Qui a permis d’obtenir la trêve de quatre jours entre Israël et le Hamas ?
Le maître d’oeuvre, c’est incontestablement le Qatar. Pour une raison simple: le Qatar est l’acteur qui parle à tout le monde, aux Occidentaux, aux Israéliens et surtout au Hamas, dont le bureau politique, dirigé par Ismaël Haniyeh, est à Doha. Qatar et Hamas peuvent donc se parler directement. Entre eux, les liens sont étroits et de longue date.
Quelles sont plus précisément les puissances impliquées dans cet accord de trêve ?
L’Egypte notamment, parce qu’entre 100 et 300 camions de nourriture et d’aide médicale devraient entrer quotidiennement dans Gaza par le poste-frontière de Rafah, au titre de l’aide humanitaire. C’est l’un des volets de l’accord, réclamé par le Hamas. L’Egypte connaît bien le Hamas, puisque le poste-frontière de Rafah sert de cordon ombilical avec l’extérieur. Les relations avec le Hamas sont gérées par un proche du président Abdel Fattah al-Sissi, le général Abbas Kamel, le chef des renseignements égyptiens.
Il y a bien sûr le rôle tenu par les Etats-Unis.
Ce sont eux qui ont pesé de tout leur poids pour obtenir cet accord. Joe Biden a sollicité très fermement le Qatar pour parvenir à un résultat. On peut rappeler que le Qatar héberge l’une des plus grandes bases américaines dans le monde, l’USENTCOM (commandement central américain), qui couvre le Moyen-Orient et l’Asie centrale.
Pourquoi ?
La négociation achoppait entre autres sur la durée de la trêve: trois jours était le minimum, cinq le maximum, ce dont Netanyahou ne voulait pas entendre parler, craignant que le Hamas n’en profite pour se réorganiser. On a finalement coupé la poire en deux: quatre jours. A cela s’ajoute une clause, celle de la question du survol de la bande de Gaza par des drones israéliens. Israël a accepté de suspendre ce survol six heures par jour, pendant la durée de la trêve.
Cette trêve pourrait-elle être reconduite ?
Si elle l’est, elle ne le sera pas automatiquement, même si le principe de sa reconductabilité a été établi. Il faudra évaluer au regard du résultat de l’échange prévu: on parle de 50 otages aux mains du Hamas, contre 150 prisonniers palestiniens détenus en d’Israël. Il restera ensuite beaucoup d’otages, environ 200. On ne sait combien exactement. Certains sont malheureusement sans doute décédés, d’autres, un nombre indéfini là aussi, sont retenus par le Jihad islamique ou d’autres groupes armés de l’enclave. C’était l’une des exigences des Israéliens: que le Hamas leur fournisse une liste exhaustive des otages toujours en vie, à défaut de l’identité des groupes les détenant. On ignore s’ils l’ont obtenue.
Les appartenances nationales des otages jouent-elles un rôle important dans cette libération partielle annoncée? Trois Américains devraient faire partie de l’échange.
Les appartenances nationales ont sans aucun doute leur importance. Ce n’est en effet pas seulement un problème israélien. Il y a évidemment des Israéliens mais aussi nombre de binationaux qui possèdent la nationalité israélienne en plus d’une autre. Des étrangers en tant que tels, dont des immigrés venus travailler en Israël, tels que ce Népalais et ce Thaïlandais amenés à l’hôpital Al-Shifa de Gaza, selon des images fournies par l’armée israélienne. Israël est donc obligé de tenir compte de la dimension internationale de cette problématique des otages.
Une trêve est-elle pareille à un cessez-le-feu ?
Cela relève un peu de la casuistique. Chacun joue sur les mots. Le Hamas, qui avait demandé un cessez-le-feu, parle d’un cessez-le-feu. Israël dit qu’il ne s’agit que d’une trêve.
Concrètement, pour laisser sortir les otages, il faut arrêter de tirer. Mais sur le plan normatif, ce n’est pas un cessez-le-feu au sens d’un armistice juridiquement normé, comme dans le cas des deux Corées. Entre le Nord et le Sud, il n’y a pas de paix, mais un cessez-le-feu pérennisé, en vigueur depuis 1953.
