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  • Pascal Boniface

    Directeur de l’IRIS

L’attribution de la Coupe du monde à la Russie et au Qatar a suscité de nombreux commentaires négatifs essentiellement dans les pays occidentaux. Comment peut-on attribuer cet événement à des pays qui ne sont pas démocratiques ? Si le choix de la Russie trouve encore quelques grâces du fait de sa stature internationale, celui du Qatar concentre les critiques. On se demande comment un si petit pays (1,5 million d’habitants pour seulement 300 000 nationaux) peut abriter la compétition la plus mondialisée. Pourquoi attribuer l’épreuve phare du sport numéro 1 à un pays qui n’a pas de tradition footballistique ? Peut-on jouer une Coupe du monde dans un pays où il fait plus de 40 °C en été ? Est-il sérieux de prévoir des stades climatisés ? La Fifa n’a-t-elle pas cédé aux sirènes des pétrodollars et vendu son âme et celle du football pour l’appât du gain ? Ce choix n’est-il pas le triomphe de la corruption ?

 

La vérité c’est que seuls des pays riches peuvent organiser de telles compétitions. Aucun des pays les moins avancés (PMA) n’a jamais accueilli les JO ou la Coupe du monde, ils ne peuvent être attribués qu’à des pays qui ont de solides capacités financières. Il est curieux de voir que le soupçon sur l’argent, critère décisif, est plus prégnant quand un pays non-occidental l’emporte. Comme si la richesse était légitime dans certains cas et illégitime dans d’autres.

 

Le Qatar est un très petit pays. La fragmentation du monde est en cours, nous sommes passés d’un monde de cinquante pays lors de la création de l’ONU, à près de deux cents et de nouvelles sécessions sont en cours. La prolifération étatique est un danger plus grand pour la sécurité mondiale que celle des armes de destruction massive. Les sécessions sont facteurs de guerre et débouchent souvent sur la création d’Etats qui n’ont pas les moyens de leur souveraineté et qui constituent autant de zones grises. Mais, pour être réduit géographiquement et démographiquement, le Qatar ne relève en rien de cette catégorie, c’est un pays qui assume sa souveraineté. Avec Al-Jezira, il a un rayonnement qui dépasse largement son poids démographique.

 

Menacé par les appétits de l’Arabie Saoudite qui, partageant avec lui le wahhabisme, conserve des vues sur lui, il est confronté aux menaces récurrentes de l’Iran. Voilà pourquoi le Qatar a pour obsession d’être un point sur la carte. La diplomatie sportive lui permet de l’être à moindre frais, de façon plus efficiente que par la constitution d’une puissance militaire, qui ne sera jamais suffisante pour contrer les lourdes menaces qui pèsent sur lui. Le Qatar, pays faible sur le plan du hard power, mise sur le soft power pour assurer sa souveraineté. Le choix du sport comme élément de rayonnement est judicieux.

 

Quant à la Fifa, son but est l’extension la plus complète possible du sport qu’elle doit gérer : le football. Le Moyen-Orient, les pays arabes sont un champ d’expansion naturel. La différence est que l’empire du football, contrairement à d’autres, s’étend avec l’enthousiasme des peuples conquis. La Fifa aime être une puissance novatrice en géopolitique. Attribuer la Coupe du monde au Qatar est un signal fort d’intégration du monde arabe dans la mondialisation. C’est un moyen de lutter contre la théorie du choc des civilisations. De façon ironique, la Coupe du monde va aller du plus grand pays du monde (la Russie en 2018) à un petit pays (le Qatar en 2022) puis au pays le plus peuplé du monde (probablement la Chine en 2026).

 

Que le Qatar soit réduit géographiquement ne l’empêche pas de pouvoir accueillir des dizaines de milliers de spectateurs. C’est l’effet même de la globalisation. Il est proche de l’Asie et de l’Europe, qui fournissent le contingent le plus important de supporteurs susceptibles de se déplacer. La télévision crée de surcroît un stade mondial où il y a de la place pour tout le monde et la position géographique du Qatar est plus avantageuse que, par exemple, celle de la très grande Australie : l’heure de retransmission des matchs garantit une audience maximale.

 

Quant à l’hypothèse de décaler la compétition en hiver, au moment où les températures sont plus clémentes, certains y voient la preuve qu’il faut aller jusqu’à modifier le calendrier pour réparer un choix irrationnel. Or, en Europe, la question est également posée, dans l’autre sens, puisque les fédérations européennes s’interrogent depuis quelque temps sur le fait de jouer en hiver. Il est plus agréable de venir au stade en chemisette en juillet-août que lourdement emmitouflé en décembre-janvier, avec le risque de voir des matchs annulés pour des questions climatiques. Si le président de la Fifa, Sepp Blatter, a évoqué l’idée de jouer la Coupe du monde en janvier, c’est aussi pour permettre aux fédérations européennes de modifier leurs propres calendriers.

 

Les pays occidentaux ont perdu le monopole de la puissance. Cette révolution géostratégique concerne aussi les compétitions sportives mondialisées. Une grande partie des réactions négatives au choix du Qatar vient d’une difficulté, pour une grande partie des élites occidentales, à saisir les conséquences réelles de la mondialisation.