Affaires Renault, Valéo, Ingénico, Turbomécanica en France, Harmitage en Russie, Rio Tinto, Danone en Chine, Huawei aux Etats-Unis…nous sommes au cœur d’une hypercompétition que certains n’hésitent à appeler guerre économique. L’hyperconcurrence entraîne les entreprises dans les eaux troubles des batailles économiques et les obligent à utiliser des moyens pour le moins "peu conventionnels".
Pour appliquer ces méthodes grises (déloyales) ou noires (illégales), les états-majors des entreprises recrutent chez les anciens militaires, policiers ou membres des services de renseignement. Ils font même parfois appel à des hackers ou d’anciens agitateurs reconvertis. Lorsqu’elles ne veulent pas agir elles-mêmes directement, elles se paient les services des sociétés d’intelligence économique, lesquelles d’ailleurs sont également majoritairement composées d’anciens agents d’appareils sécuritaires.
Les entreprises fourbissent leurs armes et affinent leur stratégie. Industriels, banquiers, financiers, assureurs…disposent d’une panoplie guerrière assez large pour ce grand jeu commercial. On relève une dizaine de techniques offensives de conquête des marchés ou de déstabilisation : du benchmarking offensif, à la contrefaçon, en passant par le détournement des opérations de recrutement…
Le principe est simple : observer et copier les bonnes idées. Le benchmarking est une pratique totalement légale dans la mesure où la recherche de l’information se fait dans un milieu ouvert : presse, colloque, forum, internet…. En revanche, il devient illégal (on parle alors de benchmarking "offensif") lorsqu’il se fait au détriment du concurrent observé grâce à de l’information obtenue de manière douteuse.
Le B.A BA de la technique : cacher sa véritable identité en se faisant passer pour un client, un fournisseur, un étudiant qui prépare une thèse…Un simple coup de fil avec cette fausse identité peut permettre d’obtenir beaucoup d’informations. On peut également recruter un étudiant pour faire un stage dans l’entreprise visée. Parfaitement briefé, il fera à coup sûr une excellente pêche aux informations.
En cas d’échec, les opérationnels de l’intelligence économique passent à la vitesse supérieure. Il s’agit alors de lancer un faux appel d’offre pour attirer la société ciblée, se faire communiquer ses tarifs, évaluer sa marge de manœuvre pour faire baisser ses prix et même déclencher une visite de ses locaux. Ainsi introduit dans l’usine, le faux client peut même déclencher des incidents pour appréhender les réactions du concurrent. En 1988, révèle le magazine Fortune, la société Marriott, qui gère une chaîne d’hôtels haut de gamme, souhaite évaluer les prestations de ses concurrents. Elle forme une équipe de plusieurs hommes et femmes qui se font passer pour des clients ordinaires. Tout est passé au crible : service à l’étage, restauration, literie, sanitaire…Mais Marriott veut en savoir plus sur le professionnalisme de ses concurrents. Les dirigeants demandent donc à leurs taupes de déclencher de faux incidents pour tester les réactions du personnel. La répétition délibérée de ces incidents peut nuire à l’image ou la poursuite des activités du concurrent.
Même approche, mais cette fois il s’agit de copier un produit et non des processus. Toute la démarche de contrefaçon vient du reverse engineering. En clair, on part d’un produit existant pour le démonter afin d’en comprendre le mécanisme, puis de le recopier en l’améliorant. Mais l’astuce ne s’arrête pas au vulgaire copiage. Pour déstabiliser un concurrent, il faut aller plus loin. Comment ? En lançant sur le marché des contrefaçons volontairement mal reproduit afin de générer des mécontentements parmi la clientèle ! L’auteur de cette machination s’arrange même pour donner un écho médiatique à ces mécontentements (par exemple via des organes de presse peu scrupuleux ou créés de toute pièce). La contrefaçon offensive ou concurrentielle a pour but de détruire l’image du concurrent.
Les exemples sont légions : des copies de poupées Barbie inflammables ; des faux robots ménagers qui imitent Seb ou Moulinex sans les mêmes systèmes de sécurité que les appareils authentiques ; le prétendu Cognac fabriqué en Russie avec des solvants qui peuvent rendre aveugle ; certaines copies de disjoncteurs d’une marque connue, fabriqués en Chine, qui ne disjonctent pas…
Dès 1998, la sonnette d’alarme est tirée. Le recrutement est devenu au cours des années 90 une arme redoutable de guerre économique. A tel point qu’il a été l’objet d’une étude toujours confidentielle de l’Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI). Pour les auteurs de cette enquête, il ne fait aucun doute que le "recrutement est un outil de renseignement et de déstabilisation". Un cadre chassé parle facilement au cours d’un entretien d’embauche, ne serait-ce que pour vanter ses mérites et ses exploits commerciaux. On imagine alors le type d’informations qu’il laisse innocemment filtrer sur l’état de son entreprise (tarifs des produits, listing clients, rémunérations des cadres importants, organisation des services, projets commerciaux en cours…). "Les entretiens de fausse embauche sont identifiés comme source de fuite d’informations", note le rapport de l’IHESI.
La chasse de tête peut également dans certains cas être utilisée pour préparer une opération de rachat ou pire, tuer l’entreprise concurrente. Le scénario consiste à vider peu à peu une entreprise de ses cadres clés et à leur soutirer le maximum d’informations avant d’engager l’opération. Il arrive même qu’un chasseur reçoive mandat pour recruter le directeur juridique d’une entreprise cible d’une OPA. Lorsque plusieurs cadres quittent subitement l’entreprise victime, on parle de débauchage massif, acte évident de concurrence déloyale sanctionné par la loi.