• Analyse de Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS

Nous sommes en pleine campagne présidentielle. Les candidats s’agitent, vont et viennent au gré d’une actualité plus ou moins triste, se chamaillent, cherchent la petite polémique qui leur assurera un répit de quelques jours. Un répit pour quoi ? Pour pallier l’absence d’idées nouvelles, de mesures innovantes pourtant indispensables pour relancer une machine économique à bout de souffle.

N’est-il pas étrange que le projet présidentiel du candidat sortant ne soit pas encore dévoilé ? Comment les citoyens peuvent-ils choisir si on ne leur donne pas, volontairement, les cartes nécessaires ? Les petites taxes d’un côté, les "pseudo réformettes" de l’autre ne sauraient témoigner d’une vision d’ensemble de la situation de la France.

Alors qu’une campagne présidentielle pour le moins kafkaïenne se déroule en France, de l’autre côté des Alpes, la situation est radicalement différente. Bien que dans une situation économique pire que celle de la France, avec une dette publique abyssale, un chômage des jeunes inquiétant et un secteur industriel pas assez puissant pour rivaliser avec les géants européens et mondiaux, l’espoir demeure que l’Italie se sorte par le haut de cette crise qui n’en finit pas. Mise dans le même panier que la Grèce, l’Espagne et le Portugal, l’Italie se démarque de ses partenaires de l’Europe du Sud par des choix politico-stratégiques d’une importance majeure, au prix d’un courage politique certain.

Courage politique

Rappelons que l’Italie a pris un chemin différent de la Grèce en n’organisant pas des élections anticipées qui auraient perturbé et fragilisé un pouvoir législatif déjà très discrédité pour ses abus, sa relative inactivité et ses querelles politiciennes. La solution retenue, très audacieuse et qui a suscité des contestations aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, a consisté à mettre en place un gouvernement technique, dépourvu cependant de réelle légitimé populaire. Composé de spécialistes de chaque domaine (un ambassadeur pour le ministère des Affaires étrangères par exemple…) ou de personnalités ayant fait leurs preuves dans leurs carrières dans le privé, ce gouvernement unique en son genre, dirigé avec intelligence par Mario Monti, pourrait bien réussir son pari : réformer l’Italie pour lui faire retrouver une place de premier plan en Europe.

Alors que la France pense "mesurettes", Super Mario (comme il est appelé en Italie) n’a pas peur de remettre en cause ce qui existe depuis des années et de s’attaquer à des réformes auxquelles beaucoup n’oseraient pas penser. Croissance, justice, lutte contre la corruption, statut de la RAI, chômage sont autant de thèmes auxquels Monti tente de trouver des applications innovantes et profitables à tous.

Les premiers résultats commencent à se voir, avec un déficit qui diminue et surtout une confiance des marchés accrue avec une conséquence mécanique : les intérêts auxquels l’Italie emprunte diminuent sensiblement, tant et si bien que des économistes se risquent à prédire une situation meilleure pour l’Italie que pour la France dans les prochains mois, si rien n’est fait après l’élection de mai.

C’est sans doute exagéré, mais il me semble malgré tout que Monti marque une rupture dans l’histoire politique de l’Italie, qui, rappelons-le est une république très jeune et qui a connu une instabilité politique digne de la IVème république en France. Son souhait de toujours faire participer tous les courants politiques, les syndicats, et ce malgré de profondes divergences conceptuelles et politiques entre eux, lui permet de dépasser les clivages. Mais surtout, de par une stratégie maîtrisée du consensus, le président du Conseil parvient à faire accepter des propositions par des leaders aussi opposés qu’Alfano (droite), Bersani (gauche), Casini (centre).

Certes, chacun tente de se démarquer mais tous savent que bloquer le processus de réforme reviendrait à être accusé par le peuple de jouer contre l’intérêt du pays, ce qui ne serait guère intelligent avec les prochaines élections municipales. Stefano Folli, journaliste à Il Sole 24 Ore, a très bien résumé le sommet de jeudi dernier entre les trois leaders politiques et Monti : "des petits pas, mais aucun accroc". C’est un peu la synthèse de la politique italienne actuelle : on avance lentement, trop selon certains, mais sans jamais buter, et avec à chaque fois des progrès.

Priorité à la concertation et à l’action

Cette semaine va être un véritable stress test pour le gouvernement de Monti qui doit défendre mardi sa réforme du marché du travail devant les syndicats et le patronat, assez divisés sur l’évolution du fameux "article 18". De façon très schématique, l’objectif serait d’avoir un système de "flexi-sécurité", avec une plus grande efficacité pour obtenir les allocations chômages (l’actuel système d’indemnisation étant parcellaire) tout en octroyant plus de facilité aux entreprises pour licencier. La partie est loin d’être gagnée, mais Monti s’est engagé à décider d’ici la fin de la semaine.

Sa mission est cependant loin d’être achevée : passée la réforme du marché du travail, le gouvernement Monti compte s’atteler à la délicate réforme de la justice et de la lutte contre la corruption, ainsi qu’à un nouveau mode de désignation de l’exécutif à la tête de la RAI. Les prochains mois s’annoncent particulièrement sensibles pour l’équipe gouvernementale qui pourra de moins en moins compter sur le soutien des grands partis, qui pensent aux élections de 2013. Ces derniers ne se risqueront pas à bloquer le processus de réforme amorcé, mais seront de plus en plus critiques à mesure que les réformes seront jugées impopulaires.

C’est à une mission éminemment dure à laquelle Mario Monti a décidé de prendre part. Même si certaines de ses mesures sont critiquables de par un libéralisme trop prononcé dans certains cas, on ne peut que lui souhaiter de réussir dans son entreprise titanesque de remise à niveau de l’Italie. Et on peut émettre le vœu pieu de voir la classe politique française prendre exemple sur un gouvernement qui se soucie du pays avant tout, privilégiant la concertation et l’action, quitte à devenir impopulaire. Ce qui n’est étrangement pas le cas en Italie… preuve en est que les peuples peuvent accepter des sacrifices, lorsqu’ils sont justifiés.