La Chine s’est progressivement imposée comme un acteur majeur au Moyen-Orient, avec de multiples accords sur les échanges énergétiques, des forums de coopération, des investissements en progression et une présence politique de plus en plus nette. Même Israël, longtemps ignoré par Pékin, s’est considérablement rapproché de l’Empire du Milieu. Cette présence est cependant diffuse et essentiellement articulée autour d’accords bilatéraux, et la formulation d’une véritable politique chinoise au Moyen-Orient reste à définir.
Les effets des révolutions arabes pour la Chine sont doubles. D’un côté, Pékin a pris actes des changements politiques avec prudence, craignant un effet de contagion. D’un autre côté, les dirigeants chinois sont conscients de l’opportunité de nouveaux accords sur les échanges énergétiques et d’une affirmation politico-stratégique au Moyen-Orient.
Pékin a pris au sérieux les risques de contagion démocratique, au point d’étouffer toutes les tentatives de contestation. Consécutivement au mouvement dans le monde arabe, plusieurs manifestations furent organisées en Chine pour réclamer des réformes démocratiques, en faisant usage des réseaux sociaux sur Internet, et s’inspirant ainsi directement du printemps arabe. Plusieurs jours de suite, les grandes villes chinoises furent le théâtre de manifestations, réprimées par les forces de l’ordre. Les autorités chinoises se sont également tournées vers les médias occidentaux, critiquant leur couverture du sujet, contenant l’accès à certains sites « sensibles », et exigeant qu’ils se plient aux règles chinoises. De telles critiques eurent pour effet d’internationaliser les troubles et de discréditer les manifestants aux yeux de la population chinoise en dénonçant une manipulation des puissances occidentales.
Le Premier ministre Wen Jiabao choisit de son côté de chercher à rassurer sur les objectifs de la croissance chinoise et sur la volonté de Pékin d’améliorer les conditions de vie de la population, notant ainsi que « notre développement économique a pour objectif de répondre aux besoins croissants de la population sur le plan matériel et culturel et de rendre leur vie toujours meilleure », et que « nous avons suivi de près les turbulences dans certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, maîs il n’y a pas d’analogie entre la Chine et ces pays. »
La gestion des possibles conséquences du printemps arabe sur le régime chinois a naturellement imposé une réserve dans la manière dont les changements en Tunisie puis en Égypte ont eté commentés en Chine.
L’accent fut ainsi mis sur les risques de chaos plus que sur la transition démocratique elle-même. Cette méfiance face aux conséquences des révolutions démocratiques s’est doublée, dans le cas de la Libye, d’inquiétudes concernant l’ingérence des puissances occidentales, critiquée par Pékin, qui s’abstint par ailleurs de voter la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’Onu, bien que n’utilisant pas son droit de veto. Malgré son refus de soutenir officiellement la campagne militaire libyenne, la Chine ne souhaite cependant pas rester trop en retrait, et a exceptionnellement choisi d’envoyer dans la zone des forces armées, comme pour mieux marquer sa présence, avec officiellement pour mission d’évacuer les ressortissants chinois présents en territoire libyen, et officieusement de ne pas laisser aux puissances occidentales le champ totalement libre. L’idée de se positionner comme une puissance responsable fut même évoquée à plusieurs reprises, répondant en écho à cette volonté de projeter des forces en observation. Mais Pékin ne souhaite pas s’exposer, au risque de voir son image de puissance refusant toute ingérence politique être compromise auprès de ses partenaires, et choisit donc d’observer à distance.
Par opportunisme, la Chine cherche à profiter des changements politiques pour étendre son partenariat avec les pays exportateurs d’énergie. D’ici 2030, la Chine devra importer 75 % de l’énergie qu’elle consomme et les initiatives de Pékin au Moyen-Orient sont guidées par cet objectif. Afin de répondre à sa demande énergétique en hausse constante, la Chine s’est efforcée de bâtir au cours des dernières années de multiples partenariats.
On peut ainsi mentionner la coopération entre la compagnie chinoise Smopec et des firmes d’Arabie saoudite sur la construction de raffineries en Chine, permettant d’augmenter les importations en provenance de Riyad Forte de ces accords, la Chine est devenue en 2009 le premier importateur de pétrole saoudien, devant les Etats-Unis. Les membres du Conseil du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes unis, Oman, Qatar, Bahreïn) ont signé un accord en 2005 avec Pékin sur la mise en place d’une zone de libre-échange, s’appuyant essentiellement sur les exportations de matières énergétiques vers la Chine, et permettant à cette dernière de sécuriser ses approvisionnements.
