Xiaomi vient de présenter son premier véhicule, et les constructeurs chinois trustent peu à peu le marché des électriques. BYD a même dépassé Tesla sur le secteur. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Je pense que les constructeurs chinois ont bien compris que le véhicule électrique va être l’une des batailles de la prochaine décennie, et que le créneau est extrêmement porteur. Ils ont aussi un avantage que d’autres pays n’ont absolument pas, c’est la maîtrise des chaînes de valeur de la batterie et des métaux rares.
Ils ont donc une forme de souveraineté à produire des véhicules électriques en gros, tout simplement parce qu’ils produisent aussi la batterie et les métaux. Ils ont réussi à assembler les différentes briques : la brique métal, la brique technologique avec la batterie, la brique de l’assemblage automobile.
Et ils sortent des véhicules électriques qui vont de la basse à la haut de gamme : sur le premier modèle de Xiaomi, on est entre 73 et 150 kilowatts-heures, donc des autonomies complètement dingues. Je vais oser la comparaison : ils veulent faire dans le secteur du véhicule électrique ce qu’ils ont fait dans le solaire il y a quelques années, c’est-à-dire se retrouver avec différentes gammes de véhicules, différents constructeurs, qui vont arroser le marché. On ne devrait pas être surpris, mais il aurait fallu beaucoup plus anticiper cet état de fait.
Le président chinois Xi Jinping affirmait cette semaine qu’« aucune force ne peut arrêter le rythme du progrès scientifique et technologique de la Chine », en faisant référence aux différentes mesures protectionnistes et sanctions économiques. La Chine est-elle invincible, sachant qu’elle a la main sur la fabrication des batteries ?
Quand la Chine a lancé son plan Made in China 2025, elle avait ciblé des technologies, le véhicule électrique, l’intelligence artificielle, les technologies du recyclage. Tout ce qui est dans le plan Made in China 2025 est là aujourd’hui, ça veut dire qu’il y a une vision, une planification qui se réalise réellement aujourd’hui.
C’est pour cela que je trouve la comparaison avec le solaire assez extraordinaire : la Chine s’est rendu compte assez rapidement que venir concurrencer l’Europe sur les véhicules traditionnels n’avait pas de sens. Et cette fois, ce n’est pas n’importe qui : Xiaomi fait déjà des trottinettes, des vélos, des scooters, de l’électronique grand public, c’est une marque connue internationalement.
Ensuite, sur le fait qu’il n’y aurait aucune force empêchant la Chine d’avancer, il ne faut quand même pas oublier toutes les problématiques environnementales liées à la construction de ce type de véhicules, au cycle de vie des batteries, avec tous les impacts environnementaux sur le territoire chinois. C’est une réelle problématique.
Et ce qui s’est passé dans l’industrie chinoise ces dernières années va se répéter : quand vous avez de nombreuses entreprises qui produisent le même produit, à un moment, ça va forcément rationaliser, il va y avoir du darwinisme économique où seuls ceux qui sont rentables vont survivre. Sachant que Xiaomi offre un haut de gamme chinois. Donc s’il y a des restrictions commerciales, les gens arrêteront d’acheter des Tesla pour les Xiaomi.
Quel est l’état du marché des minerais et terres rares, essentiels à la fabrication des batteries de véhicules électriques ?
Dans les batteries, vous allez avoir besoin du nickel, du manganèse, du cobalt et du lithium, en gros. Les terres rares sont plutôt utilisées pour le moteur. Aujourd’hui, l’Indonésie produit 50 % du nickel, l’Australie produit 50 % du lithium, la République démocratique du Congo produit 70 % du cobalt.
Mais si la Chine ne produit que peu de minerais, du lithium et du cobalt notamment, elle les raffine tous. Entre 65 et 70 % des métaux des batteries sont raffinés en Chine. Donc son pouvoir de marché ne tient pas tant à l’extraction qu’au raffinage. Et cette domination de la Chine s’exerce encore plus sur les terres rares, puisqu’elle produit 60 % du total mondial et en raffine 80 %.
L’extraction des métaux et terres rares a d’ailleurs un coût et des conséquences environnementales importants…
Tragique, même ! Les impacts environnementaux de la production de terres rares sont absolument tragiques, parce qu’elles ont le mauvais goût d’être mélangées avec des éléments radioactifs. Et quand vous faites de la lixiviation, c’est-à-dire séparer les éléments, vous allez avoir des émanations radioactives dans les sols la plupart du temps.
Ce qui donne des villages chinois comme Bayan Obo (en Mongolie-Intérieure, NDLR), qui doit être à l’origine de 50 % de la production mondiale de terres rares et qu’on appelle le village du cancer. C’est un formidable exemple de ce qu’on appelle une mine non soutenable.
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