À quoi servent les BRICS ? / Par Sylvie Matelly

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  • Sylvie Matelly

    Sylvie Matelly

    Ancien.ne chercheur.se à l'IRIS

Le concept de BRIC est énoncé pour la première fois en 2001 par Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs pour désigner quatre pays émergents, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, dont le produit intérieur brut (PIB) total devaient dépasser selon lui celui des six plus grandes économies de la planète (États-Unis, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie) à l’horizon 2050 [1]. Il s’agit donc au départ d’un concept financier, qui conduira d’ailleurs la banque à créer un fonds d’investissement, le « BRIC Fund », en 2006.

L’idée qui domine à cette époque est celle d’un déclin, absolu ou relatif selon les points de vue, des grandes économies développées. En effet, ces pays, parce que déjà très développés mais aussi en raison du vieillissement de leur population, font face à des perspectives de croissance modérée. Leurs rendements financiers devraient donc se réduire avec le temps. Banquiers et financiers sont alors à la recherche de nouveaux « eldorado » pour leurs investisseurs, et les BRIC présentent le double avantage de l’émergence économique et d’une taille critique leur permettant de pouvoir espérer jouer un rôle-clé sur la scène internationale – en termes clairs, participer à la redéfinition des règles et à la réforme des grandes organisations internationales. Partant, ces « nouvelles puissances » devaient devenir de nouveaux moteurs de la croissance mondiale.

C’est bien ainsi que l’ont compris les BRIC, qui se sont très vite associés et coordonnés pour exister en tant que tels, ralliant même l’Afrique du Sud en 2010, et proposer des alternatives à l’architecture d’organisations internationales issue des accords de Bretton Woods. Ils poussèrent, par exemple, la réforme des quotes-parts et des droits de vote au sein du Fonds monétaire international (FMI), estimant à juste titre que les pays du G7 y disposaient de pouvoirs exagérément supérieurs à la réalité de leur poids économique, Washington bénéficiant même d’un droit de veto. La crise de 2008 est venue renforcer leur détermination, la complémentarité de leurs économies les aidant à limiter les conséquences du ralentissement de la croissance en Europe et aux États-Unis. Pour autant, ni ce dynamisme économique, ni même les initiatives prises par ces pays pour exister en tant qu’ensemble n’ont réellement permis de réellement renverser les grands équilibres de la mondialisation. Dès lors se pose la question de savoir à quoi servent les BRICS ?

Du concept à la réalité politique et économique

L’acronyme BRIC a donc d’abord été un concept, une idée d’investissement alternatif à des économies déclinantes. Nouveaux moteurs de la croissance économique mondiale, ces pays se positionnaient comme le noyau dur d’un autre monde, jusque-là périphérique mais qui pouvait, en s’unissant, devenir un « centre ». La mondialisation économique avait en effet permis l’émergence d’un certain nombre de pays en voie de développement, sans pour autant que les grandes organisations internationales ou même les forums et grands rendez-vous mondiaux ne s’y adaptent et ne leur accordent une plus grande place. Cette marginalisation de leur puissance montante positionnait donc ces quatre pays comme une alternative possible – souhaitable ? – à la domination des relations internationales par les pays du Nord depuis plusieurs siècles et à la mondialisation telle que pensée après la Seconde Guerre mondiale par ces mêmes alliés.

Dans ce contexte, ils sont, au moins dans un premier temps, parvenus à trouver un destin commun, en se positionnant comme une suite logique du non-alignement. Ils ont alors repris le vocabulaire et les discours des pays non-alignés pendant la guerre froide, proposant une vision du monde et des relations internationales différente, ne reposant plus sur la domination des uns sur les autres. Ce positionnement pouvait paraître étrange à première vue pour la Russie, par exemple, ou même pour la Chine ou le Brésil, qui n’ont pas directement été parties prenantes de ce mouvement des non-alignés. Il relevait pourtant d’une réalité pour des pays dont les différences de vues et d’intérêts avaient souvent ponctué les relations avec les économies les plus avancées – oppositions dans les négociations bilatérales ou internationales, sanctions économiques ou diplomatiques, plaintes déposées à l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), etc.

Tableau n° 1 : La compétitivité globale des BRICS – Rang mondial dans le Global Competitive Index (GPI) en 2015

La compétitivité globale des BRICS – Rang mondial dans le Global Competitive Index (GPI) en 2015

Source : Klaus Schwab (dir.), The Global Competitiveness Report 2015-2016, Genève, World Economic Forum, 2015.


