Comment se positionne le gouvernement du Maroc vis-à-vis de l’escalade des tensions entre Israël et la Palestine ?
Il y a un embarras certain car le Maroc est contraint de tenir compte d’une opinion publique qui soutient presque viscéralement force la cause palestinienne. Cela n’est pas une spécificité du Maroc car c’est également le cas dans les autres pays arabes. De fait il y a souvent une disjonction entre les gouvernants et leur population. C’est ce que l’on nomme parfois un peu abusivement la « rue arabe ».
Il y aurait encore près de 3 000 Juifs dans le royaume chérifien et quelque 700 000 Israéliens seraient d’ascendance marocaine et auraient gardé des liens forts avec leur pays d’origine.
En revanche, là où le Maroc constitue un cas particulier, c’est qu’il a effectivement « normalisé » avec Israël en décembre 2020 et que par-delà même la « normalisation » effectuée, il existe des relations importantes entre les deux pays, notamment sur le plan humain puisqu’il demeure une communauté juive à la différence des autres pays arabes.
En effet, il y aurait encore près de 3 000 Juifs dans le royaume chérifien et quelque 700 000 Israéliens seraient d’ascendance marocaine et auraient gardé des liens forts avec leur pays d’origine. Une réforme de l’enseignement a même récemment intégré la culture juive dans les manuels scolaires. Sur un autre plan, il y a également des contacts étroits notamment en termes sécuritaires et de partage d’informations dont l’affaire du logiciel d’espionnage Pegasus ( (NDLR : le Maroc est accusé d’avoir utilisé ce logiciel d’espionnage israélien contre des journalistes et des personnalités étrangères) développé par la société israélienne NSO et auquel Rabat aurait eu recours, a constitué la face d’ombre.
La situation est donc difficile à gérer. Elle l’est d’autant plus que le roi du Maroc, Mohammed VI, se trouve présider, comme son père Hassan II l’avait fait, le Comité Al-Qods (« Jérusalem ») établi en 1975 et dont le siège est à Rabat. Un Comité dont la vocation déclarée est de préserver le caractère arabo-musulman » de Jérusalem et particulièrement de l’esplanade des mosquées.
Le Maroc doit faire le grand écart, car il ne veut pas revenir sur la normalisation de ses relations avec Israël. Mais évidemment il est obligé de tenir compte de sa population.
Pourquoi le Maroc a normalisé ses relations avec Israël en 2020 ?
Il a effectué cette « normalisation » dans le prolongement de la dynamique née des « accords d’Abraham » initiée par les « normalisations » de Bahreïn et des Emirats Arabes Unis en septembre 2020. Un des éléments qui a accéléré cette dynamique a résidé dans la reconnaissance officielle par Washington de la « marocanité » du Sahara occidental. Une reconnaissance faite également par Israël mi-juillet 2023 pour consolider cette « normalisation ».
Aujourd’hui, il paraît peu probable que le Maroc la remette radicalement en cause compte tenu des intérêts stratégiques qui l’avaient motivée. Mais une prise de distance publique est jugée inévitable pour ménager la charge émotionnelle qui s’exprime dans la population sur cette question palestinienne.
Propos recueillis par Margot Hutton pour TV5Monde Afrique.