Mars 2016
La géopolitique des énergies renouvelables : amélioration de la sécurité énergétique et / ou nouvelles dépendances ? / Par Emmanuel Hache
Corruption. Phénomène ancien, problème nouveau ?RIS 101 - Printemps 2016
Historiquement, la mise en évidence du caractère stratégique du pétrole et des approvisionnements énergétiques reste associée à la Première Guerre mondiale. Cette période restera un véritable catalyseur de l’importance de disposer de ressources pétrolifères et d’en assurer la sécurisation. Se renforce alors l’idée que la quête énergétique devient une composante majeure de la diplomatie. Les années 1930 et la Seconde Guerre mondiale renforceront cette dynamique et permettront même de structurer les relations internationales. Les accords d’Achnacarry de 1928 [1], tout comme l’accord de la ligne rouge de 1931 ou le pacte du Quincy de 1945 apporteront, en effet, des éléments structurants aux relations entre pays consommateurs et producteurs de pétrole. Par la suite, la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), en 1960, constituera une rupture, symbolisant l’idée que la détention d’une ressource énergétique peut être utilisée comme une arme politique et un instrument de pouvoir. L’OPEP ouvre ainsi un nouveau pan des relations internationales, autour d’une géopolitique géologique dans laquelle certains pays ont un poids disproportionné par rapport à leur population ou à leur produit intérieur brut (PIB) [2].
La construction européenne est particulièrement représentative de la prégnance de l’énergie dans les rapports entre États. En effet, c’est autour de ce facteur que se structurent les premières tentatives d’intégration, avec notamment la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), en 1952, ou la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), en 1957. En 1973, la prise de pouvoir de l’OPEP sur les marchés pétroliers trouve sa réponse, au sein des pays consommateurs, dans la création de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et la mise en place d’une obligation de réserves pétrolières stratégiques.
Dans les années 1970, les questions d’accès et de dépendance aux ressources naturelles furent également les éléments structurants de la mise en place des politiques énergétiques des différents États importateurs, notamment en Europe et aux États-Unis. D’une simple logique d’approvisionnement en volume, les politiques de sécurité énergétique révèlent progressivement leur nature polysémique, à savoir une nécessaire évolution en fonction du temps, de l’espace et des conditions de marché observées. Aujourd’hui, les marqueurs des politiques énergétiques sont rassemblés autour de quatre composantes [3] : disponibilité [4] (availability), accessibilité [5] (accessibility), abordabilité [6] (affordability) et acceptabilité [7] (acceptability). Se développe notamment depuis deux décennies un intérêt prononcé pour l’intégration des énergies renouvelables (ENR) dans le mix énergétique et électrique afin d’assurer la sécurité dans le cadre des politiques de transition énergétique, mais également pour lutter contre le changement climatique. Ces ENR sont d’autant plus pertinentes à implémenter qu’elles offrent aux États un double dividende, leur diffusion permettant de réduire de facto le volume d’énergies fossiles importées [8]. Par exemple, dans le cas français, la loi sur la transition énergétique votée en 2015 impose un objectif de diminution de 30 % de la consommation d’énergies fossiles, ce qui induirait une réduction d’environ 30 % de la dépendance énergétique du pays – la France important plus de 99,9 % de son énergie fossile –, une baisse des déficits commerciaux – et donc de leur financement – et pourrait à terme bouleverser certains équilibres géopolitiques ou relations avec les pays importateurs.
En 2014, les ENR représentaient environ 23 % de la production électrique mondiale – 27,7 % des capacités de production électrique – et près de 59 % des nouvelles capacités installées. Cette évolution se réalise dans un environnement où leur promotion passe par l’affirmation d’une diminution des tensions géopolitiques associées à leur développement. Ainsi, le passage à une consommation d’énergies renouvelables entraînerait moins, voire pas de conflits ou de concurrences d’usages sur une ressource. La géopolitique des ENR, et plus généralement de la transition énergétique, serait alors plus « douce » et moins conflictuelle que celle des énergies carbonées. Mais les nouveaux défis engendrés par les politiques de transition énergétique pourraient paradoxalement se révéler au moins aussi complexes que la géopolitique énergétique actuelle. Ainsi, aux acteurs traditionnels (producteurs, consommateurs) risquent de s’ajouter de nouvelles relations plus locales et plus décentralisées. Il serait également tentant de conclure que la transition vers des ENR marquera progressivement la fin de la géopolitique liée aux fossiles. Or, plus qu’une disparition, il faut au contraire se poser la question des transformations des relations entre les États. Enfin, la diffusion massive des ENR dans le mix énergétique mondial pourrait engendrer de nouvelles dépendances.