L’un des éléments les plus marquants de leur reconnaissance aux côtés des autres puissances fut probablement l’importance croissante du G20 des chefs d’État au moment de la crise en 2008. Ces pays n’en abandonnèrent pas moins la critique des grandes organisations internationales telles que le FMI, et en particulier de ses modalités de financement du développement. Ils reprochaient non seulement la rigidité de l’organisation dans la mise en place des plans d’ajustement structurel, mais aussi la mainmise des grandes économies en son sein. Disposant d’intérêts croisés en Afrique et forts d’une présence croissante sur ce continent, ils prirent alors l’initiative de créer une nouvelle banque pour accompagner et financer le développement des pays africains.

Le poids économique et, par conséquent, l’émergence de ces pays leur ont permis de se percevoir et d’être perçus comme des puissances montantes ou en devenir. Probablement pour cette raison, ces quatre puis cinq pays se sont avant tout positionnés sur les questions économiques, multipliant leurs partenariats ou envisageant de nouvelles modalités de financement du développement économique. La Chine a ainsi massivement investi au Brésil – dont 53 milliards de dollars dans Petrobras en 2015 – et négocie avec l’Afrique du Sud, dont elle est le premier partenaire commercial, pour développer des énergies renouvelables. En 2015, la Russie et l’Inde ont intensifié leur coopération en matière d’armement, l’Inde étant le deuxième client de la Russie et la Chine le troisième dans ce domaine.

Des convergences certaines

Ces cinq pays partagent nombre de points communs qui expliquent en grande partie leur volonté de se rapprocher afin de peser sur les affaires du monde. Ce sont de très grands pays qui totalisent à eux cinq un tiers de la surface du globe et plus de 40 % de la population mondiale. Chacun jouit incontestablement d’une influence régionale tant politique qu’économique ou stratégique et militaire. Ils sont également des « global players » disposant d’une puissance militaire – pour certains nucléaire – et de la volonté de peser comme tel.

Leur insertion dans le commerce mondial a été un facteur incontestable de développement et d’amélioration du niveau de vie de leurs populations. Elle crée aussi une dépendance commune aux marchés mondiaux qui les fragilise lorsque ces derniers faiblissent. Ces pays partagent également une réelle difficulté à asseoir leur émergence sur une diversification de leur économie soit en stimulant la demande intérieure et en augmentant la valeur ajoutée de leur production (Chine et Inde), soit en relançant l’industrie et la compétitivité de celle-ci (Russie, Brésil et Afrique du Sud). Cette difficulté accroît leurs dépendances et leurs vulnérabilités, et renforcent leur volonté de peser davantage sur l’organisation du monde et les règles de marchés.

La crise de 2008 leur a offert un véritable tremplin d’influence : avec le renforcement du G20, qui apparaissait dans les premiers temps de la crise comme un forum bien plus pertinent que le G8, ces pays entraient à la table des grandes décisions mondiales dans un moment terriblement délicat, dans lequel il ne s’agissait pas seulement de gérer les affaires courantes mais bien d’éviter une réplique de la grande dépression de 1929, de repenser le protocole de Kyoto et la lutte contre le changement climatique, et enfin de finaliser la réforme des grandes institutions internationales.

Figure n° 1 : Poids des BRICS (% du total mondial)

Poids des BRICS (% du total mondial)

Source : FMI, World Economic Outlook Database, avril 2016.


Les cinq se positionnèrent alors comme les représentants des pays en développement. Même si d’autres pouvaient prétendre jouer ce rôle au sein du G20, leur catégorisation et leur taille semblaient les dimensionner comme une alternative au G7. Frustrés par la lenteur, voire l’absence de réformes du système international, ils profitèrent de la crise pour afficher leurs visions et commencèrent à réfléchir à une institutionnalisation de leur groupe. Le premier sommet des BRIC s’est ainsi tenu à Ekaterinbourg, en Russie, en juin 2009, quelques jours à peine avant le G8, où seule la Russie était invitée – les autres pays n’étant qu’observateurs. L’intégration de l’Afrique du Sud a ensuite été une sorte de porte d’entrée vers un continent où ces pays ont de plus en plus d’intérêts économiques, partagés ou concurrents [2].

