• Interview de [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS

La Révolution de 1789 et son empire colonial ont valu à la France de rayonner dans le monde. Qu’en est-il aujourd’hui?

Hubert Védrine dit du monde actuel qu’il est « une immense assemblée de copropriétaires ». Mais, parce que tout le monde n’habite pas dans l’ancien, n’a pas vue sur la mer et n’est pas exposé plein sud, la France a quelques avantages à faire valoir. Géopolitologue et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface a fait le tour du propriétaire.

À peine 1 % de la population mondiale, moins de 5 % des richesses mondiales produites sur son territoire, la France est-elle encore une puissance mondiale?

Il y a un peu moins de 200 États dans le monde. Aucun ne peut exercer seul son leadership, pas même les États-Unis qui sont pourtant la dernière grande puissance mondiale. La France, elle, est une puissance globale, c’est-à-dire économique, culturelle, diplomatique et militaire. Certes, du fait de la montée en puissance des pays émergents, sa place relative diminue comme celle de tout le bloc occidental qui domine le monde depuis cinq siècles. Par ailleurs, on parle moins aujourd’hui de puissance que d’influence. Et celle de la France n’est pas contestable. Il faut en finir avec les excès d’autodénigrement comme avec les excès d’arrogance. De la Révolution de 1789 à cette voix singulière qu’a voulu faire entendre le général de Gaulle, le passé de la France lui vaut un crédit à penser le monde de manière globale.

Cette voix singulière n’est-elle pas rentrée dans le rang?

La France est revenue dans le commandement milliaire intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Nicolas Sarkozy a une vision plus occidentale du monde que ses prédécesseurs. De de Gaulle à Chirac en passant par Giscard d’Estaing et Mitterrand, tous ont cultivé les liens avec les pays du Sud. Dans son atlantisme, Nicolas Sarkozy a bénéficié de l’accession au pouvoir de Barack Obama. Car si la première puissance mondiale n’avait pas porté à sa tête un candidat démocrate, qui sait où cet ancrage occidental aurait mené la France…

Colonial, le passé de la France est aussi un passif…

Mais ce passé est toujours une force. La France conserve des liens à la fois économiques et personnels avec ses anciennes colonies. Celles-ci lui ont appris la diversité et la complexité du monde. Reste qu’il faut sans doute définitivement tourner la page de ces anciennes relations pour en tisser de plus modernes.

Vous pensez à la Françafrique?

Par exemple. Mais celle-ci aussi sera bientôt de l’histoire ancienne car l’Afrique, depuis le début de ce siècle, est à son tour entrée dans la mondialisation. Les tête-à-tête avec les anciennes puissances coloniales s’ouvrent à d’autres partenaires, la Chine et les États-Unis, mais aussi les économies émergentes.

La diplomatie française semble offrir moins de lisibilité que par le passé?

Elle a été surprise pour ne pas dire déstabilisée par les Printemps arabes. L’arrivée d’Alain Juppé aux Affaires étrangères a permis de restaurer son image. Dommage que les propos tenus ça et là par Claude Guéant dépassent les frontières hexagonales et brouillent passablement cette image. Par ailleurs, la diplomatie « sarkozyenne » privilégie les coups médiatiques. Or, la diplomatie n’est pas qu’une affaire de communication. Elle se fait souvent en coulisses et sur le long terme.

L’Europe brouille aussi les cartes…

Il n’y a pas de puissance sans puissance économique. L’euro, notamment, a permis d’amortir la crise de 2008 et donc à l’Europe en général et à la France en particulier de pouvoir continuer à peser dans le monde. L’Europe, c’est avant tout le couple franco-allemand. Or celui-ci n’a plus le même poids dans une Europe à douze que dans une Europe à 27.

Et ce couple est plus déséquilibré que par le passé. Bénéficiant de sa réunification, de son économie et de sa démographie, l’Allemagne en impose à la France. Les deux pays ont, de plus, leur regard tourné dans des directions différentes, l’Europe centrale pour l’Allemagne, la Méditerranée pour la France. Il n’empêche : la France et l’Allemagne ont besoin l’une de l’autre et l’Europe a, elle, besoin de les voir unies.