Les relations avec le Yémen, qui dispose d’importantes réserves de gaz naturel, en plus d’une position stratégique qui ne laisse pas la Chine indifférente, sont excellentes. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, la Chine a massivement investi dans l’exploitation des ressources pétrolières irakiennes. L’Algérie intéresse aussi Pékin, avec des projets pharaoniques dans le développement des infrastructures. La relation que Pékin entretient avec Téhéran est enfin révélatrice de l’anticipation des besoins futurs de la Chine que sert un opportunisme réciproque. La quasi-absence des puissances occidentales en Iran a progressivement incité la Chine à se tourner vers ce pays avec lequel elle entretient des relations depuis 1971 pour en faire son principal partenaire économique, sur la base d’un échange entre importations d’hydrocarbures et exportation de biens de consommation. La Sinopec a ainsi signé en 2007 un important accord avec le gouvernement iranien pour l’exploitation des réserves de Yadavaran, dans le sud-ouest du pays.
Dans ce contexte, les changements politiques dans le monde arabe sont perçus à Pékin comme potentiellement déstabilisateurs, notamment si l’Arabie saoudite ou l’Iran venaient à être concernés. À l’inverse, tant qu’ils touchent essentiellement les alliés des puissances occidentales, les événements du printemps arabe peuvent permettre à la Chine de renforcer sa position et d’élargir ses partenariats.
Si Pékin a une position de plus en plus importante dans la région, ses implications politiques restent déséquilibrées, alternant des partenariats étroits et l’absence de dialogue stratégique. Cela s’explique par une volonté de ne pas trop s’impliquer. Mais la Chine ne pourra maintenir longtemps cette ambiguïté, et se verra dans l’obligation d’afficher une diplomatie plus active. Les changements politiques dans le monde arabe peuvent dès lors être perçus comme une opportunité lui permettant de renforcer sa position stratégique. La Chine souhaite désormais s’affirmer comme une puissance de premier plan. Plus que ses produits et même sa culture, c’est un véritable modèle de développement et de gouvernance qu’elle souhaite proposer aux pays du Moyen-Orient, qualifié de « consensus de Pékin ». Le sommet sino-arabe du 14 mai 2010 à Tianjin est un indicateur de cette évolution. À la manière de ce que l’on observe en Afrique, la Chine pourrait ainsi rapidement devenir le premier investisseur de la région, et par voie de conséquence un acteur politique majeur.
Bien que maintenant une politique prudente et pragmatique, mise en évidence par son comportement au Conseil de sécurité de l’Onu depuis la guerre du Golfe de 1991, Pékin a multiplié ces derniers mois les initiatives diplomatiques en vue de se repositionner et d’établir des contacts étroits avec les nouvelles équipes dirigeantes. Le ministre chinois des Affaires étrangères, YangJiechi, a ainsi rencontre le 3 mai 2011 son homologue égyptien, Nabil el-Arabi, révélant les intentions de Pékin de ne pas perdre de temps dans l’établissement de nouvelles relations avec le Caire. Lors d’une rencontre avec l’envoyé spécial chinois au Moyen-Orient, Wu Sikai, en mars 2011, le vice-président syrien Farouq al-Shara a, de son côté, noté son souhait de renforcer les relations d’amitié et de coopération avec la Chine dans tous les domaines. À l’issue de cette rencontre, Wu a déclaré : « Peu importe les changements (…), la Chine va maintenir sa politique de renforcement des relations avec les États de la région, y compris la Syrie ».
La Chine est enfin amenée à jouer un rôle important dans le conflit israélo-palestinien, et bien que maintenant une position pro-palestinienne, évite de froisser l’État hébreu avec lequel elle entretient des relations qui n’ont fait que s’améliorer, et n’ont pas placé la Chine dans une position délicate à l’égard d’autres partenaires dans la région. Israël s’accommode de son côté des relations que Pékin entretient avec Téhéran. Les relations sino-israéliennes se caractérisent ainsi par une vision pragmatique et réaliste des relations internationales, et sont justifiées du côté israélien par la crainte de voir l’allié américain faire défaut. Là encore, nul doute que consécutivement aux changements politiques dans la région, l’hypothèse d’un partenariat stratégique entre les deux pays semble plus possible que jamais.
Le régime chinois se méfie des changements politico-stratégiques profonds que connaît le monde arabe et d’un processus de démocratisation aux lendemains incertains. Dans le même temps, la Chine sait que toute modification des rapports de force au Moyen Orient peut se faire à son avantage, à condition qu’elle se positionne rapidement et s’adapte aux nouvelles réalités politiques. Dans la durée, Pékin pourrait paradoxalement profiter d’un mouvement démocratique pourtant totalement incompatible avec la nature du régime chinois, faisant une nouvelle fois la démonstration du pragmatisme et de l’opportunisme de la politique étrangère de la Chine.