Pour quelles raisons l’Allemagne veut assouplir ses conditions d’obtention de la nationalité ?
Politiquement, la réforme, qui doit être débattue à l’automne au Bundestag, n’est pas une surprise. Angela Merkel en parlait déjà et « le nouveau gouvernement en a fait une priorité, qui figure dans le contrat de coalition », rappelle notre spécialiste. L’une des motivations de l’assouplissement des conditions de nationalité est économique. Le pays le plus peuplé du Vieux continent et première économie européenne, souffre d’un manque criant de main-d’œuvre. « C’est pourquoi nous avons besoin d’immigration. Besoin que près de 400.000 personnes viennent dans notre pays », a indiqué Nancy Faeser, comme le relève Challenges.
« L’Allemagne fait face à un problème de vieillissement de sa population, le taux de natalité est très faible. Aujourd’hui, le solde migratoire positif est d’environ 240.000 personnes. Selon les projections statistiques, il faudrait qu’il passe à 310.000 personnes par an en 2060 pour maintenir la population actuelle », rappelle notre expert.
D’autant que les acteurs économiques tirent la langue. « Dans le secteur de l’industrie mécanique, 47 % des entreprises affirment devoir limiter leurs activités par manque de main-d’œuvre. Dans l’industrie automobile, le chiffre est de 35 %, ça porte atteinte à la compétitivité. Aujourd’hui, la population en âge de travailler représente environ 49 millions de personnes. Si le solde migratoire reste stable, ce chiffre passera à 39 millions en 2060 », précise Jacques-Pierre Goujeon.
Quel type d’immigration les Allemands veulent-ils attirer ?
Avant le texte, la condition de résidence en Allemagne avant de demander la nationalité était de huit ans. Si le projet est approuvé, la limite sera abaissée à cinq ans. En cas d’intégration particulièrement réussie (maîtrise parfaite de la langue, intégration professionnelle, bénévolat…), il sera possible de faire tomber cette condition de résidence à seulement trois ans.
« C’est une immigration choisie. Par exemple, l’Allemagne veut se renforcer au niveau scientifique dans certains domaines (informatique, mathématiques). Pour ça, elle se tourne notamment vers les ingénieurs indiens. Les Indiens représentaient moins de 2 % de l’immigration en 2010, c’est monté à 7 % en 2022 », décortique notre spécialiste.
Repérer et attirer des talents, c’est le but affiché par le gouvernement allemand. « Typiquement, il [le texte] s’adresse à un professeur spécialiste de l’intelligence artificielle, à qui les Etats-Unis donneraient immédiatement une carte verte », a précisé Nancy Faeser.
Autre point saillant de la mesure : l’assouplissement des conditions pour obtenir la double nationalité. Une nouvelle qui concerne notamment l’imposante communauté turque (3,5 millions, dont la moitié est naturalisée) en Allemagne. Jusqu’ici, seuls les ressortissants de l’UE ou de la Suisse pouvaient bénéficier de la double nationalité, les Turcs vivant en Allemagne étaient contraints de faire un choix.
« C’était une grande absurdité, même de la discrimination quand on y pense, considère Mehmet, un commerçant sur un marché de Berlin interrogé par Arte. Pourquoi nous les Turcs devons choisir entre deux nationalités alors que d’autres y ont droit, ça n’aurait jamais dû être autorisé. »
Cette politique est-elle en rupture avec la politique française actuelle ?
Durcir le ton sur l’immigration illégale, mais aussi favoriser la régularisation des travailleurs immigrés dans les métiers demandeurs de main-d’œuvre, tout en réformant le droit d’asile pour faciliter les expulsions. L’exécutif français s’apprête à remettre sur le métier son projet de loi immigration à la rentrée. Ce changement de cap allemand alors que la France se crispe sur l’immigration ne doit pas être forcément vu comme une opposition frontale. D’autant que l’Allemagne assume s’être inspirée du voisin français « dont la culture de l’accueil est un exemple ».
« C’est aussi une question d’image. L’Allemagne veut se montrer comme un pays accueillant et veut être considéré comme un pays d’immigration. Le pays se sent aussi moins lié par l’histoire par rapport à certaines populations immigrées », commente notre expert. Mais, avec une opinion pas franchement favorable à une immigration massive et marquée par l’accueil des migrants syriens, et surtout une extrême droite forte, le sujet risque d’être âprement débattu dans les prochaines semaines.
Propos recueillis par Octave Odola pour 20 minutes.