• Interview de [Jean-Vincent Brisset->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=brisset], directeur de recherche à l'IRIS, par Clara Leonard

En 2011, le budget militaire chinois a augmenté de 12,7%, atteignant la somme de 65,6 milliards d’euros (contre 508 milliards d’euros pour les Etats-Unis). Il est actuellement le deuxième mondial. D’après l’institut de recherche américain IHS, ce budget devrait connaître une croissance record dans les années à venir. Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), a répondu aux questions du Petitjournal.com, décryptant la stratégie chinoise

Avant d’être directeur de recherche à l’IRIS, Jean-Vincent Brisset a été ingénieur de l’Ecole de l’air, pilote de chasse et diplômé de l’Ecole Supérieure de Guerre aérienne. Il s’est passionné pour le chinois qu’il a étudié à l’Université Normale de Taipei. Il a ensuite vécu trois ans à Pékin en tant qu’attaché de l’air. Depuis 2001, il est chercheur à l’IRIS et spécialisé en défense et en relations internationales mais il s’intéresse également à la Chine et aux questions géostratégiques en Asie. Il publie prochainement « Le manuel de l’outil militaire » aux éditions de l’IRIS, un ouvrage de vulgarisation pour mieux comprendre le fonctionnement des armées.

Quelle sera l’ampleur de la progression du budget militaire chinois ?

Le budget de la défense chinois, actuellement de 90 milliards de dollars, va augmenter car la Chine souhaite développer son armée pour qu’elle devienne plus puissante et plus opérationnelle. L’armée populaire de libération (ou armée chinoise) est la première mondiale en nombre d’hommes. Elle est constituée de deux millions de militaires, le double des Etats-Unis. Mais l’enjeu n’est pas tant d’accroitre le nombre de militaires (le pays est même dans une phase de diminution) que de moderniser les équipements.

Je reste méfiant face aux estimations démesurées que nous pouvons lire actuellement dans la presse, par exemple concernant un doublement du budget d’ici 2015. Il est très difficile d’évaluer la croissance future et les chiffres sont souvent exagérés. S’il y aura effectivement un accroissement du budget de la défense, son ampleur sera décidée par Xi Jinping, le futur président chinois, et sa nouvelle équipe qui n’est pas encore formée. Il y a débat concernant les chiffres réels et les chiffres annoncés, certains "experts", surtout aux Etats-Unis, ayant tendance à gonfler les données pour justifier leurs investissements militaires et pour dénoncer les dangers de la « menace chinoise ». Cependant, le budget chinois reste encore largement inférieur à celui des Etats-Unis.

La Chine est-elle en danger ou s’agit-il d’une démonstration de force ?

Pour le moment la Chine n’affiche pas d’ambitions d’expansion territoriale, elle a suffisamment de difficultés à maintenir des relations cordiales avec le reste du monde. Elle a quatorze pays sur ses frontières et le seul avec lequel elle n’a aucun contentieux est le Pakistan. Elle n’a aucun allié réel et n’appartient à aucune alliance. Par exemple elle n’apporte aucune aide à la Corée du Nord pour renouveler son matériel militaire obsolète.

Dans son développement militaire, sur quelle armée se concentre-t-elle ?

La Chine se concentre sur le développement de sa marine qui évolue très vite. Elle est déjà de taille importante mais n’est encore que très partiellement modernisée, que ce soit sur le plan de la doctrine (principes fondamentaux selon lesquels l’armée accomplit ses tâches), des qualités opérationnelles et de l’entrainement des marins. Il lui manque également des porte-avions. La Chine n’en possède qu’un seul et il constitue seulement une plateforme de tests et de découverte qui ne sera jamais opérationnelle. Cependant, la marine est pour le moment la mieux lotie. L’armée de terre a perdu sa prédominance sur les autres armées et la plupart de ses équipements sont très obsolètes. L’armée de l’air ne s’en sort guère mieux.

La Chine doit-elle rattraper un retard technologique vis-à-vis des pays occidentaux ?