La notion de transition énergétique est imprécise. Passage d’un modèle basé sur des énergies de stock à un modèle basé sur des énergies dites de flux, décarbonisation du mix énergétique, la définition la plus simple semble en réalité la suivante : le remplacement progressif de la principale source primaire de consommation énergétique [9]. Elle permet notamment de l’inscrire dans une perspective historique. Ainsi l’humanité a-t-elle déjà connu de nombreuses transitions énergétiques avec successivement l’usage du feu, la fabrication de l’outil et du manche, la domestication du vent (moulins), de l’eau (réservoirs et moulins), puis la découverte et l’usage des énergies fossiles. Chacune a progressivement transformé l’environnement énergétique et économique mondial. Aux États-Unis, il a ainsi fallu près de trente-cinq ans pour que le charbon remplace le bois dans le mix énergétique (1885) et pratiquement un siècle pour que le pétrole devienne la principale énergie consommée (1956).
À l’heure actuelle, la consommation d’énergie primaire dans le monde reste dominée par les énergies carbonées (87 %, dont 33 % pour le pétrole, 30 % pour le charbon et 24 % pour le gaz), l’hydraulique (6 %), le nucléaire (5 %) et les autres renouvelables (2 %) complétant le paysage mondial [10]. À cet égard, le mix énergétique français se trouve très éloigné du mix énergétique mondial, le nucléaire représentant 41 % de la consommation d’énergie primaire, le pétrole 34 %, le gaz 15 %, le charbon et l’hydraulique seulement 4 %, et les autres renouvelables 2 % [11]. En Allemagne, en 2013, le pétrole se situait à 32,4 %, le charbon à 25,7 %, le gaz à 23 %, les énergies renouvelables autour de 11,5 % et le nucléaire autour de 8 % [12].
L’ensemble de ces éléments invite à réfléchir au rapport entre la diffusion massive des ENR et la notion de sécurité énergétique. D’une part, il est nécessaire d’associer la notion de temps long à celle de transition énergétique, notamment en raison de l’inertie des systèmes et de leur historicité. Les conséquences des politiques énergétiques doivent donc s’évaluer à long terme. D’autre part, il importe d’assurer une cohérence temporelle entre tous les éléments de ces politiques. Enfin, il existe une dimension de prime abord nationale des politiques de sécurité énergétique, chacun des mix reflétant une construction temporelle, technique et économique faite de contraintes et de préférences des décideurs nationaux.
En France, la loi sur la transition énergétique couvre trois objectifs principaux : la lutte contre le changement climatique [13], la maîtrise de la demande d’énergie et la recherche d’efficacité énergétique [14], la diversification des sources d’approvisionnement et l’indépendance énergétique [15]. Au-delà du double dividende environnemental et sécuritaire apporté par la simultanéité des objectifs, la diffusion massive des ENR dans le mix énergétique oblige à repenser les rapports entre producteurs, consommateurs et pays de transit. En effet, les ENR ne rencontrent pas de problème de finitude comme les énergies fossiles et leur concentration géographique est plus faible. En outre, elles apportent un important degré de diversification aux systèmes énergétiques. A contrario, leur dépendance aux flux énergétiques (vent, ensoleillement), le faible développement de techniques efficaces de stockage et la concurrence exacerbée avec les ressources terriennes, notamment pour leur implantation [16], engendrent d’autres dépendances.
