En décembre 2023, Global Times a classé Taïwan au quatorzième rang des pays les plus riches du monde malgré une population de moins de 25 millions d’habitants et une superficie réduite. Comment expliquer ce phénomène ?*

La richesse d’un pays se mesure sur la base du revenu par habitant tandis que la puissance économique se mesure au le PIB global (Produit intérieur brut). C’est pour cela que les petits pays ont souvent les niveaux de richesse les plus élevés, car ils n’ont pas besoin de supporter une population nombreuse et étendue géographiquement.

C’est le cas de Taïwan qui a décollé économiquement dans les années 1980 avec ceux qu’on a appelé les petits dragons d’Asie : la Corée du Sud et Singapour, tous tirés par le Japon.

Aujourd’hui, son PIB par habitant le classe effectivement parmi les pays les plus riches de la planète, au 14e rang si on tient compte du niveau des prix intérieurs (parité de pouvoir d’achat), et au 20e rang mondial pour son PIB total.

Quels sont les grandes composantes de l’économie taïwanaise ? Comment l’île génère-t-elle tant d’argent ?

Du côté des grandes composantes, il y a d’abord le travail de ses habitants, leur grand sérieux et leur ténacité, doublés d’un esprit marchand légendaire et d’une compétence technique hors-pair. Une grande partie de ces qualités, Taïwan les doit à son agriculture qui a bénéficié, en outre, d’une grande réforme dans les années 1970. Il est bien connu des spécialistes que la riziculture et les cultures maraîchères génèrent des qualités de travail collectif et de patience.

Aujourd’hui, c’est clairement l’industrie qui a pris le relais de l’agriculture et, notamment, tous les produits de la filière électronique dont les fameux semi-conducteurs et circuits intégrés essentielles à toute machine intelligente.

En quelques années, Taïwan est devenu le premier producteur mondial. Il le doit aussi à un taux d’investissement élevé lui permettant de rester en tête dans la course technologique, à l’image TSMC, un groupe taïwanais mondialement connu.

Qui sont les grands partenaires commerciaux de Taïwan ? Quels sont les principaux secteurs d’interactions commerciales ?

En termes géographiques Taïwan arrive à maintenir un équilibre subtil entre la Chine, le reste de l’Asie, l’Europe et les États-Unis d’Amérique. La part a toutefois fortement progressé ces dernières années, depuis l’arrivée au pouvoir des indépendantistes taïwanais il y a dix ans.

Les États-unis sont d’ailleurs désormais le premier partenaire commercial du pays, dans le cadre de l’appui indirect des Américains à l’indépendance de Taïwan même si Washington parle officiellement de statu-quo.

C’est la même chose en termes d’investissements extérieurs. Les entreprises taïwanaises s’étaient d’abord ruées sur la Chine au moment de son ouverture commerciale des années 1980-90. En effet, beaucoup de Taïwanais évoluant dans les affaires venaient originellement de Chine continentale, en particulier du Fujian et de la région de Shanghai qu’ils avaient fui au moment de l’arrivée des communistes au pouvoir.

Ces délocalisations ont permis aux entreprises taïwanaises de monter rapidement en gamme sur leur propre territoire mais aussi de partir à la conquête du reste du monde pour se soulager de la tutelle chinoise de plus en plus pesante.

La part de la Chine dans les investissements extérieurs taiwanais est passée de 75% à moins de 15% en quelques années, au profit du reste de l’Asie et de l’Europe (20% chacun) et des États-Unis (30%).

Dans quelle mesure ce commerce est-il important pour l’équilibre géopolitique de la région ? Du monde ? Ce commerce assure-t-il une sorte de sécurité quant à la stabilité de la région ? Protège-t-il Taïwan de la Chine ?

On dit généralement que le doux commerce pacifie les relations entre les humains. Cela peut s’avérer vrai pour votre boulanger mais le commerce international est aussi largement utilisé comme un levier géopolitique. Et ce depuis la nuit des temps.

L’équilibre recherché par Taïwan entre la Chine, le reste de l’Asie – dont son allié japonais –, les Européens et maintenant les États-Unis vise à assurer la stabilité et la sécurité économique de l’île en interdisant à un partenaire quelconque de faire pression sur elle.

Comme évoqué précédemment, c’est plutôt réussi en termes de commerce et d’investissements extérieurs, mais ça ne résistera pas à une guerre économique ou une guerre tout court qui serait déclenchée par Pékin.

Comme par exemple un boycott des produits taïwanais ou un blocage naval de ses livraisons vers le reste du monde. C’est ce qui explique une posture très prudente des Taïwanais qui consiste à ne fâcher personne vraiment tout en se préparant au pire.

 

Les résultats de la toute récente élection présidentielle peut-elle modifier cet équilibre économique et politique ?

Les dernières élections illustrent parfaitement la complexité de la situation dans un pays finalement assez divisé sur les choix stratégiques de son avenir. Lai Ching-Ta, le candidat du parti démocrate DPP (ou PDP en français) élu à la présidence le 13 janvier 2024, l’a été sous le slogan My Formose, c’est-à-dire l’ancien nom du pays avant la révolution chinoise.

Il est nettement pro-indépendance mais sans jamais le dire ouvertement. Il est arrivé premier avec 40% des suffrages exprimés mais n’a en réalité été élu que par le quart de l’électorat total. Sans compter que son parti a échoué à obtenir la majorité des sièges au Parlement.

Il faudra donc qu’il compose avec un vieux parti, le Kuomintang (KMT) qui s’était réfugié sur l’île au moment de l’affrontement avec Mao Tsé-toung et qui était alors soutenu par les Américains. Il est aujourd’hui partisan d’une attitude conciliante avec Pékin.

Enfin, un troisième parti a émergé, fondé et dirigé par Hou Yu-ih, très populaire au sein de la jeunesse notamment, grâce à son bilan d’ancien maire de Taipei, la capitale de Taïwan. Ce parti va jouer un rôle d’arbitre essentiel entre les deux premiers et se situe sur ce qu’on appelle la ligne du statu-quo, ni indépendance formelle, ni rattachement à Pékin comme ce fut le cas à Hong-Kong en 1997.

Cette expérience n’est pas très probante car les libertés fondamentales sont jour après jour rognées, contrairement à l’engagement « un pays deux systèmes » qui devait perdurer jusqu’à 2047. Bref, il s’agit d’une véritable partie d’échecs a commencé dans cette partie du monde et elle devrait durer longtemps.

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure pour GEO.