En 2012, l’Inde propose la création d’une banque commune qui soutiendra le développement économique des pays les plus pauvres. Le continent africain est à nouveau clairement visé, les BRICS s’y investissant de plus en plus. En 2014 donc, lors du sommet de Fortaleza, au Brésil, les BRICS mettent en place, outre cette banque de développement, un fonds de réserve, le Contingent Reserve Arrangement (CRA), afin de disposer de provisions et de liquidités pour répondre à d’éventuels déséquilibres des balances des paiements. Avec ces deux nouveaux instruments, ils créent aussi des moyens d’agir et de financer des pays ou des projets, indépendamment des institutions de Bretton Woods. La Nouvelle Banque de développement des BRICS est dotée d’un capital de 100 milliards de dollars et la contribution de chacun détermine son droit d’accès et ses droits de vote. La Chine y occupe ainsi une place prépondérante, avec près de 40 % des droits de vote.

Beaucoup aujourd’hui pointent l’incapacité de ces pays à aller au bout de leurs initiatives [3]. Toutefois, du point de vue financier qui a inspiré l’origine du concept, l’ensemble a relativement bien fonctionné puisqu’un investissement de 100 dollars dans l’un de ces pays en 2001 rapportait, dix ans plus tard, 674 dollars au Brésil, 451 en Chine, 459 en Inde et 414 en Russie. La tendance économique s’est toutefois inversée depuis et le fonds BRICS de Goldman Sachs a été fermé en novembre 2008.

Dissemblances, divergences, discordances

Pour autant, leurs différences restent criantes et affaiblissent leur cohésion quand, paradoxalement, leurs rapprochements les ont rendus plus interdépendants. Ainsi, ce sont aussi aujourd’hui leurs difficultés économiques qui les affaiblissent et réduisent la légitimité même du concept de BRICS en tant que tel et leur positionnement comme une alternative tant politique qu’économique aux pays les plus riches.

La particularité la plus marquante qui caractérise ces cinq pays est ainsi probablement leur très grande hétérogénéité, tant d’un point de vue géographique, politique ou géopolitique que social ou économique. Leurs régimes politiques varient en effet de la démocratie parlementaire pluripartite à un système autoritaire dirigé par un parti unique. Quant aux structures économiques, le poids des trois secteurs reste très différent, traduisant la persistante dépendance de trois d’entre eux à leurs exportations de matières premières (Brésil, Afrique du Sud et Russie), quand la Chine a pour sa part fondé son développement économique sur l’industrialisation. Le Brésil et la Russie ont même connu ces dernières années une sorte de désindustrialisation précoce, subissant pour partie le syndrome hollandais lié à des prix de matières premières élevés qui, parce qu’ils entraînent une entrée de devises, renforcent la valeur de la monnaie et pénalisent la compétitivité globale des industries. En outre, le Brésil a plutôt vu prospérer le secteur financier – d’où l’importance des services – sans pour autant que cette financiarisation ne profite aux investissements dans le secteur industriel [4].

L’Inde reste, quant à elle, plus en retard dans son développement économique, avec un secteur agricole important et, par conséquent, une population parmi les plus défavorisées des cinq pays. Son PIB par habitant était, en 2015, de 6 162 dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) et de 1 617 dollars en valeur de marché. À titre de comparaison, il représentait, en PPA, le double en Afrique du Sud et était quatre fois plus élevé en Russie.

L’une des principales conséquences de ces différences est un décalage dans leurs taux de croissance respectifs. D’une part, la Chine et l’Inde, dont les économies sont directement connectées et dépendantes des pays du Nord, ont une croissance qui réagit vite à la conjoncture économique dans les pays occidentaux, qui sont leurs principaux clients. Elle faiblit donc au moment de la crise, dès 2008-2009. D’autre part, le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud, dont le développement économique repose en grande partie sur leurs exportations de matières premières, subissent le contrecoup du ralentissement économique mondial avec un décalage qui correspond peu ou prou au temps où l’accumulation des stocks dans les pays « usines du monde » conduit ces derniers à ralentir les cadences de production industrielle, et donc leurs commandes de matières premières.

Outre leurs différences, et comme une conséquence de celles-ci, ces pays restent très divisés sur nombre de sujets, ce qui constitue probablement l’une de leurs principales faiblesses pour pouvoir peser ensemble et globalement. Ainsi restent-ils, sur des marchés globaux et dans leurs stratégies de développement économique, avant tout des concurrents. Le lancement de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures à l’initiative de la Chine, en mars 2015, n’est-il pas d’ailleurs le signe d’un agacement de cette dernière face au peu d’empressement de ses quatre partenaires à réellement investir et s’investir dans la Nouvelle Banque de développement créée par les BRICS, pourtant lancée en juillet 2014 et installée à Shanghai ?

