La pression est moins forte que dans la période post 11 septembre. Mais cela reste difficile : beaucoup de gens critiquent la participation de partis d’extrême droite dans certains gouvernements européens, mais personne ne critique celle de partis d’extrême droite en Israël.
Sur le papier, il est permis de critiquer Israël. Mais les conséquences sont là. Vous prenez des risques personnels et professionnels importants, car vous pouvez être critiqué et catalogué d’antisémite. Des gens qui ne veulent pas subir le même opprobre s’écartent de vous, par peur de travailler, de s’afficher à vos côtés. Sur le thème d’ « Il n’y a pas de fumée sans feu » ou « Je ne veux pas traîner cette mauvaise réputation ». C’est moins fort que cela ne l’a été. Mais il y a des conséquences pratiques, un peu comme à l’époque du communisme : la liberté religieuse et syndicale était reconnue, mais quand on voulait l’exercer, c’était un peu plus compliqué.
Je pourrais multiplier les exemples de responsables politiques ou de confrères qui m’ont dit : « Je pense exactement la même chose que toi, mais jamais je ne pourrais le dire en public. C’est la majorité : des gens qui disent « Je ne veux pas avoir de problèmes ; ce sont des sujets très sensibles, il n’y a que des coups à prendre, je préfère donc ne pas les aborder, etc ».
C’est un peu tout ça effectivement. D’une part, il y a chez chacun une forte dose de culpabilité. Lorsqu’on n’est pas antisémite et qu’on est accusé de l’être, la première réaction est de se dire « Qu’est ce que j’ai fait de mal », et non pas « C’est n’importe quoi ». Il y a deux accusations dont on a du mal à se relever, c’est l’antisémitisme et la pédophilie. Ce sont des accusations dans lesquelles ce n’est pas celui qui accuse qui doit prouver sa culpabilité, mais c’est celui qui est accusé qui doit prouver son innocence.
Pourquoi cette différence ? Bien sûr à cause de l’histoire. La Shoah a laissé une dose de culpabilité immense dans les consciences collectives, une très forte dose de culpabilité chez les intellectuels et les politiques. Par ailleurs, plus les amis d’Israël sont en difficulté, plus ils auront tendance à activer ce vecteur d’accusation d’antisémitisme quand ils sont critiqués. Lorsqu’Israël est populaire, ce n’est pas vraiment la peine d’aller sur ce terrain.
Et, c’est évidemment l’importation du conflit du Proche-Orient dans la mesure où souvent ceux qui disent qu’il ne faut pas importer ce conflit s’activent à faire taire ceux qui n’en ont pas la même lecture. Or on peut dire que le conflit israélo-palestinien est l’un des conflits dans lesquels on n’applique pas les règles universelles que l’on veut appliquer par ailleurs. Si l’on compare le traitement du Kosovo et de la Palestine, on ne réagit pas de la même façon.
Ca c’est sur le papier. Mais très souvent il y a une assimilation entre antisémitisme, antisionisme et critique politique du gouvernement israélien. Des personnes admettent en effet la critique du gouvernement israélien, mais mettent une barrière entre la politique du gouvernement et l’antisionisme. Mais d’une part antisémitisme et antisionisme ne sont pas la même chose. D’ailleurs, il y a beaucoup de juifs qui sont antisionistes et qui estiment que les juifs n’ont pas à avoir leur Etat. Mais cette position de principe qui fait la distinction entre antisionisme (la remise en cause de l’Etat d’Israël) et antisémitisme (la haine du peuple juif) et la critique politique d’un gouvernement) n’est pas respectée par tous. Et certains vont très facilement dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Ils aboutissent à dire que la critique du gouvernement israélien cache mal une haine profonde des juifs. Avec la main droite, ils vont dire qu’il ne faut pas faire l’amalgame. Et de la main gauche, ils traiteront d’antisémites ceux qui critiquent la politique de Netanyahou.
Je ne crois pas. Non, ce qui peut influencer le citoyen lambda est de dire qu’il existe des tabous, que critiquer la politique d’Israël contrairement à la politique de tout autre Etat revient à être taxé d’antisémite. Ceci crée une colère un peu sourde. Les gens se disent dès lors : « Je ne veux pas d’emm… donc je me tais ». Mais je n’en pense pas moins. C’est le chantage à l’antisémitisme qui nourrit ce type de rancœur. Si le débat ne peut pas avoir lieu normalement, il a lieu de façon beaucoup plus sournoise. Et la volonté du gouvernement israélien de faire taire toute critique mène des gens souvent à ne pas s’exprimer publiquement si ce sont des personnages publics, mais à n’en penser pas moins.
Il suffit d’avoir un peu de courage. Je comprends parfaitement que les juifs soient inquiets et que l’antisémitisme doit être combattu. Que ceux qui veulent critiquer la politique d’Israël doivent bien faire attention à ne pas tomber dans l’antisémitisme et il faut bien reconnaître que cela arrive. Il faut être intraitable avec cela et ne pas accepter que la critique d’un gouvernement dégénère en racisme pur et simple. Il faut aussi établir le contact pour faire comprendre aux juifs qui ont cette crainte qu’ils peuvent être rassurés. Il faut établir un dialogue, dialoguer de façon ouverte sur le Proche-Orient, le communautarisme et sans tabous, en condamnant le racisme mais en défendant la liberté de débat.