Au soir du dimanche 11 février, à Las Vegas (Nevada), la chanteuse et icône pop Taylor Swift a presque volé la vedette aux sportifs. Pour le Super Bowl, l’événement le plus regardé sur les chaînes de télévision américaines, sa venue était très attendue par ses fans et de nombreux médias, sans oublier la National Football League (NFL) elle-même.
Arrivée du Japon, où elle donnait un concert dans le cadre de sa tournée triomphale « Eras », juste avant le coup d’envoi de la finale du championnat de football américain, la star de 34 ans a fait sensation. La raison de sa présence était la love affair qu’elle entretient depuis plusieurs mois avec l’un des joueurs stars des Chiefs de Kansas City, Travis Kelce. Swift est devenue une fan de football, et on la voit régulièrement dans les tribunes lorsque joue son boyfriend.
Selon un cabinet américain spécialisé dans l’image de marque, Taylor Swift et sa relation avec Travis Kelce ont déjà généré plus de 300 millions de dollars (plus de 280 millions d’euros) en « valeur de marque équivalente » (c’est-à-dire ce qu’une marque devrait dépenser pour une telle exposition médiatique) en faveur de l’équipe de Kansas City et de la NFL : vente de produits dérivés (dont les maillots floqués « Kelce »), nouvelles audiences féminines, diffusion de publicités pour des cosmétiques à la mi-temps, etc.
La victoire en finale dimanche soir des Chiefs, qui conservent leur titre, va probablement relancer, encore, le complot trumpiste : un match truqué, un faux couple. Au mieux : de l’esbroufe. C’est l’aigreur qui parle : « récupérer » Taylor Swift, enfant de l’Amérique blanche rurale, un temps incarnation de la country music et désormais immense star mondiale, c’était en effet un rêve du Parti républicain. Et ce, d’autant que le football a surtout un public blanc et en grande partie conservateur.
Mais les engagements de Swift en faveur des droits des LGBTI, des minorités ethniques, pour le droit à l’avortement et contre les violences faites aux femmes – à la suite de l’agression sexuelle dont elle a elle-même été victime et pour laquelle elle a fait condamner son agresseur – ont douché leurs espoirs. Sans compter peut-être, bientôt, son appel à voter pour Joe Biden. Un coup de jeune inespéré pour ce dernier.
Un complot des MAGA guidé par la jalousie
Les trumpistes du mouvement MAGA (« Make America Great Again », le slogan de leur champion) ont, dans leurs délires complotistes, précisément imaginé que Swift était une marionnette dans les mains du Parti démocrate pour faire réélire le président en place le 5 novembre. Comment ?
Premièrement, elle serait un agent secret au service d’une « guerre psychologique » contre les républicains. Chose à peine croyable : le Pentagone lui-même a démenti ces allégations farfelues qui passaient en boucle sur Fox News. Deuxièmement, sa relation avec Kelce serait montée de toutes pièces pour attirer l’attention et exciter les fans, en particulier les 8 millions de jeunes nouveaux électeurs et électrices qui ont atteint l’âge de voter depuis 2020.
Les MAGA ont raison d’avoir peur car il y a des précédents : pour les « midterms » de 2018, sur son compte Instagram où elle compte 280 millions d’abonné·e·s de tous horizons politiques, elle avait ouvertement soutenu des candidats démocrates dans son Etat du Tennessee. En septembre 2023, elle avait également encouragé ses fans à s’inscrire sur les listes électorales : en seulement 24 heures, 35 000 inscriptions supplémentaires de jeunes électrices et électeurs étaient enregistrées. Comme le montre le documentaire que Netflix lui a consacré, « Miss Americana », son entourage avait déconseillé à Swift de se positionner politiquement mais elle a passé outre.
Travis Kelce, moins connu et moins riche que Taylor Swift, n’est pas oublié par la haine MAGA puisque, de son côté, il a tourné des publicités pour le vaccin Pfizer contre le Covid-19 ou encore pour la bière Bud Light, une marque fustigée par les réactionnaires parce qu’une de ses campagnes de promotion a fait intervenir un influenceur transgenre. Swift et Kelce, deux figures du divertissement populaire, deux raisons de rendre jaloux les MAGA, au premier rang desquels Donald Trump lui-même, qui s’est déclaré plus célèbre que la chanteuse après qu’elle eut été désignée personnalité de l’année par le magazine « Time » en décembre 2023.
Mobiliser la jeunesse progressiste
Quel sera l’impact réel de Taylor Swift sur l’élection de novembre ? L’enjeu est de taille, pour plusieurs raisons : d’une part, le scrutin présidentiel se jouera grandement dans les zones périurbaines (or elle y compte beaucoup de fans) ; d’autre part, les démocrates ont besoin de mobiliser fortement la jeunesse progressiste, chez les primo-votants comme dans la génération d’avant dont ils ne peuvent se permettre un ralentissement de la mobilisation ; enfin, ce 5 novembre 2024, on votera aussi pour renouveler la Chambre des Représentants, une partie du Sénat et de nombreuses assemblées locales.
Quelques heures avant le Super Bowl, Trump a posté sur son réseau Truth Social un message dans lequel il laisse entendre que c’est à lui que Swift doit son succès et sa fortune, et que ce serait très ingrat de la part de la jeune femme de soutenir Joe Biden. Taylor Swift est une femme, à qui de surcroît tout réussit. Et c’est sans doute le principal grief qu’ont à lui faire l’ancien président et ses partisans les plus fervents.