• Interview de [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS, par André Fournon

Quatorze maisons d’édition ont refusé « Les intellectuels faussaires – Le triomphe médiatique des experts en mensonge », un brûlot signé Pascal Boniface finalement paru chez Gawsewitch Editeur, qui s’attaque aux institutions de la pensée française que sont Bernard-Henn Levy, Alexandre Adler ou Caroline Fourest. Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), y dénonce l’existence « d’un petit milieu qui s’auto-protège et vit dans la connivence » et se pose des questions « sur la liberté d’éditer et le vase clos qu’est le petit monde de l’édition ». Paru en mai, sans soutien des grands médias, ce livre a déjà trouvé 40 000 lecteurs venus jusqu’à lui grâce aux réseaux sociaux.

Quel événement a provoqué cette envie de vider votre sac ?

J’avais cette idée depuis la guerre d’Irak de 2003 quand certains experts se sont baladés partout pour dire qu’il y avait des armes nucléaires en Irak et qu’une guerre était nécessaire pour éviter un terrorisme nucléaire. On a su très rapidement que cet argument était faux, néanmoins, ils ont continué à circuler, toujours considérés comme des experts. Soit ils étaient incompétents, soit ils étaient malhonnêtes. L’un n’empêchait pas l’autre. Ceci m’avait profondément agacé.

Ne cherchez-vous pas à régler des comptes personnels ?

J’entends très bien cet argument, d’ailleurs, pendant longtemps, c’est ce qui m’a conduit à ne pas faire ce livre. Pour ne pas tomber sous le coup de cette accusation. En même temps, quelle est l’alternative au règlement de compte ? C’est la connivence, ne pas s’attaquer à des gens parce qu’on peut en avoir besoin, parce qu’on peut les croiser sur des plateaux de télévision. Cependant, pour démasquer les faussaires, il faut savoir de quoi on parle. Je me suis donc limite aux questions internationales, mon domaine de travail et, par définition, je m’attaque a des collègues.

Comment Bernard-Henri Levy, Caroline Fourest, Alexandre Adler que vous mettez en cause sont-ils parvenus à prendre un tel pouvoir médiatique ?

C’est ce phénomène qui m’a conduit à écrire ce livre, par irritation vis-à-vis de ce silence, vis-à-vis des mensonges proférés dans les livres et dans les émissions. Il y a parfois une complicité et un tout petit nombre d’éditorialistes, de journalistes vedettes, lorsqu’ils interviewent BHL, vont être plutôt dans la flagornerie. Parce qu’ils savent que BHL a une position politique, sociale et médiatique importante. Ils ne veulent pas avoir de problème. L’autre explication est liée au développement des médias audiovisuels qui ont recours à des experts extérieurs parce qu’il faut remplir les espaces. Enfin, la musique compte parfois plus que les paroles. Alexandre Adler, par exemple, fait de multiples erreurs et emploie souvent des arguments fallacieux, mais il présente bien et on dit qu’il est un bon conteur. On fait alors abstraction des erreurs et on privilégie la forme au fond.

Pourquoi les faussaires doivent-ils selon vous, détruire ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ?

C’est logique Dans la mesure où eux-mêmes savent qu’ils emploient des arguments fallacieux, ils n’ont aucune envie que le caractère mensonger de leurs arguments soit dévoilé. Leur fortune médiatique tient au fait qu’ils ne sont pas démasqués.

Pourquoi Caroline Fourest devient-elle sous votre plume une « sérial menteuse » ?

Caroline Fourest, c’est un peu la Manon Jones du paysage intellectuel. L’apparence est bonne, les performances sont excellentes, mais il y a quelque chose d’extrêmement frelaté. Emportée par la passion qu’elle met dans les combats qu’elle entend livrer, contre l’islamisme par exemple, elle utilise des arguments complètement mensongers.

Comment a-t-elle réagi ?

Sa réponse est venue confirmer ce que j’ai dit puisque ce que je lui reproche, c’est de mettre dans la bouche des gens des arguments qui seraient éventuellement condamnables mais qui ont pour seul problème de n’avoir jamais été tenus par ces personnes-là. En aucun cas, elle ne reprend argument par argument ce que je dis sur elle En revanche, elle déclare que si je l’attaque, c’est parce que je me suis toujours attaque à ceux qui défendent la cause des femmes, que j’ai toujours soutenu les dictatures alors qu’elle les combat, et que je suis pro-islamiste, certainement financé par les pays arabes. C’est très symptomatique.

Vous n’épargnez pas BHL, le « Ben Ali du monde médiatique ». L’avez-vous croisé depuis ou son avocat ?

BHL considère qu’il n’y a pas de gens à sa hauteur. Par conséquent, il n’est pas pour un débat contradictoire. Mais BHL n’attaque jamais frontalement, il ne dit pas ce qu’il fait. Lorsqu’il s’en prend à quelqu’un, ce sont des manœuvres discrètes. Je tiens cependant à préciser que je ne m’attaque pas aux gens avec lesquels je suis en désaccord. Je suis toujours prêt à accepter le débat. C’est ce qui fait le charme de la vie intellectuelle. Mon reproche, c’est lorsqu’on ment pour tromper le public alors que le rôle de l’intellectuel, c’est d’éclairer le public.

Qu’avez-vous pensé des interventions de BHL en Libye ?

Sur la Libye, quelles que soient ses motivations premières, il faut reconnaître qu’il a été l’un des plus actifs pour alerter l’opinion. Par la suite, heureusement que le président Sarkozy ne l’a pas écouté jusqu’au bout parce que BHL était prêt à envoyer l’armée française sans mandat onusien en Libye. Ce qui aurait été une catastrophe.

En quoi les faussaires facilitent-ils la montée de l’extrême droite ?

Ils critiquent le populisme mais derrière cela, ils critiquent le peuple. A partir du moment où les élites échouent et donnent le sentiment de vouloir se protéger mutuellement, le public qui n’est pas idiot se détourne en les mettant toutes dans le même sac et se tourne vers le populisme. II ne faut pas gober immédiatement toute information mais prendre du recul et exercer son sens critique qui est l’action citoyenne par excellence.