Que peut-on dire de l’état général des relations entre la France et le Royaume Uni au cours des trois années qui ont suivi le Brexit ?
« Les accords militaires de Lancaster House signés par Nicolas Sarkozy et David Cameron en 2010 avaient permis de revigorer les rapports entre deux puissances comparables. Ce partenariat n’a pas été dénoncé, il est toujours actif mais pour qu’un accord porte ses fruits, il faut une impulsion politique et celle-ci a manqué. Avant même que le Brexit ne devienne effectif, en janvier 2020, dès la victoire du « leave » au référendum de 2016, les relations sont devenues de plus en plus compliquées. Les Premiers ministres britanniques se sont succédé. Le point le plus bas de cette période a sans doute été le passage de Boris Johnson à Downing Street de 2019 à 2022, un leader populiste, artisan de la sortie de l’UE. Par ailleurs, il semblait y avoir une vraie incompatibilité de personnalité avec le président de la République.
Le sommet franco-britannique de mars 2023 a-t-il marqué un tournant ? On se souvient, justement, de l’accolade échangée à l’Elysée entre Rishi Sunak, l’actuel Premier ministre, et Emmanuel Macron ?
Entre 2018 et 2023, il n’y a eu aucun sommet franco-britannique, une période anormalement longue pour deux pays voisins de ce calibre-là. Ce sommet a indéniablement amorcé un retour vers une relation de confiance, favorisée par les circonstances internationales avec l’instabilité générée par la crise ukrainienne. Dans ce contexte, il y a, de chaque côté, une volonté naturelle de rapprochement, l’envie de rétablir des liens concrets. Par ailleurs, la personnalité du Premier ministre Rishi Sunak, élu en octobre dernier, a pu aider à ce réchauffement. C’est un homme pragmatique, qui apparaît comme plus compétent et plus macro-compatible que ces deux prédécesseurs.
Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que Keir Starmer, le chef du parti travailliste, c’est-à-dire de l’opposition, a été reçu par Emmanuel Macron il y a quelques jours. Ce n’est pas un Brexiteur, et il est régulièrement présenté comme le futur chef du gouvernement dans la mesure où il sera très difficile pour les conservateurs de se maintenir lors des élections de 2024.
Et pourtant, ces trois dernières années, les sujets de dissension se sont multipliés. On pense à l’alliance Aukus entre Camberra, Londres et Washington, qui a fait capoter le super contrat passé par la France avec l’Australie pour la livraison de douze sous-marins. Mais aussi aux tensions sur les migrants qui traversent la Méditerranée, la question des licences de pêche attribuées par les îles anglo-normandes…
L’affaire des sous-marins fait partie des coups de Jarnac qui émaillent toute compétition industrielle. Dans ce domaine, les pays ne se font jamais de cadeaux. Mais je dirais que ce chapitre, désormais, est derrière nous. Sur le plan militaire, il existe une coopération opérationnelle qui se passe bien. En revanche, la coopération entre les industries de défense, pourtant prévue par l’accord de Lancaster House, est plus rugueuse…
L’immigration est un gros sujet de politique intérieure au Royaume-Uni, comme l’est en France l’immigration transméditerranéenne. Il y a une volonté de travailler ensemble. Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un sujet de contentieux, mais certainement d’un dossier difficile et exigeant. En revanche, la non-réattribution des licences de pêche aux chalutiers français par les îles anglo-normandes a été l’occasion de vives tensions. Désormais, cette affaire occupe moins le devant de la scène… Du moins jusqu’au prochain renouvellement des licences.
Inversement, quels dossiers ont participé au rapprochement entre les deux pays ?
Globalement, il existe une forme de convergence sur les questions de politique internationale. Lorsque les Etats-Unis se sont retirés, sous l’impulsion de Donald Trump, de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, les Britanniques sont restés alignés sur la position européenne. Face à la guerre en Ukraine, Paris et Londres sont conscientes de la nécessité de poursuivre et d’accélérer l’aide à Kiev. Bien sûr, les voies d’action de la France se situent en partie à un autre niveau, celui des instances européennes, mais le lancement de la Communauté politique européenne (CPE), à l’initiative d’Emmanuel Macron, a aussi été un moyen de préserver le dialogue entre le Royaume-Uni et les 27.
De quelle manière la visite de Charles III peut-elle contribuer au renforcement des relations franco-britanniques ? On sait que le souverain britannique n’a aucun rôle politique dans son pays, mais l’influence diplomatique exercée par sa mère, Elizabeth II, au cours des nombreux voyages officiels qu’elle a effectués pendant son règne a souvent été mise en avant.
Visuellement, en termes de faste, nous sommes devant quelque chose de très marquant. Je pense notamment au dîner d’Etat à Versailles. Mais le point fort de cette visite sera très certainement le discours du roi devant le Sénat français. Ce sera la seule prise de parole officielle de son séjour. Chaque mot devra être pesé, d’autant que Charles III, même s’il a mis de l’eau dans son vin depuis qu’il est monté sur le trône, a été un activiste pour le climat. Il y a une proximité entre ses combats personnels et les orientations stratégiques que tente de prendre le gouvernement français avec la planification écologique.
Après la région parisienne, le choix de la Nouvelle-Aquitaine pour la suite de la visite royale ne doit rien au hasard. La Guyenne et la Gascogne ont été des provinces anglaises jusqu’en 1453. C’est un signal envoyé à la communauté britannique installée en France, très importante dans la région où vous trouvez des communes qui comptent jusqu’à 20 % de résidents citoyens britanniques à l’année. »
Propos recueillis par Romain David pour Public Sénat.