Entretiens
14 février 2014
Relations transatlantiques : la visite de Hollande à Obama a-t-elle changé la donne ?
Alors qu’Obama n’avait accueilli que très peu de visites d’Etat depuis le début de sa présidence, comment interpréter son invitation à François Hollande ?
C’est effectivement un geste appuyé puisque les visites d’Etat sont rares et que la France n’est pas une habituée de ce type d’invitation. Obama a voulu envoyer un geste amical et un hommage appuyé au président de la France. Ceci est lié, je crois, aux interventions militaires extérieures que la France a mené notamment au Mali et en Centrafrique et sa détermination affichée sur des sujets de politiques étrangères comme l’Iran ou la Syrie. Et peut-être y a-t-il aussi une forme d’excuse de la part d’Obama étant donné que pour la question syrienne, alors que la France était prête à faire des frappes, Obama l’a laissé seul en le justifiant par sa dépendance à la décision du Congrès qui était alors en vacances. Et puis il y a eu un accord bilatéral entre John Kerry et M. Lavroff sur le désarmement chimique syrien. Donc les Français ont été un peu délaissés lors de cet épisode.
Lors de la visite d’Etat de François Hollande, les deux pays ont fait le choix d’une “alliance transformée”. Doit-on penser que les relations franco-américaines sont entrées dans une nouvelle ère ?
Une « alliance transformée » ne veut pas dire grand-chose, c’est une expression utilisée à tort et à travers depuis longtemps. En revanche, que l’on soit entré dans une nouvelle ère dans les relations franco-américaine, la réponse est à la fois oui et non. Il n’y a pas eu de révolution stratégique depuis la réélection de Barack Obama et l’élection de François Hollande. Mais c’est vrai qu’on n’est plus au temps de la guerre froide et que le besoin d’espace à prendre par rapport aux Américains est moins net que lorsqu’on était d’une part dans un monde bipolaire et que d’autre part les présidents américains étaient relativement interventionnistes et voulaient diriger d’une main ferme la scène internationale sans laisser beaucoup d’espace aux pays européens. Barack Obama est beaucoup plus ouvert au multilatéralisme et moins interventionniste dans les affaires européennes ; il laisse les Européens s’affirmer eux-mêmes et organiser leurs propres affaires, alors que les précédents présidents tout en disant souhaiter une Europe plus forte essayaient d’empêcher toute organisation d’une Europe autonome par rapport aux Etats-Unis.
Donc on peut dire que la période et le président américain ont changé et que donc il est sans doute moins nécessaire que du temps de De Gaulle, de Mitterrand ou même de Chirac d’affirmer une indépendance à l’égard des Etats-Unis tout simplement parce que les Américains remettent moins en cause cette indépendance qu’auparavant.
Alors que l’Amérique est en phase de relatif repli en termes d’implication sur des opérations extérieures, la France, elle, s’est engagée sur plusieurs fronts. Peut-on parler d’une nouvelle répartition des rôles ?
On ne peut pas parler d’une nouvelle répartition des rôles, parce que la France n’a pas la puissance américaine et que même si la France est interventionniste, à la différence des Etats-Unis, elle intervient sur des théâtres d’actions limitées – le Mali et la Centrafrique -, et non pas sur un théâtre d’action large. Par ailleurs, elle intervient avec un feu vert international et onusien. Ce qui n’était pas le cas des Américains, par exemple en Irak. De toute façon, en dehors de cette différence juridique, il y a également une différence stratégique, étant donné que la France n’est pas la première puissance mondiale ni ne possède le rôle de premier acteur dans les relations internationales. Ainsi, la France est un acteur important, sans pour autant pouvoir être comparé aux Etats-Unis.
C’est pourquoi, on ne peut pas parler d’une nouvelle répartition des rôles dans la mesure où la France ne revendique pas le statut d’hyperpuissance ou le statut d’une puissance globale. Elle veut être une puissance qui compte, elle veut être une puissance qui agit, mais il faut arrêter là la comparaison.
On peut certainement parler d’un repli américain, dû notamment au syndrome irakien. De ce fait, après avoir été interventionniste, sans doute souvent à tort et à travers, les Américains sont en période de recul. Obama a dit qu’il avait été élu pour mettre fin aux guerres et non pas pour en commencer. Alors que François Hollande n’a pas eu peur d’intervenir au Mali et en Centrafrique. Sans oublier que nous avons évité la catastrophe qu’aurait été l’intervention en Syrie. Pour l’instant, la France a toujours agi dans un cadre international, ce qui rend incomparable la taille et le cadre légal des interventions des deux pays.