Les Démocrates sont parvenus à conserver d’une courte tête la majorité au Sénat, Harry Reid a sauvé son siège de sénateur dans le Nevada, et le parti de l’âne a remporté l’élection de gouverneur en Californie, où Jerry Brown va succéder à Arnold Schwarzenegger, qui passait la main. A part ça, on retiendra des élections mi-mandat la percée spectaculaire des Républicains, à la Chambre des représentants en particulier (sans mentionner les moins médiatisées élections des gouverneurs, où la victoire républicaine est peut-être encore plus nette), et la défaite cuisante du parti du président Obama, qui se voit dans l’obligation de changer de cap dans les deux prochaines années.
Avec plus de soixante sièges remportés par le Grand Old Party à la Chambre, selon les projections tandis que le dépouillement n’est pas terminé dans certaines circonscriptions (il lui en fallait 39 pour prendre le contrôle), le recul des Démocrates est encore plus spectaculaire qu’en 1994, quand le parti de Bill Clinton avait cédé 54 sièges dans ce qui fut qualifié de vague conservatrice. C’est avec une très nette majorité républicaine dans l’une des deux chambres du Congrès que Barack Obama va devoir travailler jusqu’à la fin de son mandat. Il a d’ailleurs dès l’annonce des résultats appelé John Boehner, futur président probable de la Chambre des représentants, et Mitch McConnell, leader de la minorité républicaine au Sénat, pour leur faire part de sa volonté de travailler ensemble et de trouver un terrain d’entente. Mais cela sera-t-il possible ? Rien n’est moins sûr.
Pendant cette campagne, les Républicains se sont acharnés sur Obama, transformant en certains cas cette élection en un véritable règlement de comptes. Comment sur de telles bases reconstruire un dialogue serein, et ne pas faire des deux prochaines années une sorte de parenthèse dans la vie politique américaine, à un moment bien mal choisi ? Là est sans doute le plus grand défi de l’administration Obama, et là est sans doute le principal danger qu’il se retrouve dans l’impasse.
Le président américain a deux solutions pour poursuivre les réformes qu’il a inscrites dans son programme électoral en 2008 et se présenter devant les électeurs en 2012 avec un bilan positif. Il peut tenter d’ignorer le résultat de cette élection, et s’appuyer sur sa majorité au Sénat, tout en multipliant les décrets. D’autres présidents américains se sont retrouvés dans une situation semblable, le dernier en date étant George W. Bush, mais le plus proche d’Obama dans le contexte étant Harry Truman, qui essuya une cuisante défaite aux mid-terms de 1946 (ses premières, comme Obama), et gouverna en ignorant le Congrès pendant deux ans, jusqu’à sa réélection en 1948… Mais difficile de comparer les deux époques et les deux profils, et difficile également de comparer la vigueur des élus du parti républicain en 1946 et en 2010. Et Obama est plus un homme du compromis, ce qui d’ailleurs lui a fait défaut pendant les deux premières années de sa présidence, là où il aurait parfois pu imposer plus rapidement des réformes, du fait de la majorité qui le soutenait dans les deux chambres. En clair, difficile d’imaginer le président américain ignorer le message clair que le Américains lui ont envoyé, et s’isoler pendant deux ans à la Maison-Blanche, au risque d’apparaître affaibli dans deux ans.
Reste une autre solution, qui consiste pour le président américain à jouer sur les divergences au sein du parti républicain. A cet égard, Obama pourrait trouver un allié de circonstance dans le Tea Party, qui risque de semer le trouble au sein de la nouvelle majorité à la Chambre. En tentant de séduire les Républicains les plus modérés, Obama pourrait diviser ses adversaires politiques, et se mettre à l’abri d’un « front conservateur » en 2012. Un véritable défi pour le locataire de la Maison-Blanche, notamment quand on sait que McConnell est presque obsédé par la prochaine élection présidentielle, mais Obama pourra peut-être compter sur le savoir-faire de son vice-président Joe Biden, ce dernier étant l’un des responsables politiques américains les plus aguerris dans l’art délicat des manœuvres législatives, des initiatives bipartisanes, ou des compromis avec des adversaires politiques. On connaissait ces qualités chez Biden quand Obama le choisit comme colistier en 2008, mais elles sont restées jusqu’ici peu utiles. Cette élection pourrait changer la donne dans ce domaine.
On serait cependant presque tenté de demander : et les Américains dans tout ça ? Les manœuvres politiques des deux partis semblent éclipser le problème de l’emploi, et d’une relance de l’économie qui tarde à se concrétiser. Or, c’est sur ces points que les électeurs ont manifesté leur frustration et leur mécontentement et, qu’ils le veuillent ou non, Républicains et Démocrates seront bien forcés, tôt ou tard, de travailler main dans la main pour y apporter des réponses. Et il faudra aussi que les Républicains se montrent plus constructifs qu’au cours des deux dernières années. En multipliant les obstructions, ils semblaient parfois uniquement déterminés par la volonté de saboter les réformes d’Obama, sans proposer de véritable alternative, sinon les éternels rejets du Big Government, des hausses d’impôts et des dépenses publiques. Cette campagne n’a pas permis d’apporter des éclaircissements en la matière, et le discours de John Boehner au soir de la victoire n’a pas non plus défini de véritable agenda politique. Mais comme le représentant de l’Ohio l’a lui-même mentionné, il est désormais temps de se mettre au travail ! Sans quoi cette impasse ne sera pas seulement celle d’Obama, mais des Etats-Unis dans leur ensemble.