• Interview de [Jean-Yves Camus->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=camus], chercheur associé à l’IRIS, par Arielle Thedrel

LE FIGARO. – Le Parti du progrès a condamné Breivik. L’extrême droite n’a-t-elle pas cependant une part de responsabilité dans ce massacre ?

Jean-Yves CAMUS. – Ce parti ne se définit pas comme d’extrême droite, mais comme populiste. C’est d’ailleurs un trait commun à toutes les formations représentant la droite extrême dans les pays scandinaves. L’autre point commun étant que toutes participent au jeu démocratique. De ce fait, elles contribuent à endiguer la tentation de recourir à la violence. Mais en même temps, parce qu’elles refusent de transgresser les règles, elles frustrent les militants les plus radicaux. Le Parti du progrès fait régulièrement la chasse à ses éléments néonazis. Ou bien ces derniers partent d’eux-mêmes.

Comme Breivik. Par ailleurs, en lisant le manifeste de Breivik, je suis frappé par le nombre d’occurrences du mot «Eurabia», très utilisé dans les milieux d’extrême droite pour dénoncer une prétendue islamisation rampante de l’Europe. Ce terme a été créé par une pseudo-islamologue britannique. Après le 11 septembre 2001, certains milieux ultraconservateurs ont exploité ce concept. À force de confondre islam et islamisme, de théoriser sur un choc des civilisations, ces gens ont échauffé les esprits et alimenté les fantasmes. Le djihadisme de Breivik fait parfaitement symétrie à l’islamisme radical.

Quel est le profil de ces populistes ?

Ils sont xénophobes et hostiles au multiculturalisme. Ils ont capté cette partie de l’opinion qui ne se reconnaît pas dans la culture humaniste longtemps caractéristique des sociétés scandinaves. Ce mouvement populiste est né dans les années 1970. Il véhiculait au départ un discours poujadiste. Il protestait contre le niveau de fiscalité, contre l’État providence. Lorsque ces sociétés scandinaves qui étaient assez homogènes sur le plan eth¬nique, culturel et religieux ont commencé à devenir multiculturelles, ces formations populistes ont intégré les thématiques de l’identité nationale et de l’immigration. Les immigrés en Norvège représentent 10 % de la population.

Quel est leur poids politique ?

Le Parti du progrès a remporté 22,9 % des suffrages aux législa¬tives de 2009, ce qui en fait la première ¬force d’opposition en Norvège. Le Parti du peuple danois, avec 13,8 % des voix, est le troisième parti représenté au Parlement. Le Parti des démocrates suédois, qui est davantage lié à l’extrême droite traditionnelle, a remporté 5,7 % des suffrages aux législatives de 2010. En Finlande, le Parti des vrais Finnois a réalisé 19,1 % des suffrages aux élections d’avril dernier, un score quatre fois plus élevé qu’en 2007. Donc, ce sont des forces politiques majeures. Ce qui pose un véritable problème aux droites conserva¬trices, à l’instar de ce qui s’était passé en Autriche avec le Parti de la liberté de Jörg Haider : faut-il les inclure dans des gouvernements de coalition ? La question s’est posée à plusieurs reprises en Norvège, mais les sociaux-démocrates s’y opposent. Au Danemark, le Parti du peuple ne participe pas au gouvernement mais le soutient. Il détient assez de sièges pour le mettre en difficulté et, du même coup, ne cesse de monnayer son appui. En Finlande, les conservateurs, arrivés en tête des élections, ont envisagé une alliance avec le Parti des vrais Finnois, mais les tractations ont échoué.

Breivik était proche d’un cercle néonazi suédois. Pourquoi suédois ?

La Suède n’a pas participé à la Seconde Guerre mondiale, alors que la Norvège a été occupée par les Allemands. Cette occupation, qui a été très dure, a stigmatisé le nazisme. De ce fait, il y a plus de groupuscules néonazis en Suède qu’en Norvège. La Suède a d’ailleurs connu toute une série d’attentats néonazis dans les années 1990.