• Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Le débat qui a opposé Donald Trump à Kamala Harris, le 10 septembre, n’a pas fait bouger les lignes sur un point important : une majorité d’électeurs et d’électrices considère toujours que l’ancien président est plus fiable que l’actuelle vice-présidente sur la croissance économique, le pouvoir d’achat et la fiscalité. Quand Joe Biden était encore candidat, la perception était semblable. C’est donc une bataille politique entre républicains et démocrates. L’inflation, qui avait fortement progressé depuis le début de la guerre en Ukraine et avec les plans de relance post-Covid, y est sans doute pour beaucoup. Le coût de la vie, en particulier le prix de la nourriture et de l’essence, reste palpable, au quotidien, par les Américains.

D’autres sujets, qui relèvent plus encore du ressenti et de la capacité, pour chaque individu, à se projeter dans l’avenir – opportunités pour changer de job, investir, accroître son capital, peur de la concurrence de la Chine, etc. –, restent à l’avantage de Trump. Et le faible taux de chômage, la très bonne santé de la Bourse et la croissance soutenue (alors que celle de la Chine marque le pas) sont d’autant moins mis au crédit de la présidence Biden qu’en juillet et août 2024 certains indicateurs étaient moins bons : la création d’emplois est en deçà des prévisions, la consommation s’affaisse et les investissements des entreprises ont diminué. Le grand plan Biden en faveur des green jobs mettra plusieurs années à se concrétiser, surtout dans les professions les moins qualifiées.

En baissant ses taux d’un demi-point, le 18 septembre, la banque centrale américaine reconnaît que l’inflation est régulée mais aussi qu’il faut relancer le marché de l’emploi et le crédit immobilier. Une manière donc d’éviter la récession. C’est cette ambiance de fragilité que le candidat Trump exploite aujourd’hui.

Séduire l’électorat conservateur majoritaire

Les questions économiques et fiscales sont ainsi un carburant majeur (avec la lutte contre l’immigration illégale et la criminalité) du vote Trump mainstream. Pour le dire autrement, ceux et celles qui, majoritaires dans l’électorat républicain mais moins bruyants que les militants fervents, ont un vote pragmatique. Ils auraient largement préféré un autre candidat que Trump mais s’en accommodent parce qu’il promet de baisser encore les impôts des ménages les plus aisés et des entreprises, et de déréguler davantage l’économie, notamment sur le plan environnemental. Une partie de cet électorat se reconnaît aussi dans l’idée de n’avoir de comptes à rendre à personne, et c’est ainsi qu’il faut comprendre la mise en avant d’Elon Musk et le rôle actif que celui-ci joue dans la campagne de Trump.

Ce dernier entend non seulement renouveler les baisses d’impôts mises en place en 2017 et arrivant à expiration, mais aussi les amplifier : par exemple, en diminuant de six points l’impôt sur les sociétés, aujourd’hui de 21 % – alors que Harris envisage de l’augmenter au contraire de sept. Mais cette baisse serait limitée aux entreprises qui produisent (et donc embauchent) sur le sol américain. Une dérégulation à géométrie variable, donc. Les secteurs de la banque ou de l’énergie extractive, au détriment la green energy, y gagneraient. En revanche, les effets négatifs seraient concrets sur des entreprises américaines de la tech ou du numérique produisant en Chine (Apple, par exemple) ou à Taïwan (c23omme Nvidia, qui fabrique des semi-conducteurs).

Il faut s’attendre à ce que Harris aussi, si elle est élue, durcisse la politique commerciale vis-à-vis de la Chine et fasse primer les intérêts économiques américains dans le monde. Mais la guerre commerciale agressive promise par le candidat républicain, via une taxe d’au moins 10 % sur tous les produits importés, et plus de 60 % pour les produits chinois, pourrait faire grimper les prix, en rendant plus chers les biens manufacturés importés comme les bien fabriqués aux Etats-Unis. Trump affirme au contraire que ces surtaxes financeraient des dépenses sociales, par exemple l’aide à l’enfance. Ses détracteurs estiment, eux, que ces mesures coûteraient plus de 10 000 milliards de dollars, occasionnant un manque à gagner fiscal, et seraient supportées par une augmentation de la dette, déjà exponentielle, et par des coupes dans le budget fédéral, en particulier dans la santé.

Harris veut mettre à profit les dernières semaines de campagne pour rendre son projet économique plus précis et plus concret, et devrait bientôt faire de nouvelles annonces. Sa promesse de favoriser une « économie d’opportunité » s’adresse aux petits et nouveaux entrepreneurs, et à la classe moyenne. Elle vise la création de 25 millions d’entreprises pendant son mandat – au-delà, donc, des 19 millions de la présidence Biden –, en multipliant par dix certaines déductions fiscales et en simplifiant la bureaucratie. Avec elle, le taux maximum d’imposition des revenus du capital pour les millionnaires atteindrait 33 %, au lieu de 44,6 % dans le programme du président sortant candidat à sa réélection. Harris s’engage en outre à ce que les impôts des ménages gagnant moins de 400 000 dollars par an n’augmentent pas. Enfin, comme Trump, elle souhaite que les employés rémunérés au pourboire voient leurs impôts supprimés. Pour lui comme pour elle, l’enjeu est, par des messages simples et répétés, de rendre ces promesses crédibles auprès d’un électorat hésitant dans son choix, voire dans sa décision, ou non, de voter.