• Brahim Oumansour

    Directeur de l’Observatoire du Maghreb, chercheur associé à l’IRIS

L’Algérie a connu un repli diplomatique sous l’ère Bouteflika, et ce, malgré le rebond qu’a connu le pays dans les années 2000. Depuis sa chute, suite au Hirak, Alger tente de revenir sur la scène internationale et régionale. Est-elle aujourd’hui capable de faire face aux bouleversements qui l’entourent ?  

Alger fait face à plusieurs défis, car la région et le monde ont beaucoup évolué et les nouvelles configurations [sont] marquées, notamment, par la montée de puissances régionales, avec une diplomatie plus agressive, plus active dans la région. Et puis la situation est tendue entre l’Occident et la Russie, et cela impacte directement les rapports qu’entretient Alger avec ses différents partenaires, que ce soit avec l’Union européenne ou avec les Russes et, plus largement, avec d’autres puissances régionales et internationales.

Justement, la relation entre Alger et certains pays de la région est animée par la lutte hégémonique et le leadership régional, cela met-il parfois la diplomatie algérienne en difficultés ? 

Certainement. Il faut rappeler que la relation entre l’Algérie et les Émirats arabes unis est aussi impactée par les nouvelles reconfigurations régionales, notamment depuis la normalisation entre le Maroc et Israël, voulue par les États-Unis pour renforcer un axe entre les États-Unis, Israël, les Émirats arabes unis et le Maroc pour agir sur tout l’axe Moyen-Orient et Maghreb. Et cela, bien évidemment, rajoute des défis supplémentaires à la diplomatie algérienne.

L’Algérie s’inquiète pour sa sécurité. L’instabilité règne dans plusieurs pays voisins – le Mali, le Niger, la Libye –, elle croit à une politique sécuritaire pour la stabilité de la région, mais elle plaide toujours pour la non-ingérence. Comment réconcilier ce principe avec l’impératif sécuritaire imposé par la situation régionale ? 

En effet, l’instabilité régionale fait partie de ces défis qui bouleversent, en quelque sorte, l’héritage de la politique étrangère algérienne qui a toujours été constante sur le principe de non-ingérence. Mais l’instabilité même de ses frontières, notamment sud, avec le Mali, le développement qu’on observe récemment avec le coup d’État et les nouveaux dirigeants maliens qui veulent résoudre la crise malienne par une solution militaire et une offensive militaire sur le Nord, par exemple, inquiète beaucoup Alger. Et puis l’instabilité, plus largement, d’autant plus avec l’arrivée d’acteurs étrangers à cette région – la présence de Wagner, du groupe paramilitaire russe, et puis d’autres États, les Émirats arabes unis, qui sont très présents, la Turquie… – la présence étrangère à ses frontières inquiète beaucoup Alger et cette inquiétude se traduit, notamment cette année, par l’augmentation du budget militaire qui a plus que doublé. Aujourd’hui, on sent chez les dirigeants algériens un sentiment d’encerclement par rapport à cette instabilité régionale.

Alger pèse-t-elle moins aujourd’hui au Sahel ? La crise avec le Maroc a-t-elle affaibli son influence dans cette zone ? 

Le poids diplomatique de l’Algérie reste encore important au Sahel. Alger continue à soutenir, y compris économiquement, certains pays du Sahel. Cela contribue, bien sûr, à renforcer les liens entre l’Algérie et ces pays. Mais, bien évidemment, elle fait face à la concurrence, notamment de la politique africaine du voisin marocain et puis d’autres acteurs qui ont bouleversé la géopolitique africaine, en quelque sorte, et qui ont incité les États africains à diversifier leurs partenaires, ce qui exige de la diplomatie algérienne beaucoup plus d’activisme et, je dirais, d’ingéniosité pour maintenir son poids, voire l’approfondir.