Dans les scénarios de transition énergétique purement nationaux, la question du développement des ENR invite à réfléchir à une nouvelle géopolitique des territoires. En effet, dans de nombreux cas, les solutions envisagées reposent sur des systèmes énergétiques décentralisés, pour lesquels les communautés locales seront largement responsables de la gestion de leurs propres besoins énergétiques. Des questions de gouvernance (répartition des compétences entre les collectivités territoriales, synergie avec d’autres politiques locales sur le logement et le transport), de cohérence globale (planification des investissements, risque d’empilement des ressources ENR) et de rivalité entre les différents acteurs (citoyens, entreprises, etc.) vont indéniablement se poser. À ce titre, l’exemple allemand est intéressant à observer : entre 2000 et 2012, la part des ENR dans la consommation d’électricité est passée de 7 % à 23 %, et plus de 50 % des nouvelles capacités ENR ont été le fait d’investissements réalisés par des citoyens (personnes privées, coopératives et agriculteurs), contre seulement 7 % par les grands groupes énergétiques (E.ON, EnBW, RWE et Vattenfall). La réussite de la diffusion économique des ENR a résulté de la mise en place d’un triple régime incitatif comprenant les cadres juridique, contractuel (création et gestion des coopératives) et financier (avantages fiscaux et tarifs de rachats à moyen terme) [17]. On peut ainsi s’interroger sur la pertinence d’une transposition de ce modèle dans d’autres pays européens au sein desquels les structures oligopolistiques des marchés rendraient plus difficile son implantation.
Pour les scénarios qui reposent sur une externalisation des structures de production électrique [18], l’appréciation géopolitique d’une diffusion des ENR passe par une étude de risques et de sensibilité de la substitution d’un acteur produisant une ressource fossile par un autre produisant une ressource transformée. La localisation des projets à grande échelle se trouve ainsi être une question fondamentale pour évaluer l’ampleur de l’impact de la diffusion des ENR sur la géopolitique internationale. La priorisation des objectifs de politique énergétique sera alors aussi déterminante qu’en l’absence d’ENR dans le mix énergétique. Ces objectifs devront permettre d’arbitrer entre la fourniture d’une ressource à moindre coût et un risque potentiel de déficit d’approvisionnement sur le territoire national en cas de relations contrariées avec le pays-hôte des capacités.
Si la technologie est souvent mise en avant dans les dynamiques de transition énergétique, elle pourrait également représenter un frein à la diffusion massive des innovations à moyen terme. Le premier risque identifié est celui de la technologie elle-même, de son coût, de son accessibilité et de son acceptation par les différentes parties prenantes. Il s’accompagne d’un second facteur lié à la décentralisation des systèmes et à leur automatisation, à savoir les risques liés au cyberterrorisme ou à la prise de contrôle à distance d’unités de production électrique. Le troisième risque identifié tend à minimiser les impacts d’une réduction des dépendances géopolitiques avec l’introduction des ENR dans le mix énergétique, à savoir la question des métaux critiques ou stratégiques.
Présents dans de nombreuses technologies de décarbonisation, les métaux critiques sont essentiels à la transition énergétique de manière directe – intégration dans les technologies – ou indirecte – composant lié mais indépendant de la technologie, comme par exemple les batteries pour les véhicules électriques. Ainsi, que ce soit pour le secteur des véhicules hybrides ou électriques (cobalt, lanthane, lithium, etc.), des catalyseurs ou des piles à combustible (platine, palladium, rhodium, etc.), pour le secteur éolien (néodyme, dysprosium, terbium, etc.), l’aéronautique civile (titane) ou encore le solaire PV (cadmium, indium, gallium, etc.), l’ensemble des innovations de la décarbonisation est dépendant in fine de la disponibilité de minerais dits stratégiques. Or, la diffusion à grande échelle des technologies de la transition énergétique pourrait exacerber les tensions sur les marchés de ces métaux et ce, pour plusieurs raisons.
La plupart de ces marchés sont de petite taille par rapport aux marchés de métaux non ferreux [19] ; ils ne sont pas organisés, faiblement transparents et l’essentiel des transactions est réalisé de gré à gré. Ainsi, une ressource « stratégique », c’est-à-dire essentielle pour l’industrie mais présentant un risque potentiel d’approvisionnement, risquerait rapidement de devenir « critique » en cas de déploiement massif des technologies. En outre, les métaux utilisés dans les innovations de transition énergétique sont pour la plupart des coproduits d’activités minières. Leur extraction et leur production sont, dès lors, géologiquement et économiquement dépendants d’autres métaux [20]. Dans ce contexte, l’élasticité de l’offre au mouvement des prix reste faible, ce qui ne permet pas de diminuer les tensions à court terme.