De par leur histoire, leurs relations avec les autres pays, leurs positions géographiques, ils défendent aussi des intérêts nationaux très différents, et parfois incompatibles. Par exemple, même si les cinq pays ont adopté une position commune sur les situations syrienne, libyenne ou encore afghane, ils se divisent sur d’autres sujets. C’est ainsi que l’Inde et la Brésil ont récemment menacés de quitter les BRICS si la Russie « continuait à imposer son agenda anti-occidental » [5]. Une Russie qui, justement, a toujours été le pays le plus volontaire dans l’institutionnalisation de ce groupe, en prenant l’initiative du premier sommet, en 2009, pour asseoir une position commune face à l’Europe et aux États-Unis au sein du G20 et adopter des mesures pour contrer la crise économique mondiale. Nouriel Roubini, professeur d’économie à l’Université de New York, est même très dur avec la Russie, qu’il considère comme l’imposteur de ce groupe [6]. La Chine défend, pour sa part, plus directement ses intérêts économiques – qui vont d’ailleurs à l’encontre d’une opposition frontale aux pays du Nord, ses principaux marchés. Elle se trouve ainsi beaucoup plus impliquée sur la dimension économique de cette coopération et voudrait faire avancer les dossiers économiques comme la Nouvelle banque de développement. Les Indiens critiquent régulièrement cette domination chinoise au sein du groupe, qui est incontestable et directement liée à son poids économique.

L’inventeur du concept expliquait d’ailleurs en 2013 que s’il devait le recréer, il n’y intègrerait que la Chine [7]. Il est vrai que les BRICS restent constitués de deux puissances économiques émergentes, la Chine et l’Inde, d’un pays qui tente de restaurer sa puissance politique, la Russie, et de deux puissances régionales, le Brésil et l’Afrique du Sud. Ces différences réduisent de fait l’influence potentielle du groupe, les initiatives étant plus souvent unilatérales et nationales que communes.

Quel futur pour les BRICS ?

Davantage qu’un ensemble commun, il est intéressant d’envisager les BRICS en tant que pôles alternatifs de puissance et de croissance. Ces pays sont, en effet, apparus comme de réelles opportunités pour les investisseurs en grande partie en raison d’effets de taille qui leur donnaient une certaine inertie et peut-être plus de stabilité que des pays de taille plus réduite. Les raisons de cette stabilité ne sont pas liées uniquement à la taille : de par leur positionnement au niveau régional mais aussi leur poids dans l’économie mondiale, ces pays multiplient les interdépendances avec d’autres acteurs-clés. Pour autant, cela n’a pas permis à la Russie, par exemple, d’échapper aux sanctions à la suite de la crise ukrainienne.

En outre, il n’y a pas vraiment de rupture dans l’évolution de l’économie mondiale : l’importance des BRICS croît de manière régulière dès le début des années 1990, date à laquelle ils ne représentent que 5 % du PIB mondial, pour atteindre 8,5 % en 2001, puis 9,6 % en 2004, et enfin 22,6 % en 2015. Cet essor n’explique pour autant pas totalement le déclin des économies les plus avancées. Il existe en effet, en Asie, en Amérique latine ou en Afrique, d’autres puissances émergentes. Les BRICS ne sont qu’un épiphénomène d’une tendance générale de la mondialisation : la diffusion de l’émergence et du développement économique dans des proportions encore jamais atteintes. En effet, là où les pays du G7 et des BRICS représentaient ensemble 75 % de la richesse mondiale en 2001, ils pèsent pour un peu moins de 70 % du PIB global en 2015. La montée en puissance des BRICS ne compense donc pas totalement le déclin relatif des pays les plus développés. D’autres pays émergents connaissent également un accroissement de leur poids dans le PIB mondial et auraient légitimement pu faire partie d’un groupe de pays « prometteur ». En 2001, Jim O’Neill avait lui-même hésité entre le Brésil et le Mexique. La Corée du Sud ou la Turquie auraient aussi pu être certains d’entre eux. Mais ces pays traversent désormais une crise qui conduit à un ralentissement en Chine et à une récession probablement durable en Russie et au Brésil pour plusieurs raisons, parmi lesquelles le ralentissement chinois et la chute des prix du pétrole et, plus généralement, des matières premières.

