En septembre 2016, dans un article du magazine « The Atlantic », Salena Zito écrivait avec pertinence que les partisans de Donald Trump le prenaient « au sérieux mais pas à la lettre » et que la presse américaine le prenait « à la lettre mais pas au sérieux ». Par ses politiques, sa rhétorique et sa manière de gouverner, Trump a montré que le fond rejoignait la forme. Dans sa campagne actuelle, la question se pose à nouveau de la cohérence entre les mots qu’il choisit d’employer et le projet de société qu’il entend concrétiser s’il vient à être élu de nouveau. Cette cohérence fait sens. Prenons deux exemples, tirés de ses déclarations récentes.
Trump prétend ainsi que les pays d’Amérique du Sud vident « délibérément » leurs hôpitaux psychiatriques pour que leurs patients grossissent le flux de migrants vers les Etats-Unis. Ils sont, dit-il, comme Hannibal Lecter, le serial killer et cannibale du « Silence des agneaux ». Il affirme également que les immigrés « empoisonnent le sang de notre pays ». En disant que « notre » pays ne sera jamais le « leur », il fait mine d’oublier que les Etats-Unis sont en grande partie une nation d’immigrés, dont le grand-père paternel ainsi que la mère de Trump faisaient du reste partie.
Ce champ lexical de la maladie infectieuse ou virale associée aux étrangers, aux minorités ethniques, raciales ou religieuses est, dans les pays occidentaux, typique de l’extrême droite : la métaphore consiste à dire qu’ils polluent les corps humains comme celui des nations, par les maladies respiratoires aujourd’hui (Covid, tuberculose, selon Trump) comme hier le sida (associé aux Africains par les théories racistes des années 1980) ou encore la syphilis (disséminée par les juifs, selon l’imaginaire antisémite de la fin du XIXe siècle).
Un plan ciblant l’immigration
Ce langage trumpien ne doit rien au hasard. Le précédent de 2017-2021 n’aura été qu’un galop d’essai pour un plan à plus grande échelle ciblant l’immigration, y compris légale, que le « New York Times » a récemment détaillé. En effet, Trump entend remettre en place les mesures prises pendant la Covid contre les demandes d’asile, réinstaurer le « muslim ban », rendre possibles des expulsions express de délinquants supposés sans procédure judiciaire, expulser massivement des sans-papiers (plusieurs millions chaque année) vivant et travaillant aux Etats-Unis, y compris dans des secteurs économiques ne pouvant se passer de cette main-d’œuvre comme l’agriculture, le care ou encore la tech, et ce, après les avoir parqués dans des camps.
Le visa des étudiants étrangers ayant manifesté pour les droits des Palestiniens ces dernières semaines serait annulé et les réfugiés politiques seraient renvoyés dans leur pays d’origine (Afghans arrivés aux Etats-Unis depuis le retour au pouvoir des talibans, etc.). Trump dit également vouloir revenir sur une disposition majeure du droit du sol, selon laquelle tout enfant né aux Etats-Unis est américain, même si les parents sont étrangers.
Tout ceci demandera beaucoup de moyens humains. Pour ce faire, l’ancien président souhaite confier davantage de responsabilités à la police, réaffecter à ces missions des agents fédéraux et les polices locales dans les Etats fédérés dirigés par les républicains, et utiliser une partie des budgets de l’armée au besoin (comme il l’avait entrepris pour la construction du mur à la frontière mexicaine).
Ses adversaires comparés à de la « vermine »
Son ancien conseiller d’extrême droite à la Maison-Blanche, Stephen Miller, est une fois de plus l’artisan de cette obsession anti-immigrés. Il qualifie ce projet de « blitz » (ou « attaque éclair ») : ce terme guerrier signifie que les nouvelles mesures, mises en place par une équipe mieux préparée qu’en 2016, contourneront autant que possible la voie législative et « épuiseront », toujours selon Miller, l’administration, les juges et les avocats. Les prérogatives du président seront sollicitées (et très probablement outrepassées) au point de menacer la digue du droit de céder. Une annonce limpide d’un passage en force du pouvoir fédéral.
Après avoir brandi la même menace contre des adversaires politiques, mais aussi des hommes et femmes de loi, ou d’anciens collaborateurs et collaboratrices – Trump dresse des listes d’individus qu’il entend attaquer en justice parce qu’il estime qu’ils et elles l’auraient « trahi », comme le rappelle le « Washington Post » –, c’est l’ensemble de ses opposantes et opposants que Trump cherche à déshumaniser en les qualifiant de « vermine ». Un vocabulaire dont plusieurs chercheuses et chercheurs ont relevé qu’il était propre aux dictateurs comme Hitler et Mussolini ou encore Lénine à propos des non-bolcheviks.
Ce nouvel appel à la violence à peine masqué – il s’agit de détruire l’adversaire, puisqu’il s’apparente à un insecte nuisible – viserait à régénérer le corps social, comme s’il était un corps humain malade. L’hygiène politique, pour ne pas dire la purge. Trump le fera-t-il ? En tout état de cause, il le dit et le répète. C’est son projet. Et les mots ont un sens. Le masque du showman ne dissimule plus la tentation dictatoriale d’un homme mû par la revanche.