Introduction. États et nations dans la mondialisation / Par Didier Billion

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Dans le moment présent de la mondialisation libérale, les questions concernant le rôle des États et le réexamen de la pertinence du concept de nation taraudent le débat public. En France, nation politique par excellence, les controverses sur le sujet, à défaut d’être toujours bien posées, sont singulièrement virulentes.

La notion de nation, qu’au passage la plupart des grands États du monde défendent fermement et sans introspection permanente, serait-elle dépassée ? L’extension planétaire du capitalisme financier mine-t-elle les nations ? Serions-nous d’ores et déjà dans une étape postnationale de l’histoire universelle ? La nation reste-t-elle encore le cadre pertinent de l’exercice de la souveraineté démocratique ? Voici quelques-unes des questions qui parcourent et irriguent les contributions de ce dossier.

Comme aiment à le répéter les partisans de la stricte défense du cadre d’un État national, l’humanité est une notion éthique et / ou zoologique, mais pas un concept politique. La communauté politique s’inscrit pour sa part dans un espace, elle se détermine avec un dedans et un dehors. Ces paramètres ne sont pas – encore – purement et simplement effacés par la globalisation marchande, mais néanmoins bouleversés. En effet, les espaces se réorganisent, les réseaux – financiers, entrepreneuriaux, ethniques, confessionnels – travaillent des territoires au sein desquels les citoyens changent d’échelle en permanence, dans un jeu complexe d’imbrications et d’emboîtements.

La « remise en cause » des nations ne conduit toutefois pas automatiquement à une république universelle sans frontières, ni même à la société civile cosmopolite rêvée par Emmanuel Kant, mais elle aboutit, au contraire, à de nouvelles formes de centralisation impériale, d’une part, et à des fragmentations féodales, de l’autre. Uniformisation marchande contre morcellements micro-identitaires, en somme. De ce point de vue, l’État-nation constitue encore un cadre de résistance, tant à la domination du capitalisme néolibéral qu’à la décomposition vindicative des appartenances étriquées. Mais si la nation peut représenter, par-delà les particularismes des provinces et des clochers, un élan d’universalité, la quête de l’identité nationale tend souvent à se charger aujourd’hui d’un présupposé naturaliste et ainsi à se retourner vers la quête régressive de l’origine et de la pureté. Une nouvelle fois, nation citoyenne versus nation ethnique constitue donc l’un des éléments centraux qui traversent ces défis.

Le système d’organisation politique des communautés humaines n’est pas fixé une fois pour toutes et connaît sans cesse des adaptations et des évolutions, ce qui constitue bien un des enjeux de l’avenir du cours des relations internationales. Le rôle des États efficients reste irremplaçable pour parvenir à une organisation multilatérale et multipolaire de la planète. Il semblerait à ce titre opportun de cesser d’agiter le fumeux concept de communauté internationale à tout propos. Car lorsque les États souverains acceptent d’abandonner tout ou partie de leurs prérogatives, c’est au profit de la dictature du marché, et non à celui d’un nouvel espace démocratique. La crise financière et économique mondiale que nous traversons rappelle quotidiennement que là est le nœud du problème.

Les États demeurent nécessaires pour la mise en œuvre d’une régulation ordonnée des rapports entre les peuples et aucune prétendue communauté internationale n’agira en leur place. Il apparaît ainsi impératif de ne point céder aux courants de pensée – libéraux, gauchistes ou fédéralistes – qui postulent et préconisent le déclin des États. Si la forme d’organisation des sociétés humaines ne sera pas éternellement celle de l’État-nation, il n’en demeure pas moins qu’elle est, à ce stade, la plus efficace.

Il faut néanmoins sans cesse conserver en mémoire la lumineuse formule de Jean Jaurès : « C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène » [1].


  • [1] Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, Éditions de L’Humanité, 1915, p. 464.