Pire catastrophe ferroviaire dans le monde depuis dix ans, un tel accident est-il surprenant en Inde ?
Oui, il l’est d’une certaine façon. Si l’on regarde les dix dernières années, il y a eu peu d’accidents en Inde – très peu d’accidents mortels –, alors qu’il y a eu dans le monde à peu près 900 morts dans des accidents ferroviaires pour la seule année 2021.
Pour la seule Europe, on a recensé une moyenne de 51 accidents par pays dont 237 pour l’Allemagne. Or, l’Allemagne c’est près de 80 millions d’habitants, donc vingt fois moins que l’Inde. Le précédent accident grave remonte en Inde à 2016 avec 152 morts.
Où en est l’état du transport ferroviaire en Inde, et notamment sa modernisation ?
C’est déjà une organisation impressionnante et extrêmement moderne, même si son maître mot, c’est la frugalité. Indian Railways (l’entreprise publique qui exploite le réseau ferroviaire indien) transporte la bagatelle de 8 à 10 milliards de passagers par an, donc plus que la population mondiale totale, sur un réseau qui est assez petit (68 000 kilomètres). En Chine, à titre de comparaison, le réseau fait 220 000 kilomètres. Le réseau indien est donc beaucoup plus dense, avec beaucoup de personnes transportées sur peu de lignes de chemins de fer, et un nombre très important de ponts (150 390).
C’est aussi un système extrêmement complexe qui est entièrement informatisé. Les Indiens sont des « geeks », c’est bien connu. India Railways s’est modernisée de façon remarquable dès les années 1990, avec par exemple un système de réservation des trains qui est, je crois, le plus simple et efficace du monde. Même avec un petit téléphone Nokia, on peut réserver ses billets. Le tout avec un coût par kilomètre transporté qui est le plus bas du monde, ce qui explique la popularité du transport ferroviaire en Inde.
Cela ne veut pas dire qu’une organisation aussi complexe et dense n’est pas confrontée à des problèmes d’accidents. Mais en l’occurrence, il ne s’agit pas d’un accident technique mais d’une erreur humaine : un train de marchandises bloqué n’a pas été répertorié à temps dans le système informatique, ce qui a produit cette collision.
Quelles peuvent être les répercussions après un tel accident, à court et moyen terme ?
Hélas, en Inde, je ne dirais pas que les morts n’ont pas d’importance mais, au sein de ce qui est devenu cette année la première population mondiale, le nombre de morts accidentelles est considérable chaque jour. Pendant l’épidémie de Covid, l’Inde aurait eu entre 4 et 5 millions de victimes, selon les estimations.
Ce que produit cet accident, en revanche, c’est une pression croissante sur le système ferroviaire pour se moderniser – ce qu’il est déjà en train de faire – mais aussi pour investir encore un peu plus dans la sécurité de tous.
Quels sont les atouts du réseau ferroviaire indien ?
Ce qui est intéressant, c’est la comparaison des performances globales du système ferroviaire indien avec les autres systèmes de transport dans le monde. D’abord le prix : on peut faire le Delhi-Bombay (1 433 km) pour 3,77 €. Et on dit souvent que l’avion est le moyen de transport le plus sûr. Eh bien ce n’est pas le cas pour l’Inde. Si on compare le taux de mortalité de l’aérien mondial (environ 160 morts dans le monde en 2022) et qu’on rapporte ce chiffre au nombre de passagers transportés, alors de façon surprenante, le taux de mortalité en Inde est dix fois inférieur.
Autre avantage, ce sont les émissions de CO2. Le fait de privilégier le transport ferroviaire découle d’un choix politique qui a été retenu dès l’indépendance de 1947. Sans doute en raison de ces images du Mahatma Gandhi qui faisait ses campagnes électorales sur des sièges en bois de troisième classe. Or un avion émet environ 150 g de CO2 par passager/km. Le train indien a aujourd’hui une émission moyenne de 15 g par passager/km, dix fois moins que l’avion. Imaginez si le milliard d’Indiens avait choisi le tout avion !
Propos recueillis par Maxime Birken pour Le Huffington Post.