser entre, d’un côté, une rhétorique prétentieuse, grandiloquente, des valeurs qui vont rayonner partout – « la France patrie des droits de l’homme » – et, de l’autre, une forme de dépression qui consiste à se lamenter de ne plus être qu’une puissance moyenne. Or, des puissances, il n’y en a que 15 à 20 dans le monde. Si la France en fait partie, c’est déjà assez spectaculaire au vu de sa superficie et de son nombre d’habitants. Il s’agit donc d’abord de voir que nous conservons une image très puissante, qui est une demande de France. Il y a une attente à l’égard de la France, à condition qu’elle apporte une valeur ajoutée, qu’elle ne soit pas condescendante ni méprisante, qu’elle ne se gargarise pas avec ses concepts, mais qu’elle soit pragmatique, réaliste, utile, ouverte, inventive, amicale. Il y a une véritable demande, et donc beaucoup de marges.
Ensuite, la francophonie est un instrument extraordinaire et vital, à condition que le français ne soit pas massacré en France. Il y a tout de même un effondrement pathétique de la langue, aussi bien dans l’éducation, la formation, l’expression, les médias, etc. Il faut lier l’intérieur et l’extérieur.
- [1] Régis Debray, Civilisation. Comment nous sommes devenus américains, Paris, Gallimard, 2017.
- [2] Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterrand. À l’Élysée, 1981-1995, Paris, Fayard, 1996.