• Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Il annule des meetings et des interviews, choisit de se dandiner sur de la musique pendant une quarantaine de minutes plutôt que répondre aux questions, multiplie les speechs incohérents, voire s’endort lors de ses propres réunions publiques. Les images ne sont plus anecdotiques : elles deviennent quasi quotidiennes dans cette campagne, dont il doit tarder à Donald Trump qu’elle se termine. De nombreux médias avaient insisté sur l’âge et les capacités cognitives du président sortant Joe Biden ; ils sont quelques-uns à faire de même aujourd’hui pour son prédécesseur républicain, qui brigue à 78 ans un nouveau mandat à la Maison-Blanche.

Du côté des démocrates, la temporalité de la communication a changé : après s’être concentré sur la pédagogie autour du programme de Kamala Harris, on est monté d’un cran dans les critiques à l’égard de l’ancien président, en poussant le récit d’un Trump incapable de se concentrer et donc de gouverner. Cette stratégie, qui devrait se confirmer d’ici le 5 novembre, va au-delà du simple rappel qu’il serait le plus vieux président à être élu la Maison-Blanche.

Insultes, confusions et envolées interminables

Dans la bouche de Trump, les insultes, désormais quotidiennes, visent non seulement son adversaire (« vice-présidente de merde »« tarée »« raclure », etc.) ou des leaders démocrates, mais aussi des électrices et électeurs qui ne voteraient pas pour lui (juifs, Afro-Américains, Latinos, etc.). Les digressions sont chez lui habituelles, mais elles remplacent maintenant de plus en plus le fond, rendant ses propos erratiques.

Capter l’attention de la foule et des médias en insistant sur ses obsessions ethno-nationalistes et masculinistes et la glorification d’un passé perdu, de même qu’utiliser des mots simples et des envolées obscènes, censés le rendre « plus proche du peuple », font partie de la stratégie Trump depuis 2015. Il semble cependant qu’on ait franchi un cap. Il confond l’Iran et la Corée du Nord, la Louisiane et la Géorgie, parle de son adversaire « Joe Biden » ou « Barack Obama » ou encore oublie le prénom de son épouse. Lors d’un passage sur le plateau de Fox News, à un enfant qui vit dans une ferme dans le Massachusetts et lui demande l’animal qu’il aime le plus, il répond qu’« avec Kamala il n’y aura bientôt plus de vaches ».

En 2016, il a tenu près de 300 meetings, contre une soixantaine en 2024 jusqu’ici. Pour combler ce vide, il se met en scène chez McDonald’s et multiplie les deepfakes, souvent humoristiques, sur son compte Instagram. Trump reste un bon communicant. Ses « petites histoires » récurrentes sur les requins et les bateaux électriques ou vulgaires sur la taille du pénis d’un célèbre golfeur continuent de faire de lui un showman, qui distrait ses supporters les plus fervents, mais le « génie très cohérent », comme il se définissait lui-même lors de son mandat, a objectivement du plomb dans l’aile.

Ses envolées, en outre, deviennent interminables. Le « New York Times » a mis en évidence que les discours de Trump sont passés de 45 minutes en moyenne en 2016 à 82 minutes aujourd’hui, et que son utilisation de mots négatifs par rapport à des mots positifs a augmenté d’un tiers. Il est encore plus pessimiste, sans filtre, désinhibé, nostalgique des années 1980-1990 lorsqu’il était au faîte de sa gloire médiatique en tant qu’homme d’affaires, parle de Ronald Reagan comme de son président préféré lorsqu’il était enfant (en 1980, quand l’ancien acteur est élu à la Maison-Blanche, Trump avait alors 34 ans). Lors de réunions publiques, Harris dit, avec ironie, que celles et ceux qui doutent encore de leur choix n’ont qu’à regarder les meetings de Trump pour se décider.

J. D. Vance, président plus tôt que prévu ?

La perspective d’un « abandon de poste » par Trump, une fois élu, fait son chemin dans l’esprit des démocrates : Trump est-il le cheval de Troie d’un mouvement MAGA (pour « Make America Great Again », slogan trumpiste devenu cri de ralliement) d’ores et déjà passé aux mains de son colistier J. D. Vance, fanatique anti-avortement et fantassin de la guerre culturelle, encore plus extrémiste que l’ancien président ? Et si tout ceci était un véritable calcul ? Une fois à la Maison-Blanche, Vance gracierait Trump dans ses affaires judiciaires au niveau fédéral, lui évitant ainsi amendes et prison. La rumeur va bon train quant à un pacte entre les deux hommes.

Car si Trump n’est pas en mesure de tenir les rênes du pouvoir, ceux qui ont écrit le « Projet 2025 » et entendent le mettre en œuvre, eux, y sont prêts, avec ou sans Trump. Le vote Trump est un vote partisan, plus pragmatique qu’il n’y paraît. Mais qu’en est-il de l’adhésion à Vance, qui pourrait bien, plus tôt que prévu, éclipser un Trump épuisé et, comme en 2016, mû par l’envie de gagner mais pas de gouverner ?