On parle souvent de vétusté, de surcharge dans les trains en Inde. Quel bilan dresseriez-vous, suite à cette catastrophe, du réseau ferroviaire indien ?

Je crois qu’on profite souvent d’un accident – vraiment malheureux pour les victimes – pour jeter le bébé avec l’eau du bain. La Indian Railways (le chemin de fer indien) est probablement la plus grande organisation ferroviaire au monde, même devant la Chine. La Chine a plus de voies, mais transporte quasiment le même nombre de passagers que l’Inde, qui est un pays beaucoup plus petit que la Chine. On a environ 70 000 kilomètres de voies qui servent à 8 milliards de passagers [par an, ndlr].

Et donc le choix qui a été fait après l’indépendance – et parce qu’on se rappelle tous du Mahatma Gandhi qui faisait ses campagnes en train et en troisième classe – c’est de renforcer, moderniser le système ferroviaire et finalement de continuer de le faire de façon extrêmement régulière.

De sorte qu’aujourd’hui, on a un système ferroviaire un peu étrange pour beaucoup d’Occidentaux. À la fois, il donne l’impression d’être vétuste, avec de vieux wagons, etc. Et de l’autre côté, ce qu’on ne voit pas, c’est qu’on a affaire à un système ferroviaire extrêmement organisé. C’est le premier employeur du pays, il y a 1,5 million d’employés, et, en réalité, plus de 15 millions de personnes en dépendent.

Ils ont été parmi les premiers à informatiser le système de réservation des trains, y compris avec des petits téléphones Nokia avec lesquels on peut facilement réserver ses places, de façon à désengorger la foule dans les gares.

L’engorgement du système est-il un problème ?

Et en ce qui concerne le trafic, l’équation est connue : d’un côté, l’Inde est le premier pays du monde par sa population, et de l’autre, on a un territoire relativement exigu, qui ne bouge pas, qui fait toujours la même superficie et sur lequel il faut faire passer cinq fois plus de trafic qu’au moment de l’indépendance. Vous avez ainsi une gestion très habile d’un système de pression et qui bénéficie de moyens financiers considérables. On entend souvent que l’Inde n’investit pas dans ses chemins de fer, en réalité le plan d’investissement qui a été retenu pour d’ici 2030, c’est 715 milliards de dollars qui sont investis dans les infrastructures ferroviaires, à la fois pour les passagers et les trains de marchandises.

Mais l’un des problèmes de l’Inde, c’est qu’elle a choisi de maintenir le transport ferroviaire pour les pondéreux, les grosses marchandises. Et donc il y a une sorte de télescopage qui se produit entre le trafic passager en forte augmentation et le trafic de marchandises. Et l’accident malheureux du 2 juin est précisément lié au fait que vous avez un train de marchandises – on est dans la région est de l’Inde, là où il y a toutes les mines de charbon, de fer, etc – qui était à l’arrêt, et il n’a pas été probablement repéré qu’il était à l’arrêt suffisamment rapidement par le système informatique.

Donc il y a des investissements, mais il y a aussi tout un ensemble de contraintes fortes. Et les chemins de fer indiens courent après cette pression, cette tension. On peut considérer que des trains à deux étages, voire à trois étages – on est en train de réfléchir dessus en Inde – seraient probablement la solution.

Une erreur de signalétique semble être à l’origine de l’accident du 2 juin, dans l’est de l’Inde. Faut-il une modernisation des voies ?

Les voies sont modernisées en permanence. Chaque fois qu’on voyage en train en Inde, on voit des travaux sur les voies. Le problème, c’est que l’Inde est un pays démocratique – tout le monde admire la Chine du point de vue ferroviaire, mais la déteste au plan politique, il faut trouver un bon équilibre. Le problème de l’élargissement des voies, c’est que celles-ci empiètent sur des terrains privés, notamment des zones agricoles. Et donc vous avez de très grandes difficultés, quand c’est décidé, de mettre en œuvre [le projet, ndlr]. Il y a des procédures qui s’étalent sur dix, quinze, voire vingt ans. Il n’y a pas de procédure expéditive pour faire ces travaux d’élargissement.

Il arrive un moment où, à force d’élargir – voyez les grands réseaux ferroviaires Nord-Sud, Est-Ouest -, il y a une rigidité, un frein pour l’augmentation du nombre de voies sur la même ligne.

 

Propos recueillis par RFI.