Le scrutin sénatorial du 25 septembre est historique : il s’agit d’un événement politique majeur de la Ve République. Toutefois, la rupture n’est pas tout à fait consommée. Une certaine "anomalie démocratique" persiste. Le basculement de la majorité sénatoriale en faveur de la gauche ne s’est pas accompagné d’une amélioration de la représentativité de cette Assemblée. Au contraire. Le portrait type du sénateur est inchangé. Il présente toujours les mêmes traits caractéristiques : celui d’un homme blanc, âgé de près de 65 ans et issu des couches supérieures. Les tendances lourdes de la crise de représentativité de notre classe politique et la thèse de l’inégalité d’accès aux fonctions électives sont ainsi confortées par ce scrutin sénatorial qu’on présente comme révolutionnaire.
Malgré l’existence d’un dispositif de quotas en vue d’assurer une égalité politique réelle entre hommes et femmes, le principe de la parité n’a pas permis d’opérer la révolution des pratiques et des mentalités. Sur les 170 sièges soumis aux votes des grands électeurs, seules 49 femmes ont été élues lors de ce renouvellement partiel de la Chambre haute. Ainsi, sur 348 sièges, le Sénat ne compte plus que 77 sénatrices. Leur nombre recule (trois sièges en moins), leur proportion aussi.
En cela, les partis politiques français sont encore loin de jouer le jeu de la parité, principe qu’ils ont pourtant consacré sous la forme législative ! Des partis politiques qui perçoivent la parité par trop comme une contrainte juridique, alors qu’il s’agit d’une exigence politique. L’enjeu démocratique n’est pas encore saisi.
Que dire des candidats "issus de la diversité"… Le Palais du Luxembourg demeure un palais interdit, à l’exception de quelques figures symboliques. Alors que le Sénat se présente sur le plan institutionnel comme le garant de l’expression de la diversité des territoires, il est loin de refléter la réalité de la société. Le dernier scrutin confirme un sentiment désagréable : le fait d’être visiblement issu d’un segment particulier de la société est une source d’illégitimité voire d’incapacité à incarner la représentation nationale.
Le problème n’est pas propre au Sénat. Les femmes représentent à peine 19 % des députés à l’Assemblée, et c’est parmi elles que l’on compte la seule personne "issue de la diversité" (George Pau-Langevin). Un symbole aussi fort que l’accueil fait à la candidature de Catherine Tasca à la présidence du Sénat… Les partis politiques sont les premiers responsables de la prégnance de ces réflexes conservateurs qui aboutissent à une situation d’"homogénéité pathologique" de nos Assemblées.
Avant même que le suffrage ne puisse s’exprimer, une présélection des candidats à la compétition électorale a en grande partie tranché l’issue du scrutin. Les investitures et/ou la fixation des listes sont déterminantes. La responsabilité des partis est d’autant plus lourde que, dans les circonscriptions où sont élus 4 sénateurs et plus (soit 112 sièges), l’élection a lieu à la proportionnelle et leur laisse donc une plus grande marge de décision. Or, le déficit de volontarisme politique est patent. Les états-majors ont déployé lors de ce scrutin de véritables stratégies pour contourner l’"obligation paritaire".
La méritocratie élective est encore réservée à une fraction de citoyens. L’entrée au Palais du Luxembourg demeure plus sélective pour certains que pour d’autres. Si l’existence d’une "élite élue" n’est pas en soi critiquable, son caractère homogène et monolithique pose problème. Les appareils partisans participent à l’autoreproduction sociale. La crise de confiance dans la politique n’est pas étrangère à la crise de représentativité de nos élites élues. Dans ces conditions, sauf à se complaire dans une forme d’oligarchie institutionnalisée, l’alternance en 2012 doit rimer avec "diversification" et renouvellement du personnel politique.