• Tribune de Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS

Pris dans les tourments de la crise économique et financière qui sévit depuis bientôt quatre ans, l’Europe éprouve les plus grandes difficultés à retrouver une situation stable. Elle ne parvient ni à rassurer les marchés financiers ni les autres puissances économiques dont les États-Unis et la Chine, qui s’inquiètent – et le font savoir ouvertement, fait assez rare – des conséquences sur leur propre économie.

Il y a encore quelques années, l’Europe était une force d’attraction, son intégration constituait un objectif à atteindre pour de nombreux Etats désireux de faire partie de cette entité unique en son genre. Aujourd’hui, elle peine à protéger ses propres membres et risque, selon des observateurs toujours plus nombreux, l’éclatement. Nous n’en sommes pas encore là mais l’état de l’Europe exige qu’une rigoureuse réflexion soit menée sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle devrait être.

L’élection le 6 mai dernier de François Hollande a suscité en Europe de très nombreuses réactions – en majorité positives – des dirigeants, comme si un nouvel élan européen était sur le point de se dessiner. Pourtant, à l’exception de l’idée d’inclure une perspective "croissance" dans la politique d’austérité appliquée par les États membres, la politique étrangère de la France n’a clairement pas été un thème majeur de la campagne présidentielle. Ce sentiment que quelque chose peut changer avec un nouveau président de la seconde puissance européenne témoigne que l’Europe se fait encore par ses Etats, que ces derniers conservent toujours une relative puissance.

Certes, il y a eu de multiples percées fédéralistes dans la construction européenne, mais de nombreux secteurs dits régaliens sont exclus, à l’image de la défense, de la politique budgétaire dans son ensemble… L’Europe vit avec cette schizophrénie remarquable car ses dirigeants n’ont jamais eu le courage de faire un choix clair : une Europe des Etats avec un respect renforcé de la souveraineté de chacun ou bien une Europe fédérale, projet certes compliqué à mettre en œuvre mais particulièrement audacieux et à terme susceptible de renforcer aussi bien l’Europe que ses membres ? Cette dernière conception de l’Europe permettrait, avantage majeur en ces temps de disettes budgétaires, aux Etats membres de faire des économies via la mutualisation des savoirs faire de chacun et en évitant des concurrences internes improductives, voire sources de fragilité face à des géants extra-européens. Le fait que la mise en place de l’Europe de la défense s’éternise rappelle que l’Europe fédérale, aussi nécessaire soit-elle, n’est clairement pas à l’ordre du jour.

Pourtant, en insufflant davantage de fédéralisme en Europe, on renforcerait la solidarité entre Etats, solidarité qui fait particulièrement défaut actuellement. Le discours envisageant une sortie de la Grèce de la zone euro n’est aujourd’hui plus tabou et n’étonne plus. Toutefois, si cela se produisait, quel message enverrait l’Europe au monde entier ? Comment pourrait-elle se dire puissante en ne parvenant pas à trouver une solution viable pour un Etat ne représentant que 2% de son PIB ? Il est normal que la Grèce doit prendre sa part de responsabilité dans son relèvement : sa politique économique des trente dernières années a été laxiste, mensongère vis-à-vis du peuple grec qui a vécu au-dessus de ce à quoi il pouvait prétendre, profitant des largesses et des faiblesses d’un Etat mal structuré et organisé. La Grèce doit donc évidemment payer pour retrouver sa crédibilité, mais cela ne peut se faire que par une mutualisation de sa dette avec ses partenaires européens.

Ce serait difficile à faire accepter, en particulier à l’Allemagne qui rappelle les sacrifices qu’elle a du faire pour avoir une économie dynamique. Mais en restant inflexible sur le respect strict du mémorandum pour la Grèce, l’Allemagne ferait une grave erreur, se privant de l’occasion d’être un vrai leader européen en orchestrant l’aide à un état en quasi faillite. Il ne s’agirait nullement de faire un chèque en blanc, mais de trouver les ressorts européens suffisants pour remettre à nouveau la compétitivité de la Grèce, via l’implantation d’entreprises européennes dans le pays par exemple.

La chancelière Merkel pense davantage à l’intérêt de son pays, et de son parti la CDU, que de l’Europe. Le président Hollande a la possibilité de formuler une autre vision de l’Europe, et le calendrier européen devrait lui permettre de faire entendre un autre point de vue que celui de l’Allemagne. Il est attendu par tous et ne peut se risquer à décevoir les Etats européens dans leur ensemble, et surtout les plus fragiles (Grèce, Espagne, Portugal, Italie). Il en va de l’Europe et de sa survie.