Il faut également rappeler les liens très étroits entre la production de métal et la production énergétique. Les deux secteurs sont intimement liés, puisque environ 8 % à 10 % de l’énergie primaire mondiale est consacré à extraire et raffiner les ressources métalliques, et que l’industrie minière représente à elle seule 20 % de l’énergie utilisée par le secteur industriel à l’échelle mondiale. Toute hausse de la demande globale de métaux induira ainsi une augmentation de la demande énergétique. Dans ce contexte, la question même de la soutenabilité des ENR – en matière de consommation énergétique ou de matériaux – se pose. Enfin, la localisation des ressources et les stratégies d’acteurs (structures industrielles, politique d’embargo, etc.) peuvent rendre critique l’utilisation d’une matière première. Le lithium, métal stratégique pour la production de batteries, est assez représentatif des nouveaux enjeux liés à la transition énergétique : le potentiel d’électrification des véhicules au niveau mondial, la concentration des réserves sur un nombre restreint de pays [21] et la structure oligopolistique du marché offriront peut-être un nouveau visage de la dépendance des pays aux matériaux de la transition énergétique.
Parallèlement à la criticité, la question des droits de propriété industrielle est essentielle pour comprendre les évolutions de la géopolitique énergétique, et plus particulièrement celle des ENR. En effet, la propriété industrielle des technologies les plus performantes de décarbonisation des mix énergétiques influera forcément sur leur coût de diffusion. Les quatre grandes familles technologiques de décarbonisation (biocarburants, éolien, solaire photovoltaïque [PV] et solaire thermique) ont été à l’origine d’environ 280 milliards de dollars d’investissements en 2014, chiffre proche du record enregistré en 2011, le solaire restant le secteur le plus porteur à l’heure actuelle et l’éolien la filière la plus mature. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a ainsi comparé, en 2014, le nombre de brevets déposés pour ces quatre catégories entre 2006 et 2011 : sur cette période, leur volume a dépassé celui enregistré entre 1975 et 2005. En outre, leur croissance annuelle récente dépasse celle observée sur les dépôts de brevets toutes technologies confondues – entre 13 % et 27 % pour les quatre familles technologiques, contre 6 % au global [22].
Une analyse géographique permet de mieux cerner les futurs contours de la géopolitique énergétique mondiale : en 2014, la Chine représentait environ le tiers des investissements dans les ENR, dont 25 % dans le solaire, suivie de l’Europe et des États-Unis. En matière de brevets, elle est également en tête des dépôts de brevets pour trois des quatre grandes familles de technologies ENR, avec notamment près de 55 % des brevets pour le solaire thermique et 25 % pour les biocarburants. Entre 1975 et 2005, quatre pays ont particulièrement porté la dynamique de brevets dans les ENR : la Corée du Sud (LG), le Japon par l’intermédiaire de ses Keiretsu (conglomérats, notamment Mitsubishi, Panasonic, Sharp, etc.), l’Allemagne (Siemens) et les États-Unis (General Electric). Les années 2000 ont enregistré l’entrée fracassante de la Chine sur de nombreux segments des technologies ENR. Ainsi, dans le secteur des biocarburants, elle s’affiche comme un pôle innovant aux côtés du Japon, puisque 11 entreprises ou institutions de recherche sur les 20 nouveaux entrants du classement depuis 2006 sont localisées sur son territoire (Sinopec, Université de Nanjing, etc.). Dans les technologies du solaire thermique, le Japon, leader sur la période 1975-2005, est désormais dépassé par la Chine – près de 57 % des premiers dépôts de brevets entre 2006 et 2011 –, qui possède sur ce secteur près de 50 % des entreprises du top 20 mondial.
Seuls le Japon et l’Allemagne résistent encore, dans un secteur où la Chine, qui dispose de terres en grande quantité et peut réaliser des projets solaires à grande échelle, devrait rester dominante dans les années à venir. Le secteur du solaire PV est également pertinent à étudier. En effet, au début des années 2000, seuls les États-Unis, l’Allemagne et le Japon produisaient des panneaux de ce type ; depuis 2010, la Chine en manufacture plus de la moitié. En outre, cette dernière est montée en gamme, dépassant largement en conception et en innovation le champ traditionnel du PV à base de silicium. Cette dynamique est renforcée par le mouvement de délocalisation de nombreux centres de recherche et développement (R&D) de pays développés en Chine.
Si le lien brevet-innovation et innovation-déploiement n’est pas forcément simple et direct [23], les développements récents de ces quatre grandes familles technologiques nous renseignent sur le poids potentiel des différents pays ou des différentes zones en matière de pouvoir de marché technologique pour les années à venir. La Chine, acteur majeur de la géopolitique énergétique actuelle, renforcerait ce rôle grâce à la montée des ENR, mais en tant que pourvoyeur de solutions technologiques.
