Selon le communiqué de l’Élysée, Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane ont « rappelé la nécessité de mettre rapidement un terme à la vacance politique institutionnelle au Liban, qui reste l’obstacle majeur à une résolution de la sévère crise socio-économique » que connaît le pays du Cèdre. Quel rôle Paris et Riyad peuvent-ils jouer pour faire sortir le Liban du marasme dans lequel il est plongé? Par ailleurs, le rapprochement entre l’Arabie et l’Iran peut-il aider?

Le président français, Emmanuel Macron, a nommé, le 7 juin dernier, son ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, comme « envoyé personnel pour le Liban » afin de « faciliter » une solution « consensuelle et efficace » à la grave impasse politique que traverse le pays, avec la vacance de la fonction présidentielle depuis le 31 octobre 2022 du fait de l’obstruction du tandem chiite Hezbollah-Amal, relayant les intérêts iraniens au pays du Cèdre.

Or, la normalisation entre Riyad et Téhéran, le 10 mars 2023, pourrait ouvrir des perspectives de sortie de crise en laissant augurer une sorte d’apaisement de la conflictualité régionale entre les deux rivaux géopolitiques qui s’affrontaient jusque-là par proxys sur divers théâtres régionaux, dont le Yémen avec les Houthis, la Syrie de Bachar el-Assad -officiellement réintégrée à la Ligue arabe le 19 mai dernier afin de clore la séquence d’une décennie de guerre civile sanglante- et pourquoi pas le Liban -pays présenté par feu le roi Ibn Saoud à ses descendants comme leur « seconde patrie », avant que la nouvelle gouvernance saoudienne de Mohammed ben Salmane se sente moins concernée par le destin du pays du Cèdre-, en levant l’hypothèque chiite sur la désignation d’un nouveau président. Il est notable que le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhane, a entamé le 17 juin une visite officielle à Téhéran à l’occasion de laquelle toutes ces problématiques auraient été abordées.

Quel est le but de la visite de Mohammed ben Salmane dans la capitale française? Est-ce une opération séduction?

Ce n’est pas une simple opération de séduction au sens strict du terme. Cela fait d’ailleurs un certain temps qu’il a été en quelque sorte « réhabilité ». La date de sa visite a été manifestement avancée. Elle était prévue, semble-t-il, cinq jours plus tard, soit le 19 juin, date à laquelle il est censé déposer officiellement la candidature de l’Arabie saoudite pour l’exposition universelle de 2030. Mohammed ben Salmane doit rester jusqu’au 23 juin pour participer au sommet relatif au « nouveau pacte financier mondial », organisé à Paris. Mais, dans la mesure où il s’agit d’une « visite d’État », le fait de venir voir le président Emmanuel Macron représente bien évidemment une occasion d’aborder un certain nombre de dossiers régionaux et internationaux d’importance.

Qu’est-ce que cette visite à Paris, la deuxième en moins d’un an pour le prince héritier, reflète sur la relation franco-saoudienne en général?

Comme l’a rappelé l’ambassadeur de France à Riyad, Ludovic Pouille (sur Twitter, ndlr), cette visite est « l’occasion de renforcer le partenariat stratégique entre la France et l’Arabie saoudite », tel que formalisé le 10 avril 2018 entre le président français et le prince héritier saoudien, à l’instar de partenariats stratégiques avec d’autres pétromonarchies du Golfe de manière générale. Il se trouve que le royaume d’Arabie saoudite est le « poids lourd » du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et que Mohammed ben Salmane est redevenu un acteur incontournable. Il est aujourd’hui à la croisée des évolutions géoéconomiques et géopolitiques qui sont à l’œuvre dans la région du Moyen-Orient, voire au-delà.

Quels sont les points centraux abordés à l’occasion de cette visite officielle de Mohammed ben Salmane à Paris?

Parmi les points abordés lors de la venue de MBS, il y a notamment les conséquences de la guerre en Ukraine, dont la variable pétrolière est évidemment centrale. Et là, on retrouve la position du « royaume de l’Or noir », qui n’est plus le premier producteur mondial de pétrole, mais qui demeure le premier exportateur avec près de 7 millions de barils par jour, ce qui lui confère un statut stratégique encore plus important à partir du moment où les Occidentaux ont décidé de se passer du pétrole russe. Il s’agit de garantir la sécurité des approvisionnements auprès d’autres fournisseurs, même si, pour la France en tant que telle, le pétrole saoudien ne représente « que » quelque 8% des importations françaises.

Il y a par ailleurs d’autres considérations que celles à caractères énergétiques. Il s’agit aussi d’insister sur le rôle potentiel que pourrait jouer Mohammed ben Salmane dans certaines problématiques. Il y a incontestablement des attentes françaises vis-à-vis de lui, notamment sur la guerre en Ukraine. Le président Macron souhaiterait que le prince héritier serve d’intermédiaire pour que l’Ukraine bénéficie d’une oreille plus attentive de la part des pays dits du « Sud global » qui jusque-là ne se sont pas départis a minima d’une certaine « neutralité » face à l’agression russe. Il se trouve que le président Volodymyr Zelensky avait effectué une escale inattendue lors du sommet de la Ligue arabe le 19 mai dernier à Djeddah à l’invitation du prince héritier – avant de se rendre au sommet du G7 à Hiroshima dans un avion français du reste –, ce qui lui avait permis d’exposer ses attentes vis-à-vis de pays de la région du Proche et Moyen-Orient dont la plupart considèrent jusqu’à présent que la guerre en Ukraine « n’est pas la leur ». À cette occasion, le président français, Emmanuel Macron, avait considéré que cela était susceptible de constituer « un vrai tournant » pour rallier certains pays du « Sud global », dont l’Arabie saoudite, et qu’à ce titre, MBS avait fait office de go between « en permettant au président Zelensky de se rendre devant la Ligue arabe (…) et d’avoir un soutien très clair de l’Arabie saoudite et de plusieurs puissances de la région ».

 

Propos recueillis par Ellie Valluy pour Ici Beyrouth.