La concomitance entre ces trois affaires peut interroger. Comment l’expliquez-vous ?
Emmanuel Lincot : Ces arrestations interviennent alors que règne un climat plutôt défavorable à la Chine. En Allemagne, l’opinion publique est vent debout contre le chancelier, qu’elle accuse de trop grande complaisance avec le régime chinois. Olaf Scholz était d’ailleurs en déplacement à Pékin il y a quelques jours. D’autre part, on observe que la collusion entre Moscou et Pékin se précise par rapport à l’Ukraine. Et donc, il faut être d’autant plus vigilant. Enfin, toute l’Union européenne est impactée par un problème de fond, à savoir l’interdiction prochaine et probable de l’application TikTok. À travers ces annonces, c’est peut-être aussi une manière de préparer l’opinion face à ces éventualités.
Quelles types d’informations, Chine espère-t-elle récupérer quand elle nous espionne ?
Le renseignement chinois s’infiltre partout, que ce soit dans les entreprises, les institutions étatiques ou les universités. En Allemagne, la première affaire porte sur de l’espionnage industriel. C’est un grand classique. Cela consiste à approcher des personnes qui travaillent dans des secteurs sensibles et à les payer en échange d’informations sensibles sur des technologies en cours de développement, par exemple. L’autre affaire, qui touche cette fois le Parlement européen, repose sur du recueil d’informations. Il s’agit pour la Chine de collecter toutes sortes d’informations, notamment sur l’Ukraine.
L’un des espions présumés qui a été arrêté en Allemagne travaillait pour un agent du ministère de la Sécurité de l’État chinois (MSS). Pouvez-vous nous en dire plus sur cet organe et sa fonction au sein du régime ?
Son fonctionnement est très opaque. Ce que l’on sait du point de vue de l’organigramme, c’est que ce service dépend directement du Parti communiste chinois (PCC), mais aussi et surtout du politburo (bureau politique du Parti communiste chinois, ndlr) et donc, du président chinois Xi Jinping lui-même. Les services de renseignement chinois ont à leur disposition des moyens financiers colossaux. Surtout, ils ont aussi l’avantage du nombre. On parle de centaines de milliers de personnes, de l’analyste au spécialiste en intelligence artificielle, en passant par l’étudiant qui rapporte telle ou telle information. Si bien qu’aujourd’hui, on peut aisément penser que leurs services secrets sont aussi puissants et sophistiqués que ceux des Russes ou des Américains.
Selon vous, y a-t-il une forme de naïveté de la part des Européens face à l’espionnage chinois ?
Ces affaires d’espionnage arrivent à un mauvais moment dans la relation bilatérale franco-chinoise. Cette année, nous célébrons le 60ᵉ anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la France. Il sera intéressant de voir la position de la France à ce sujet lors de la visite de Xi Jinping prévue les 6 et 7 mai prochains. Plus généralement, il y a un intérêt urgent à sensibiliser davantage l’opinion publique, mais aussi les entreprises, sur ce risque d’espionnage.
Propos recueillis par Matthieu Delacharlery pour TF1 Info.