La problématique des brevets est souvent analysée avec une finalité normative, dans le but de créer un cadre pertinent de transferts des technologies de décarbonisation des pays du Nord vers les pays du Sud. Or, une lecture plus géopolitique invite également à questionner la dimension industrielle, notamment à travers la recherche d’un pouvoir de marché économique et financier sur ces technologies. Les États-Unis, l’Asie (Japon, Chine) et l’Europe – notamment l’Allemagne – devraient rester des zones majeures en matière de R&D énergétique pour les secteurs de la décarbonisation, mais la Chine s’affirmerait comme potentiel futur leader. Cette redistribution des cartes pousse à s’interroger sur les nouvelles formes de coopération à développer dans le cadre des grands défis environnementaux à venir. En effet, que ce soit l’équilibre entre la R&D publique et la R&D privée ou le cadre de coopération transnationale, ces éléments doivent permettre de définir des accords « gagnant-gagnant » pour le plus grand nombre de pays, sous peine de se retrouver dans un nouveau rapport de dépendance exacerbée. L’absence de prise en compte de cette dimension dans les politiques énergétiques favorisant les ENR ne ferait ainsi que substituer une dépendance technologique à une dépendance aux ressources.
La diffusion des ENR dans le mix énergétique mondial affecterait également les pays producteurs d’énergies fossiles. D’une part, on peut légitimement penser que ces politiques auront de profondes conséquences sur les marchés d’énergies fossiles, au premier rang desquels le pétrole et le charbon. La diminution – ou décélération dans un premier temps – du volume d’importation affecterait ainsi la sécurité de la demande [24] des pays producteurs et aurait de larges implications macroéconomiques sur ces derniers. La baisse des prix, et donc des recettes d’exportations et budgétaires sur le long terme, pourrait modifier, à terme, les équilibres nationaux et régionaux.
D’autre part, ce mouvement aurait un impact important sur les structures économiques des pays producteurs et, par effet de contagion, sur les circuits de financement économiques internationaux. En effet, le mouvement de diversification vers les ENR, déjà observable dans de nombreux pays producteurs (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, etc.) pourrait les inciter à diminuer très fortement le rythme d’extraction des ressources fossiles, ce qui leur permettrait de répartir leur revenu sur un horizon de long terme. Les équilibres régionaux et la puissance relative des États pourraient s’en trouver modifiés, contribuant à une hausse marquée des risques dans certaines zones géographiques. Enfin, la baisse des revenus pétroliers aurait des conséquences non négligeables sur les pays développés, notamment ceux, États-Unis en tête, qui bénéficient du recyclage des pétrodollars pour leurs émissions de dettes. Ainsi, par effet contagion, le changement de modèle des pays producteurs de pétrole ne serait pas sans conséquences sur l’économie mondiale et les grands équilibres financiers. Les politiques de transition énergétique vers les ENR ne devraient donc pas faire disparaître la géopolitique énergétique traditionnelle mais ouvriraient un nouveau chapitre des relations internationales. Si elles diminueraient la dépendance aux différents producteurs d’énergies fossiles et permettraient d’avoir un mix énergétique moins carboné, améliorant ainsi l’indépendance énergétique, elles ne sont pas exemptes de nouvelles dépendances. En effet, à une dépendance ressources – fossiles – pourrait se substituer une autre dépendance ressources – métaux stratégiques –, à laquelle s’adosserait une composante technologique majeure – brevets –, notamment pour la diffusion dans les pays du Sud des technologies de décarbonisation les plus efficientes. La question de la coopération internationale sur ce point est donc fondamentale et forgera également la géopolitique des renouvelables. Dans le sillage de la COP 21, ce chantier doit s’ouvrir rapidement pour poser les jalons d’un nouvel ordre énergétique au niveau mondial car avec la diffusion des ENR, la géopolitique énergétique globale va indéniablement se complexifier.
