Karim Bitar (Iris) indique à Nouvelobs.com qu’il "croit en l’effet dominos car il y a plusieurs tendances lourdes" dans le monde arabe. Mais il doute d’un "Happy-ending" à la tunisienne..
La révolution tunisienne a galvanisé la jeunesse arabe de l’Atlantique jusqu’au golfe. La situation égyptienne a un certain nombre de point communs avec la situation tunisienne : un pouvoir sclérosé, un président au pouvoir depuis trente ans, un appareil militaro-sécuritaire très répressif et des conditions économiques difficiles, notamment un taux de chômage des jeunes très important. D’autant que l’Egypte connaît une pauvreté encore plus marquée que la Tunisie avec 40% des Egyptiens vivants avec moins de deux dollars par jour selon des chiffres de la banque mondiale. A tout cela s’ajoute un très mauvais aménagement du territoire et le sentiment que la croissance et les richesses sont captées par un tout petit groupe de personnes liées à la famille ou aux associés du président.
L’alignement de l’Egypte sur la politique extérieure des USA a également joué un rôle car les Egyptiens ont eu le sentiment que ce pouvoir n’était plus représentatif de leur volonté. Ce n’est pas le facteur principal mais il est clairement en arrière plan.
Enfin, il y a eu une cristallisation des rancunes contre Hosni Moubarak qui se sont exacerbées lorsqu’il a été question de prévoir sa succession et d’installer son fils.
Oui, les risques existent mais "contagion" est le mauvais terme. La jeunesse arabe est très contente et attend ces espoirs de "contagion". Cependant, je ne vois pas de "Happy-ending" à la tunisienne dans d’autres pays. Mais je crois en l’effet dominos car il y a plusieurs tendances lourdes, trois principalement, qui jouent en faveur de l’aspiration à la démocratie et aux libertés dans le monde arabe. Premièrement, la transition démographique : une baisse rapide du taux de fécondité en quelques années (En Egypte, on est notamment passé de 6,3 à 2,8 enfants par femme) accompagnée d’une hausse du taux d’alphabétisation. On a d’ailleurs assisté à ce même phénomène dans tout le monde arabe. Ces deux facteurs ont d’ailleurs, partout dans le monde, déclenché de grands bouleversements politiques.
Le chômage des jeunes est également un autre point commun. Les pays arabes doivent créer 100 millions d’emplois d’ici 2020 : cela signifie qu’il faut qu’ils investissent dans de nouveaux secteurs comme le high-tech et privilégient le développement humain. Mais ces régimes ne semblent pas capables d’effectuer cette transition qui nécessite une grande révision des politiques économiques.
Enfin, internet et les réseaux sociaux ont joué un grand rôle dans ce phénomène de soulèvements notamment avec le développement d’une solidarité inter-arabe que l’on pensait disparue. Ce développement des communications par le biais de la toile montre une véritable aspiration à la transparence.
Pourtant ces pays semblaient anesthésiés depuis vingt ou trente ans, comme si les changements avaient été retardés. Il est clair que la guerre civile algérienne des années 1990 a été un vrai traumatisme et a refroidi les ardeurs des pays voisins jusqu’ici. De plus, le 11 septembre 2001 et l’instauration d’une guerre globale contre le terrorisme ont servi aux autocrates qui ont pu serrer la vis à leurs opposants en se présentant comme le dernier rempart contre l’islamisme.
L’avènement de la guerre d’Irak a également freiné les élans de changements. Ses conséquences humaines et géostratégiques ont quelque peu dégouté les jeunes de la démocratie : on avait promis un effet domino venant d’Irak mais celui-ci est venu non pas d’une intervention militaire mais d’une révolution spontanée.
Les islamistes sont beaucoup plus présents en Egypte qu’en Tunisie, notamment avec les Frères musulmans. C’est un mouvement qui a établi un maillage de la société et qui ne peut pas être balayé d’un revers de la main. Mais il existe un autre mouvement puissant en Egypte qui refuse cette alternative. En effet, il faut rappeler que l’Egypte a connu très tôt des mouvements féministes dont les premiers sont apparus dès 1929. Les Frères musulmans ne sont pas la seule force en présence et ils n’ont pas été à l’avant-garde de cette révolution.
Il sera beaucoup plus difficile d’aller au bout de la révolte en Egypte ou ailleurs qu’en Tunisie, notamment en raison des intérêts économiques et géostratégiques des USA dans le pays et la région. L’Egypte est l’un des piliers de la politique américaine au Proche-Orient depuis trente ans. Les USA n’auraient pas pu faire les deux guerres en Irak sans le soutien logistique de l’Egypte. Il faut également rappeler l’importance du canal de Suez par où transite 7,5% du commerce mondial. De plus, les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre une déstabilisation de ce pays à cause de sa proximité avec Israël et de la présence des frères musulmans. Les USA préféreraient voir un autre homme fort succéder à Moubarak afin de maintenir la stabilité du pays et de protéger leurs intérêts. Ils ne lâcheront pas Moubarak, sauf si un nouvel homme fort s’impose, comme Omar Souleyman ou le général Hussein Tantaoui par exemple. Il faut d’ailleurs rappeler que l’armée est au pouvoir directement ou indirectement en Egypte depuis plus de cinquante ans.
Mais toutes ces tendances fortes me font penser que c’est un processus irréversible à moyen terme. Ces régimes sont condamnés mais ils peuvent encore gagner du temps.