Karim Emile Bitar, chercheur associé à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), décrypte les émeutes en Syrie…
En 1982, la révolte des Frères musulmans à Hama avait été matée dans le sang, au prix de plusieurs dizaines de milliers de mort. Aujourd’hui, avec YouTube, Facebook, les chaînes satellitaires et la pression internationale, il est beaucoup plus difficile de se livrer impunément à un bain de sang, même si la marge de manœuvre de la communauté internationale reste faible. La révolution ne pourra aller à son terme que si les milieux d’affaires sunnites, les grandes familles qui régentent l’industrie et le commerce finissent par lâcher le régime, qui ne pourrait plus alors s’appuyer que sur les services de sécurité, majoritairement dominés par les Alaouites, minoritaires en Syrie où ils ne représentent que 10 à 13 % de la population. Par ailleurs, la suite des événements dépendra en partie de la position des puissances régionales et des Etats-Unis.
La ville agricole de Deraa, d’où sont parties les émeutes, se caractérise en effet par une grande misère sociale, un taux de chômage important et très peu d’opportunités. On a entendu des slogans mettant personnellement en cause des proches du président, notamment son frère Maher et ses cousins les Makhlouf qui ont la haute main sur l’économie nationale. Ces mesures vont probablement être insuffisantes, car comme on l’a vu en Tunisie et ailleurs, très vite, des revendications politiques viennent se greffer sur le ras-le-bol lié à la corruption et au malaise social. Il ne faut pas oublier que ce qui a déclenché la répression à Deraa, c’était des slogans tout à fait politiques écrits par des adolescents et appelant à faire chuter le régime. Il y a donc une imbrication de la crise économique et des aspirations au changement politique. Initialement localisées à Deraa, les émeutes sont en train de s’étendre à plusieurs grandes villes, ce qui ne laisse rien présager de bon pour le régime.
Les espoirs suscités par l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad en 2000 et sur ce «printemps syrien» reposaient sur les éléments suivants : on le présentait comme jeune, ouvert sur le monde et sur les nouvelles technologies. Il avait étudié l’ophtalmologie à Londres et n’était pas programmé pour exercer le pouvoir. C’était son frère, décédé dans un accident de voiture, qui était le dauphin présumé. Mais les institutions et les vieilles habitudes ont vite repris le dessus. Il n’y avait pas vraiment de vieille garde et de jeune garde à Damas, mais un régime qui cherchait à s’adapter pour survivre. Le printemps de Damas a donc fait long feu et les méthodes baasistes ont perduré.
Comme toujours avec ce type de régime, les opposants ont été pendant plus de 40 ans laminés, réduits au silence ou à l’exil. Il sera donc très difficile de reconstruire une société démocratique et des institutions stables, d’autant plus que le pluralisme communautaire syrien conduira peut-être à l’émergence de ressentiment chez les uns ou chez les autres. Il faudra du temps et il faudra trouver des mécanismes permettant de protéger la liberté des minorités religieuses et notamment chrétiennes. Malheureusement, le jeu des grandes puissances au Proche-Orient conduit souvent à une mise en difficulté des minorités, qui sont instrumentalisées par les uns ou par les autres, puis abandonnées à leur sort. Par ailleurs, la transition de la Syrie vers une économie plus ouverte sera également difficile compte tenu des pesanteurs. Cela dit, il existe toujours une société civile syrienne assez dynamique, des intellectuels, des économistes, des hommes d’affaires qui pourraient si on utilise leurs compétences, aider la Syrie dans cette transition démocratique.