- [1] La Standard Oil of New Jersey, l’Anglo-Iranian et la Shell signent, le 17 septembre 1928, l’accord d’Achnacarry, qui stipule ouvertement un partage des marchés et des informations de production, ainsi que de nouvelles modalités de détermination des prix. Cet accord, assimilé à l’acte de naissance officiel du cartel des sept ou des huit sœurs, est par la suite signé par Mobil Oil, la Standard Oil of California, Gulf Oil, Texaco et la Compagnie française des pétroles (CFP). Son objectif principal vise à discipliner les différents acteurs du marché et à éviter toute concurrence sur les prix.
- [2] L’Arabie saoudite et la Norvège, par la seule présence de ressources pétrolifères sur leur sol, en constituent des exemples intéressants.
- [3] On parle de politique des quatre A. Voir Asia Pacific Energy Research Centre, A Quest for Energy Security in the 21st century, Tokyo, août 2007. Pour une lecture plus académique : Jessica Jewell, Aleh Cherp et Keywan Riahi, « Energy security under de-carbonization scenarios : An assessment framework and evaluation under different technology and policy choices », Energy Policy, vol. 65, février 2014, pp. 743-760.
- [4] Au sens de la disponibilité brute, soit un excédent observable sur le marché.
- [5] Une ressource peut être disponible mais non-accessible en raison de l’absence de relations commerciales, de divergences contractuelles ou de conflits entre États. L’accessibilité représente en quelque sorte une mesure du temps d’accès à la ressource.
- [6] Cette notion contient une forte dimension économique, à savoir le rapport entre le coût de la ressource et les revenus du demandeur – ou sa capacité à payer la ressource à court terme.
- [7] La notion d’acceptabilité recouvre les questions environnementales et leur recevabilité par les populations locales. Elle intègre à un niveau plus global celle de soutenabilité environnementale.
- [8] Patrick Criqui et Silvana Mima, « European climate-energy security nexus : A model based scenario analysis », Energy Policy, vol. 41, février 2012, pp. 827-842.
- [9] US Department of Energy, « Energy in Brief », 2001.
- [10] BP, BP Statistical Review of World Energy, Londres, juin 2015.
- [11] Commissariat général au Développement durable, Chiffres clés de l’énergie. Édition 2014, Paris, février 2015.
- [12] Données Eurostat, 2015.
- [13] Une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et leur division par quatre entre 1990 et 2050.
- [14] Une réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 (par rapport à 2012), en visant un objectif intermédiaire de 20 % en 2030.
- [15] Une réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à la référence 2012 et une hausse de la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % en 2030.
- [16] Le potentiel impact du développement des biocarburants sur l’insécurité alimentaire dépendra également de nombreuses variables, comme notamment les rendements agricoles futurs et les changements d’habitudes de consommation.
- [17] Noémie Poize et Andreas Rüdinger, « Projets citoyens pour la production d’énergie renouvelable : une comparaison France-Allemagne », IDDRI Working Paper, n° 1, janvier 2014.
- [18] Le projet Desertec étudie par exemple la mise en place d’une diffusion massive des ENR en Afrique du Nord, notamment pour alimenter en électricité la plaque européenne.
- [19] Les marchés des métaux non ferreux (cuivre, aluminium, nickel, etc.) ont des productions de plusieurs millions de tonnes alors que les petits métaux ont des productions en tonnes, en centaines de tonnes et plus rarement en milliers de tonnes.
- [20] Étant présents en faible teneur et en petite quantité dans les gisements, il n’est pas économiquement viable de les extraire en tant que produits principaux, mais en tant que coproduits ou sous-produits d’un métal majeur, et parfois même en tant que sous-produits d’un sous-produit. Par exemple, le gallium et le vanadium sont des sous-produits de l’aluminium. Le rhénium est un sous-produit du molybdène, lui-même coproduit du cuivre.
- [21] L’Argentine, la Bolivie et le Chili forment ce que l’on appelle le triangle du lithium.
- [22] OMPI, World Intellectual Property Indicators, Genève, 2014.
- [23] En effet, les structures de prix de l’énergie à l’intérieur des pays, la complémentarité entre R&D privée et R&D publique ou encore la gouvernance globale du secteur sont autant de facteurs qui peuvent entraver les liens entre brevet, innovation et déploiement des technologies à large échelle.
- [24] La sécurité de la demande est un concept développé par l’OPEP, qui se veut le pendant de la sécurité de l’offre des pays consommateurs pour les pays producteurs. Elle symbolise notamment la nécessité pour ces derniers d’avoir une trajectoire de demande prévisible et stable.