• Par Maxime Pinard, chercheur à l'IRIS

Depuis quelques temps déjà, le cyberespace est en ébullition. Les révolutions arabes l’ont médiatisé à outrance via l’action des nombreux blogueurs et autres internautes qui s’en sont servis pour faire connaître leur cause et organiser leurs mouvements. A présent, une autre actualité le met sur le devant la scène avec les attaques des Anonymous contre diverses entités : entreprises (Sony), structures étatiques (ministère de la défense)…

Leur nom est à la fois signe du secret qu’ils revendiquent et manque d’informations disponibles pour mieux les cerner. Leur vendetta a commencé juste après l’arrestation de Kim Schmitz, le fondateur de Megaupload, un site légal en lui-même mais facilitant les échanges de fichiers illégaux. Pour dénoncer l’action des instances policières et judiciaires américaines qui, il est vrai, pose de sérieuses questions quant à la mainmise des Etats-Unis sur le Web, ils ont procédé à des attaques informatiques plus ou moins puissantes et complexes, celle contre Sony étant la plus remarquable dans son élaboration et les résultats obtenus : pendant plusieurs heures, le contenu musical du géant japonais était téléchargeable gratuitement. Ce succès témoigne de leur volonté et surtout de leur capacité à s’en prendre aux plus grands, les faisant passer pour des contestataires du virtuel, voire les promoteurs d’un nouveau système politico-sociétal.

Il est vrai qu’il est difficile de comprendre ce qui les relie tant leurs actions revêtent des perspectives éloignées : quel est le lien entre une attaque contre l’Eglise de la Scientologie, les cartels mexicains ou des sociétés du Web (PayPal par exemple) ? Cette pluralité d’initiatives est à mettre sur le compte de l’hétérogénéité même des Anonymous qui ont des intérêts personnels, ou dans le meilleur des cas, partagés par des petits groupes de cyberactivistes. De cette réalité on peut en caricaturant à peine comparer les Anonymous à la nébuleuse terroriste Al-Qaïda, dans le sens où l’intérêt est dans l’appartenance à une franchise célèbre qui confère une relative légitimité. Ainsi émergent des groupes Anonymous dans de nombreux pays, à l’instar de la France, où un groupe dénommé Anonymous France a revendiqué plusieurs attaques, qui n’ont rien de comparable en terme de puissance à leurs homologues anglo-saxons.

C’est d’ailleurs le danger qui guette les Anonymous : l’absence de structure même souple, gage jusqu’à présent de leur sécurité, ne les prémunie pas de campagnes de désinformation opérées par des usurpateurs ou les services de sécurité des Etats touchés. Plusieurs appels à entreprendre des piratages de sites web n’ont pas été suivis des faits (projets contre Wall Street, Facebook…), les "vrais" Anonymous ayant du publier des démentis pour expliquer que l’initiative ne venait pas d’eux. Ces communications médiatisées mais mal maîtrisées constituent le talon d’Achille des Anonymous qui pourtant sont fondamentaux pour la construction progressive de notre cyberespace.

En effet, à travers leurs initiatives diverses, ils cherchent à alerter l’opinion sur deux problèmes majeurs qui ont des conséquences aussi bien dans le virtuel que dans le monde réel. Il y a en premier lieu le retard conceptuel de nombreux pays européens qui laissent les Etats-Unis et la Chine principalement modeler le cyberespace à leur image, le cloisonnant et transposant dans le virtuel des considérations géopolitiques du monde réel. Le pouvoir des Etats-Unis de couper quand ils le souhaitent un site internet hébergé dans n’importe quel endroit du monde fait réfléchir quant à la dimension universaliste et démocratique du cyberespace revendiquée par certains.

Dans une perspective différente mais parallèle, la Chine a procédé à une "frontiérisation" du cyberespace, le censurant pour museler des contestataires toujours plus nombreux, avec un certain succès jusqu’à présent. Mais surtout, ce à quoi les Anonymous cherchent à nous mettre en garde, c’est le manque criant de sécurisation de l’information, qu’elle soit professionnelle ou personnelle, sur la Toile. Par l’intermédiaire des réseaux sociaux, nous mettons en ligne toujours plus d’informations ayant trait à nos modes de vie, pensant qu’elles sont protégées et accessibles que de nous seuls.

Or, la présence inévitable de failles de sécurité informatique, sans cesse mise en exergue par les Anonymous, est une donnée exploitable par des organisations mafieuses qui se développent sur Internet. En agissant ainsi, les Anonymous nous incitent à ne pas voir dans le cyberespace un monde à part mais bien un espace aux connectivités multiples avec le monde réel.