• Caroline Roussy

    Directrice de recherche à l’IRIS, responsable du Programme Afrique/s

Onze mille exilés arrivés d’Afrique et échoués sur les côtes italiennes de Lampedusa, en trois jours. Faut-il parler de crise migratoire et d’où viennent ces exilés ?

C’est la gestion de ces flux qui pose problème en France et en Italie pour des raisons politiques. D’où le terme de crise qui est employé. Mais selon moi, ce mot n’est pas approprié. Lampedusa et son exposition médiatique ne doivent pas éluder d’autres réalités, moins visibles. La population subsaharienne n’est pas la première à venir en France, il y a des Syriens, des Afghans. Et l’on oublie que les migrations intra-africaines et les déplacements de population en Afrique sont également nombreux. Il y a aussi des flux migratoires vers le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. À Lampedusa, c’est une immigration subsaharienne (Mali, Soudan) mais pas seulement. Il est difficile d’identifier clairement ces réfugiés car la plupart déchirent leur papier d’identité par crainte de devoir retourner dans leur pays d’origine.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin était à Rome, ce lundi 18 septembre, pour une coopération avec l’Italie et sa cheffe de gouvernement Giorgia Meloni. Que peut-on attendre de cette visite ?

Meloni a plutôt tendance à condamner la position de la France en Afrique Subsaharienne, jugée comme élément de déstabilisation dans cette région. Cette rencontre revêt surtout une valeur symbolique. En France comme en Ialie, les gouvernements sont tendus sur cette question migratoire. En France, nous sommes à l’aube d’une nouvelle loi sur l’immigration. Giorgia Meloni a été élue en promettant des blocus pour contrer les vagues migratoires venues de Libye ou de Tunisie. Et il y a les opinions publiques et le rejet des étrangers qui pèsent énormément sur les choix politiques pris par les chefs d’Etat. La France et l’Italie sont sur la même ligne de crête avec une position française très contestée en Afrique pour des raisons complexes liées, à la fois, à son passé colonial, sa présence militaire et la façon dont est perçu Emmanuel Macron.

L’Union européenne peut-elle, à elle seule, parvenir à contrôler ces flux migratoires et quelles peuvent être les réponses à apporter ?

Lampedusa focalise toutes les attentions car il s’agit d’un phénomène migratoire plus visible que les autres. Il y a pourtant des mouvements migratoires réguliers partout dans le monde. Peut-être que les chefs d’Etat africains devraient s’investir davantage dans le problème de ses propres populations contraintes à l’exil pour des raisons de discriminations ethniques, sociales ou religieuses. Il devrait y avoir une cogestion, entre Union européenne et autorités africaines sur ce dossier. La question migratoire n’est pas nouvelle. Cela fait deux à trois décennies que les gouvernements successifs calent. Et malheureusement, en 2015, la mort d’un enfant kurde voulant fuir la Syrie et dont le cadavre a été retrouvé sur une plage turque, suscitant une émotion planétaire, n’a rien changé. Quand il n’y a pas de solutions apportées on peut considérer que cette situation est un échec.

Une nouvelle législation pourrait-elle faire évoluer les choses ?

Il peut y avoir plusieurs options. Les gouvernements peuvent agir sur le dispositif de surveillance Frontex. Renforcer les immobilisations des candidats à l’exil pour protéger leurs frontières. Mais humainement, ces possibilités sont complexes. Car il y a beaucoup d’exilés fragiles et vulnérables. Certains mettent des années entières avant de rejoindre l’Europe. Il y a aussi le sort des femmes et les violences qu’elles peuvent subir dans ces parcours migratoires. Il faut aussi se soucier du rôle des passeurs. S’il y a autant de réfugiés à Lampedusa, en seulement quelques jours, c’est que ce commerce illégal est aussi en train d’exploser.

 

Propos recueillis par Frédéric Abela pour La Dépèche.