• Interview de [Pierre Jacquemot->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=jacquemot], chercheur associé à l’IRIS, par Fabrice Aubert

La situation au Mali est très confuse. Les islamistes règnent sur Tombouctou, où les touaregs du Mouvement de national pour la libération de l’Azawad (MNLA) n’est plus présent. Est-ce déjà la fin de leur alliance de circonstances -si alliance il y a eu puisque le MNLA dément tout lien avec les groupes islamistes ?

Depuis le putsch militaire du 22 mars, on assiste à une précipitation de l’histoire au Mali. Les choses se bousculent et la situation, mouvante et alarmante, est difficile à décrypter.

Il faut tout d’abord comprendre, que politiquement et idéologiquement, les enjeux sont différents pour chaque acteur. D’un côté, les touaregs exigent l’indépendance, ou du moins l’autonomie, de l’Azawad. Leurs revendications sont donc essentiellement nationalistes. De l’autre, des éléments se réclamant de l’islam et probablement très influencés par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) appellent à l’instauration de la charia sur l’ensemble du pays. Et tout se complique étant donné que certains touaregs peuvent être islamistes, comme le groupe Ansar Dine dirigé par Iyad ag-Ghaly. Enfin, il ne faut pas oublier la présence de différentes milices rattachées à des chefs traditionnels qui agissent pour leur propre compte. Si leurs motivations politiques divergent, ces différents acteurs ont en revanche un objectif identique : le contrôle des nombreux trafics, notamment celui des otages et dernièrement de la cocaïne, qui se déroulent dans la région sahélienne.

Tout ceci est à l’origine d’une situation quasi-médiévale, avec des alliances et des contre-alliances qui se font et se défont rapidement et qui créent une instabilité permanente. Par exemple, il est certain qu’à Tombouctou, les touaregs n’acceptent pas l’application de la charia et le comportement des imams salafistes. D’où de possibles tensions conduisant à de nouvelles alliances.

Si la situation venait à s’envenimer entre eux, peut-on s’attendre à des combats entre touaregs et islamistes pour le contrôle du Nord du pays ?

Il est trop tôt pour le dire. En revanche, il est probable que certains à Bamako espèrent cyniquement qu’ils vont en effet se neutraliser en s’affrontant. Si c’était le cas, le rapport de force serait cependant en faveur des touaregs. Ils peuvent compter sur le soutien de la population -environ 1 million de personnes- et disposent militairement de 3.000 à 4.000 combattants, contre à peine 400 pour les islamistes. Ceux-ci pourraient cependant bénéficier de soutiens financiers extérieurs, notamment de wahhabites saoudiens, pour perpétuer l’affrontement.

A priori, les touaregs, qui revendiquent uniquement le contrôle de l’Azawad, n’ont aucune raison d’aller vers Bamako. En revanche, les islamistes pourraient-ils profiter de la déliquescence de la junte pour descendre au Sud ?

S’ils le souhaitaient, il n’est pas certain qu’ils en disposeraient des moyens logistiques. Ils pourraient aussi faire face à un sursaut de l’armée malienne qui serait alors sur son terrain. La composition ethnique du Sud, majoritairement bambara, serait aussi un problème. Enfin, la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) n’accepterait pas que la capitale d’un de ses Etats membres soit menacée par des groupes islamistes.

Justement, si elle en obtient le feu vert politique, en combien de temps la force militaire de la Cédéao peut-elle être opérationnelle ?

Il lui faudra un certain temps. Le dernier exemple le plus adéquat est le Libéria, où elle avait mis plusieurs semaines avant d’intervenir concrètement en raison de l’inertie intrinsèque au dispositif. Le Nigeria peut en revanche être plus réactif, à condition d’en avoir l’intérêt.

Et contre qui se battrait cette force de la Cédéao ? La junte ? Les touaregs ? Les islamistes ?

Elle se battrait pour la reconquête de l’intégrité territoriale du Mali et le retour d’un pouvoir civil. Donc contre n’importe quel groupe qui menace cette intégrité. Mais il est évident que le conflit ne pourra être résolu que par la négociation. Il faudra donc prendre en compte les revendications politiques des communautés du Nord pour aboutir à une solution -ce n’est pas le cas avec les islamistes dont les exigences sont idéologiques.

Les Maliens, à 90% musulmans, sont-ils d’ailleurs prêts à accepter la charia voulue par les salafistes ?

L’islam africain, tolérant et ouvert, est moins traditionnel que celui du Maghreb ou du Machrek. L’animisme conservant également une grande influence au Mali, il y aurait beaucoup de réticences, voire de résistance, face aux velléités des salafistes.

Plus globalement, les autres pays du Sahel, notamment la Mauritanie, le Niger et le Tchad, pourraient-ils être victimes d’un effet domino de la crise malienne, elle-même consécutive de la révolution en Libye ?

Oui, tous ces pays ont, à un degré moindre, les mêmes problèmes que le Mali, notamment la fragilité politique et pauvreté. La crise alimentaire qui sévit dans la région n’arrange rien. Cette dernière risque d’ailleurs de s’aggraver puisqu’il est très difficile d’organiser des distributions alimentaires dans un pays en guerre civile ou livré aux différents chefs. Plus globalement, le risque de déstabilisation s’étend de la Somalie jusqu’à la côte Atlantique.

Quelle conséquence la crise malienne peut-elle avoir sur les six otages français détenus par Aqmi, a priori quelque part dans le Nord du Mali ?

La confusion rend a priori difficile la poursuite des négociations, permanentes, pour leur libération. Il faut néanmoins espérer que certains puissent trouver intérêt, en rebattant les cartes, à s’attirer les faveurs des Occidentaux, ce qui implique de faire libérer les otages (ndlr : Aqmi détient au total 10 personnes).