• Par [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS, et Joël Bouzou, président fondateur de Peace and Sport

L’impact médiatique du sport est tel qu’aujourd’hui le sport est beaucoup plus que du sport. Investi par les acteurs politiques, son impact diplomatique et ses répercussions géopolitiques peuvent être immenses.

Près d’un milliard de personnes ont été témoins, mercredi 30 mars, de la volonté de rapprochement exprimée par l’Inde et le Pakistan sur un terrain de sport. La Coupe du monde de cricket est l’événement sportif le plus attendu, le plus suivi et le plus fêté du sous-continent indien. La demi-finale qui opposait les deux pays fut l’occasion d’une rencontre qualifiée d’historique entre les premiers ministres indien et pakistanais, qui se sont "rendus sur le terrain en amont de la rencontre, puis au terme de huit heures de compétition ont dîné côte à côte et fait des déclarations appelant à profiter de cette occasion pour sceller ce rapprochement et envisager une« réconciliation permanente ».

La portée symbolique très forte de l’événement résulte du contexte politique dans lequel il intervient, dans la lignée des tensions nées des attentats de Bombay de2008. Ces derniers temps, toutefois, le fait que les deux capitales soient en relative désaffection vis-à-vis de Washington les amène à reconsidérer la voie du bilatéral pour construire des relations. Utiliser cet événement hautement médiatisé dans la région confirme ce dessein de rapprochement, et peut laisser espérer que le message transmis au plus haut niveau politique se diffuse aussi à d’autres échelles.

Diplomatie du cricket, diplomatie du ping-pong entre la Chine et les Etats-Unis depuis les années 1970, diplomatie du football illustrée récemment par les rencontres Turquie-Arménie à l’occasion des matchs préparatoires pour la Coupe du monde 2010… la diplomatie sportive concerne tous les sports et toutes les régions : elle est un moyen d’expression d’une « souveraineté douce » permettant de faciliter un rapprochement entre deux pays antagonistes. Le sport, au même titre que la culture, le patrimoine ou encore le commerce, est un outil de « soft power », un instrument d’influence et de rayonnement auquel les États ont de plus en plus recours pour réguler leurs relations.

La visibilité et l’impact sans égal du sport sur les populations en font un prétexte idéal pour transmettre des messages d’ordre politique. Par ce geste symbolique les deux pays confirment au grand jour le rapprochement envisagé depuis quelque temps. Le match est ainsi utilisé comme une caisse de résonance à une volonté politique partagée. Mais il ne faut pas se faire d’illusion en imaginant une baguette magique qui va résoudre le conflit indo-pakistanais. Le sport est un outil diplomatique parmi d’autres qui ne se suffit pas à lui-même pour sceller une dynamique politique. Celle-ci doit donc être relayée dans bien d’autres domaines.

Car la diplomatie a sa logique propre, autonome, et elle est souvent insuffisante à supprimer la violence et les rancœurs au sein même des communautés. La paix « par le bas » est au moins autant importante que celle des élites. Ainsi, pour consolider cette volonté politique exprimée par le canal du sport, il faut à présent considérer cet événement comme le point de départ d’une démarche pragmatique qui consisterait à utiliser le sport comme outil de rapprochement à une échelle locale, dans les régions transfrontières et zones de tension.

La diplomatie du cricket n’est pas nouvelle, et jusqu’à maintenant on perçoit difficilement ses prolongements une fois l’événement sorti du feu des projecteurs. Rétrospectivement, cet événement n’aura de sens que s’il permet de construire des ponts durables entre les communautés.

Qui doit saisir cette opportunité ? Les responsables politiques, certes, mais également et surtout le mouvement sportif, qui, dans sa mission de diffusion du sport, est un acteur incontournable pour agir sur le terrain dans des actions de promotion et de construction de la paix. Les institutions et associations sportives disposent en effet de capacités opérationnelles permettant de prolonger la démarche politique.

Il faut se saisir du signal envoyé par les autorités politiques pour évaluer ce que le sport peut faire à l’échelle communautaire. Cela passe par une implication des puissants acteurs que sont les fédérations internationales qui, en s’associant à des relais locaux et en lien avec les institutions nationales des deux pays, peuvent envisager des programmes et actions en synergie.

Non, le sport ne va pas faire taire définitivement les tensions, mais, à son échelle, il peut aider au rapprochement des communautés rivales, dans la région transfrontalière du Cachemire en particulier.

La diplomatie sportive est un outil qui peut se révéler éphémère. À charge des acteurs du monde du sport de prendre également leurs responsabilités.