Pendant la guerre du Golfe, les Chinois se sont rendu compte que leur armée était complètement obsolète et qu’elle avait un énorme retard dans tous les domaines. Ils sont actuellement en train d’opérer une modernisation mais le processus est aussi long que lourd, financièrement et politiquement. Ce retard n’est pas équivalent dans tous les domaines. Par exemple, la Chine connaît des difficultés notables à construire des moteurs. Or, que ce soit dans la marine, l’armée de terre ou l’armée de l’air, il y a des moteurs partout ! Les Chinois ont également des lacunes sur le plan de l’intégration. Ils n’arrivent pas à créer un ensemble militaire cohérent. Ils continuent à souffrir de problèmes de contrôles de qualité et de fiabilité de leur matériel. La Chine n’a aucun scrupule concernant les contrefaçons et a tenté de rattraper son retard grâce aux transferts de technologie mais le pays n’arrive toujours pas à devenir autonome.

Qui sont les alliés de la Chine qui se réjouissent de ce développement militaire ?

La Chine n’a pas d’alliés. Elle a un pays « ami » qui est le Pakistan et des pays avec qui elle partage des intérêts communs comme les pays africains dont elle exploite les matières premières et à qui elle fournit des armes. Les pays qui achètent du matériel militaire aux Chinois le font soit parce qu’il n’est pas cher, soit par rejet de l’Occident et surtout des Etats-Unis. C’est le cas du Venezuela qui continue à commander du matériel chinois alors qu’il a les moyens de se procurer des équipements de bien meilleure qualité.

Le développement de l’armée chinoise suscite-t-elle des inquiétudes internationales?

Les plus concernés par ce développement militaire sont les riverains immédiats comme les pays de l’ASEAN mais également l’Inde, le Japon et la Russie. La Chine avance rapidement en mer de Chine méridionale et un de mes collègues indonésiens se lamentait : « Bientôt de ma fenêtre je verrai les frontières chinoises ». Il y a actuellement des querelles, entre autres avec le Japon autour de la possession de certaines îles.

Comment la Chine va-t-elle réagir à l’expansion militaire américaine en Asie ?

Il n’y a pas à proprement parler d’expansion militaire américaine en Asie. Il s’agit d’un rééquilibrage. Les Etats-Unis vont intensifier leur implantation militaire aux Philippines et en Australie et la diminuer en Corée et au Japon. Les Américains sont beaucoup moins implantés en Asie que pendant les années 50. Cependant les Etats-Unis restent l’ennemi numéro un de la Chine et ce rééquilibrage est pris comme prétexte par les Chinois pour parler d’expansion et pour insister sur la menace américaine.

Pourquoi la Chine a t-elle posé son véto sur la proposition de résolution de l’ONU sur la Syrie ?

Ce veto est une simple réaction à ce qui s’est passé en Lybie. Les Chinois, sous pression occidentale, n’avaient pas mis leur véto à la résolution sur la Libye en mars 2011. Ils pensaient que cette résolution permettrait d’aboutir à un accord de paix. En réalité, le cadre de cette résolution a été largement dépassé et de nombreux civils ont été massacrés. La Chine en veut encore aux occidentaux et a le sentiment de s’être faite manipuler.

A long terme, cet investissement militaire mènera-t-il à un renversement des rapports de force géopolitiques ?

Le problème de la Chine est qu’elle ne sait pas se positionner. Elle ne sait pas si elle doit être une puissance mondiale ou régionale. Je crois qu’une projection lointaine n’est fondamentalement pas cohérente avec le modèle militaire chinois. Il n’existe pas de bases militaires permanentes à l’extérieur du territoire chinois, à part une minuscule position au Pakistan, contrairement aux bases américaines ou européennes implantées sur toute la planète. La Chine n’est pas interventionniste en dehors de son voisinage immédiat. Si demain il y avait un conflit entre Israël et l’Iran, elle ne saurait pas réagir et se contenterait de discours affirmant qu’il faut négocier. Et, quand les conflits sont internes, elle affirme toujours qu’il ne faut pas interférer dans les affaires des pays.

Un mot de conclusion ?

On peut se faire une assez bonne idée du format de l’outil miliaire dont la Chine veut se doter à l’horizon 2030. Cependant, ces aspirations ne sont pas cohérentes avec les moyens financiers du pays. Pour atteindre de tels objectifs, les Chinois devraient multiplier par trois leur budget de défense, ce qui est colossal !