Le président français Nicolas Sarkozy, qui se présente à l’élection présidentielle d’avril-mai 2012 pour un second mandat, incarne à coup sûr un tournant dans l’histoire de la droite en France. Il représente probablement l’équivalent français de ce qu’a pu être la «nouvelle droite» aux États-Unis avec la «révolution Reagan» durant les années 1980 ou l’expérience au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni à la même époque.
Cependant, à la différence du reaganisme ou du thatchérisme, le sarkozysme n’est pas une idéologie à proprement parler. Il s’agit bien plutôt d’une façon émergente de faire de la politique en France qui s’appuie sur un nouveau langage politique et une nouvelle stratégie politique visant à conquérir ou à conserver le pouvoir.
Avant que Nicolas Sarkozy n’arrive à la tête du principal parti de droite français, l’Union pour un mouvement populaire (UMP), en 2004, la droite souffrait en France d’une sorte de complexe qui l’amenait à ne pas s’assumer réellement comme un courant politique conservateur, même si elle l’était de facto. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. La «nouvelle droite» incarnée par Nicolas Sarkozy s’affirme comme une droite conservatrice sans aucun complexe. C’est la raison pour laquelle on parle d’ailleurs à son propos de «droite décomplexée».
Le premier symptôme de cette «révolution sarkozyste» est l’adoption par Nicolas Sarkozy et les sarkosystes d’un nouveau langage politique, censé être plus proche des gens. Ils ont été de ce point de vue influencés par la stratégie de «transgression» de Jean-Marie Le Pen, qui affirmait dans les années 1980 dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, mais sans jamais oser le dire dans la sphère publique.
Le second symptôme de cette révolution est la mise en place d’une nouvelle stratégie politique. Nicolas Sarkozy a tiré trois leçons importantes d’une série de difficultés rencontrées par la droite française depuis la fin des années 1980.
La première est la nécessité absolue de favoriser l’unité de la droite et de s’appuyer sur un parti pour remporter l’élection présidentielle. La seconde est la nécessité de réformer le pays en profondeur. Nicolas Sarkozy a défendu l’idée de «rupture» avec l’«immobilisme» de ses prédécesseurs. Il a ainsi promis de mettre en oeuvre un ambitieux programme réformiste lors de sa campagne présidentielle de 2007 et il se présente en 2012 comme celui qui a pris les décisions qui s’imposaient, même si elles se sont révélées impopulaires, en matière de réforme du système de retraite, de l’université ou de l’organisation de l’État, avec une réduction des effectifs de fonctionnaires.
La troisième leçon est qu’en France, on ne gagne pas les élections au centre, mais bien à droite. Cette idée lui a été inspirée par la qualification pour le second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen en avril 2002 et la victoire du «non» lors du référendum sur la Constitution européenne en mai 2005. Pour Nicolas Sarkozy, en effet, la population française est plus conservatrice qu’on ne le pense communément […] sur des thèmes comme la sécurité, l’immigration, le travail, l’assistanat, le mariage homosexuel et le vote des étrangers aux élections locales. […]
À l’instar du thatchérisme ou du reaganisme, le sarkozysme suscite malgré tout une très forte polarisation politique et le même type de critiques. Sa politique est ainsi souvent qualifiée, en particulier par la gauche, d’injuste et d’extrémiste et décrite comme une source de divisions. Nicolas Sarkozy est ainsi souvent perçu comme le «président des riches» et même comme un président «bling bling» qui aime l’argent et les signes extérieurs de richesse.
On lui reproche également de chasser sur les terres de l’extrême droite en reprenant à son compte un certain nombre de ses idées sur les questions de sécurité, d’immigration ou d’identité nationale —The Wall Street Journal dans son édition du 13 mars parlant même à son propos de «Nicolas Le Pen». Enfin, Nicolas Sarkozy est souvent accusé de chercher à diviser les Français plutôt qu’à les rassembler en désignant à la vindicte populaire un certain nombre de boucs émissaires: les fonctionnaires, les fraudeurs aux prestations sociales, les assistés, les immigrés, les syndicats, etc.
Quel sera l’héritage du sarkozysme? Il est encore bien trop tôt pour répondre à cette question. Néanmoins, ce qui est certain, c’est qu’une défaite du président sortant en mai 2012 amènerait une large partie de la droite française à s’interroger sérieusement sur cette stratégie politique qui a été pourtant si efficace d’un point de vue électoral en 2007.