Ainsi, d’une sorte de cercle vertueux où la croissance des économies émergentes alimentait le « boom » des prix des matières premières accompagnant le développement, puis l’émergence de nouvelles économies, le retournement de la conjoncture dans les pays du Nord, compensé dans un premier temps par une croissance chinoise encore plus forte a, in fine, affaibli l’ensemble des émergents, à quelques exceptions près. Les BRICS sont une illustration de ce processus, la Chine entraînant les autres pays dans le sillage de sa croissance puis de son ralentissement, à l’exception peut-être de l’Inde, dont l’économie tire plutôt profit de la baisse des prix des matières premières. L’Inde semble, en effet, pour l’instant épargnée par la crise, mais les investisseurs s’inquiètent de la lenteur des réformes dans un pays qui a, par ailleurs, toujours souffert de la mauvaise qualité de ses infrastructures. Pour autant, ces difficultés économiques semblent amplifier aujourd’hui les différences et les divergences entre ces pays.

Le paradoxe est aussi que ces pays ont pu émerger grâce à la mondialisation, qui est une conséquence de la libéralisation économique voulue par les pays du Nord après la Seconde Guerre mondiale et dont les grandes institutions qu’ils critiquent tant sont les garantes. Le tout dans un contexte où la stabilité assurée par des dépenses militaires américaines inégalées, et probablement inégalables, garantit une forme de stabilité globale qui a permis le développement des échanges commerciaux et la mobilité du capital, et donc des investissements dans ces pays. C’est là à la fois le cœur et la limite des BRICS : le statu quo d’un système qui soutient leur développement économique alors même qu’ils revendiquent l’inverse.

Et même si ce groupe de pays a constitué, depuis la fin de la guerre froide, la première remise en cause crédible de la toute-puissance du G7 et de ces pays « riches » dans la mondialisation libérale, ils apparaissent aujourd’hui affaiblis par la crise et divisés, potentiellement concurrencés par d’autres puissances émergentes comme la Turquie, qui dispose d’un secteur financier solide, d’une consommation intérieure dynamique et dont la politique énergétique ou la proximité avec l’Union européenne (UE) ou les États-Unis sont autant d’atouts. L’Indonésie, dont la classe moyenne s’étend rapidement et qui dispose d’une démocratie relativement stable même si son PIB par habitant reste faible, peut également entrer dans ce cadre. Elle est, par ailleurs, moins dépendante de ses exportations que ses voisins asiatiques et bénéficie de ressources naturelles et d’une position géographique qui attirent les investissements directs étrangers.

Dans ce contexte, les BRICS se trouvent au milieu du gué : soit ils se laissent diviser par leurs différences et leur rôle comme groupe et pôle alternatif d’influence s’affaiblira ; soit ils parviennent à trouver des intérêts et un destin communs, à asseoir le fonctionnement de leur banque de développement et à créer de nouveaux instruments et pourront alors espérer peser. En prévision de leur huitième sommet à Goa en octobre 2016, le Premier ministre indien Narendra Modi a proposé plusieurs initiatives pour relancer la coopération, comme la création de centres de recherche sur l’agriculture ou les chemins de fer, d’une compétition de football ou d’un festival de cinéma, une initiative dans le domaine du digital et le développement de coopérations entre les villes de ces pays. Cela suffira-t-il ?


  • [1] Jim O’Neill, « Building Better Economic BRICs », Global Economics Paper, n° 66, Goldman Sachs Economic Research Group, novembre 2001.
  • [2] Mike J. Kahn, « The BRICs and South Africa as the Gateway to Africa », The Journal of the Southern African Institute of Mining and Metallurgy, vol. 111, juillet 2011.
  • [3] Voir par exemple Rushir Sharma, « Broken BRICs. Why the Rest Stopped Rising », Foreign Affairs, novembre-decembre 2012 ; et Nouriel Roubini, « Quelles sont les grandes économies émergentes ? », Project Syndicate, 15 octobre 2009.
  • [4] Mylène Gaulard, « Les causes de la désindustrialisation brésilienne », Revue Tiers Monde, n° 205, Armand Colin, 2011/1.
  • [5] Kathrin Hille, Joe Leahy et Andrew England, « Brics nations’ differences on display as club stages summit », Financial Times, 8 juillet 2015.
  • [6] Nouriel Roubini, op. cit.
  • [7] Luciana Magalhaes, « China Only BRIC Country Currently Worthy of the Title – O’Neill », The Wall Street Journal, 23 août 2013.