Pour le politologue Jean-Yves Camus, la poussée populiste prospère sur les thématiques sociales et l’identité.
Nous sommes d’abord confrontes à un problème de classification car la frontière est assez floue entre un populisme de droite et un populisme d’extrême droite. Si certains mouvements ont clairement leurs racines dans l’extrême droite traditionnelle – comme le British National Party en Grande-Bretagne, le Front national en France ou le Vlaams Belang flamand -, nombre de cas sont plus complexes. ll s’agit de droites radicales, xénophobes et populistes mais qui ne sont pas issues des extrêmes droites traditionnelles. Je pense aux Vrais Finlandais, au parti de Geert Wilders (PW) en Hollande, aux Démocrates suisses (DOC), à la Ligue du Nord en Italie. La question n’est peut-être pas tant celle de l’extrême droite mais plutôt du centre de gravité idéologique des droites. ll y a un glissement à droite des partis libéraux et conservateurs qui répond d’une part à la nécessité de reconquérir l’électorat passé aux populismes radicaux mais aussi à la volonté d’une partie des droites de s’affirmer. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, on était dans la droite honteuse. Il fallait utiliser d’autres mots. La droite se disait « modérée », on parlait de «républicains» de «libéraux», de «démocratie chrétienne», à la rigueur de «conservateurs». Aujourd’hui, des droites radicales participent au gouvernement ou à la définition de sa politique. C’est le cas aux Pays-Bas, au Danemark et peut-être en Finlande. On avait déjà vu apparaître le phénomène dans les années 1990, avec des formules de participation qui ont profité à l’UDC suisse ou à la Ligue du Nord, dès le début du gouvernement Berlusconi. En 2000, en Autriche, le chancelier Schussel avait accepté de faire entrer dans son gouvernement le parti dirige par Jorg Haider, clairement affilié au national socialisme.
Elles portent d’abord sur l’identité. L’Europe est une construction politique qui n’a pas débouché sur une affirmation identitaire commune. Les citoyens européens continuent de se référer au cadre national. Mais l’Europe est devenue multiculturelle. Même si on a longtemps considéré la migration extra-européenne comme une variable d’ajustement de la production industrielle, comme le souhaitait le patronat, l’évidence d’un multiculturalisme européen s’impose à tous et pose la question de savoir ce qui unit et ce qui oppose. Ce qui unit, c’est le sentiment assez vague que les Européens partagent une «civilisation». La recherche du plus petit dénominateur conduit au constat suivant: ces pays sont de racine chrétienne, même si les églises sont vides. Conséquence, l’un des problèmes fondamentaux qui se pose en Europe est l’identité d’assignation. Dans l’œil de beaucoup de nos gouvernants et concitoyens, les immigrés ou leur descendance issus d’une culture musulmane, par exemple, sont forcément des musulmans, même s’ils ne le sont pas ou plus. La jonction entre droite et populisme radical existe aussi dans les thématiques sociales. La déclaration de Laurent Wauquiez (qualifiant «les dérives de l’assistanat» de «cancer de la société française», ndlr) renvoit à une forme de darwinisme social, assez habituelle en période de crise et d’instabilité des statuts sociaux. Le sens profond de cette déclaration, c’est que chaque individu est un loup pour l’autre, que la compétition prévaut et que loin d’avoir un rôle de cohésion, corrigeant les inégalités, l’Etat doit laisser s’épanouir et favoriser la lutte de chacun contre tous les autres. On pourrait tout à fait retrouver cette vision du monde dans une formation populiste radicale.
L’Europe ne peut être que de deux natures : une Europe du mieux-disant social tirant l’ensemble vers le haut, ou bien une Europe ethnique, une fédération d’entités dans lesquelles le principe de l’ethnicité définira l’appartenance, rompant avec l’actuelle conception contractuelle de la citoyenneté. Il est plausible que dans le contexte de la mondialisation, bon nombre de citoyens considèrent qu’il faut se protéger contre l’uniformisation et la disparition des particularismes, qu’un encrage primaire dans le pays, au sens d’une région et de son identité soit nécessaire. Dès lors, l’échelon de la nation disparaîtrait. Il ne resterait que le monde globalisé d’un côté et les appartenances primaires de l’autre. On peut, dans cette perspective, déjà imaginer une autonomie de la Flandre, l’Ecosse, l’Italie du Nord, la Catalogne et le Pays basque. Et cela s’accompagnerait d’un rétrécissement des horizons culturels.