Qu’est-ce qui se passera, dans le cas où la trêve ne serait pas reconduite ?
Il y aura, selon toute vraisemblance, une reprise des hostilités. Israël a dit que la trêve ne marquait pas la fin des opérations militaires.
A l’origine, le Hamas exigeait la libération de quelque 3000 prisonniers palestiniens. Il n’y en aura que 150. Implicitement, c’est un signe de faiblesse du Hamas même si ce dernier pourra capitaliser en augmentant la pression sur le gouvernement israélien par rapport aux familles d’otages toujours détenus.
Les récentes images fournies par Israël, montrant ce qui semble être des otages conduits par le Hamas dans l’hôpital d’Al-Shifa, des armes, ainsi qu’un tunnel d’une cinquantaine de mètres dans les parages, sont-elles de nature à contrecarrer le récit adverse qui présente Israël comme un criminel de guerre ?
Il y a incontestablement une guerre de communication. Sur le temps long, elle n’est pas forcément en faveur d’Israël.
Certains n’ont pas tenu compte de la tuerie du Hamas dès le jour où elle s’est produite, le 7 octobre…
C’est manifeste. On peut relever chez le Hamas une stratégie de symétrisation des victimes, pour accentuer la confusion des situations. En droit pénal, il y a la distinction entre l’homicide involontaire, l’homicide volontaire et l’homicide volontaire avec préméditation. Il demeure que le Hamas joue la montre. Plus les jours passent, plus le nombre des victimes est élevé, plus l’image d’Israël, déjà entamée auprès d’une part importante des opinions publiques mondiales, singulièrement dans le monde arabe où seul compte le narratif palestinien, se détériore progressivement.
Hors des calculs cyniques des uns et des autres, il y a la situation humanitaire des 2,3 millions de Gazaouis, rassemblés aujourd’hui dans la partie sud de la bande de Gaza. Qu’adviendra-t-il d’eux si Israël porte les combats au sud ?
Pour Israël, c’est un dilemme stratégique. La première partie, la prise de contrôle du nord de la bande de la Gaza, a été relativement maîtrisée en termes purement opérationnels. Cette phase n’a en effet pas empêché de nombreuses victimes parmi les civils. Même Benjamin Netanyahou a été contraint de reconnaître le 17 novembre dernier qu’il n’était pas parvenu à limiter comme il l’aurait souhaité le nombre des victimes collatérales.
Qu’en déduire?
De sa part et sur ce plan-là, c’est un aveu d’échec. Cela dit, durant cette première phase des opérations, une grande partie des civils a heureusement pu fuir vers le sud de l’enclave. A présent, une progression militaire vers le sud, comme l’a annoncé Yoav Gallant, présente le risque de créer un goulet d’étranglement pour la population civile à la frontière avec l’Egypte. Le risque de pertes parmi cette dernière n’en sera que plus grand. L’image d’Israël n’en serait que plus ternie encore.
Pour empêcher une catastrophe humanitaire annoncée, l’Egypte va-t-elle ouvrir sa frontière ?
Si l’on s’en tient aux positions actuelles de l’Egypte, la réponse est assurément non. Sauf si le verrou sautait, mais ce ne serait pas délibéré.
Pourquoi ce refus de l’Egypte ?
Pour deux raisons au moins. L’Egypte, épousant là les vues palestiniennes, ne veut pas ouvrir le passage, car cela favoriserait une nouvel Naqba, littéralement la catastrophe. Une référence à l’exode de 800 000 Palestiniens lors de la mise en œuvre du plan de partage entre Israël et la Palestine en 1948. C’est le discours, aussi, de la Jordanie, qui est encore plus compréhensible, puisque celle-ci est peuplée de quelque 40% de Palestiniens. L’Egypte n’entend donc pas valider un processus d’expulsion des Gazaouis. Ça, c’est l’explicite. Mais il y a également l’implicite.
Quel est-il ?
En ayant à l’esprit que le Hamas, dont l’acronyme signifie «mouvement de résistance islamique», est une excroissance palestinienne des Frères musulmans, dont la confrérie est réprimée en Egypte.