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La visite d’État du président chinois à Washington doit-elle être perçue comme le signe d’une meilleure coopération entre la Chine et les États-Unis, ou masque-t-elle au contraire la réalité d’une compétition de plus en plus vive?

Rarement la visite d’un chef d’État aux États-Unis a divisé à ce point les observateurs, et au sein même de l’administration Obama, on hésite à définir la Chine comme un partenaire indispensable, ou au contraire comme un rival naturel. Et jamais, depuis la visite historique de Deng Xiaoping aux États-Unis en 1979, la présence d’un président chinois à Washington n’a été tant préparée, témoignant de l’importance que les dirigeants américains accordent désormais à Pékin.

Les préparatifs furent d’autant plus justifiés que le rapport de force semble désormais déséquilibré.

Côté américain, les élections de mi-mandat ont considérablement affaibli Barack Obama, qui aborde la deuxième partie de son mandat avec la nécessité de retrouver un crédit auprès des électeurs américains. Une bonne gestion des dossiers de politique étrangère, discipline dans laquelle il s’est montré habile depuis son arrivée à la Maison-Blanche, est à cet égard une occasion de se relancer.

Côté chinois, Hu Jintao s’apprête à transmettre le pouvoir à une nouvelle génération de dirigeants dans des conditions idéales. La crise économique internationale n’a pas affecté la Chine autant qu’on pouvait le craindre, et l’empire du Milieu, désormais la deuxième puissance économique mondiale devant le rival historique japonais, a déjà les États-Unis dans sa ligne de mire. Tous les analystes s’accordent sur le fait que la Chine sera la première puissance économique mondiale d’ici deux décennies. De quoi mettre le président chinois en position de force dans les rivalités économiques et commerciales, d’autant que la balance commerciale entre les deux pays est plus à l’avantage de Pékin que jamais.

Reste que les deux pays sont quasi interdépendants économiquement (même si la Chine diversifie de plus en plus ses partenaires), et que les rencontres de Washington seront placées sous le signe de la coopération dans le domaine commercial. La Chine a besoin des États-Unis, et les États-Unis ne peuvent se passer de la Chine et de ses immenses réserves en bons du Trésor américain.

Des tensions palpables

Cependant, et malgré l’importance des échanges commerciaux, force est de reconnaître que c’est à peu près la seule chose sur laquelle les dirigeants des deux premières économies de la planète peuvent s’entendre. Les récentes déclarations du président chinois sur le système monétaire international, dont il appelle à la réforme en profondeur et qu’il qualifie de «produit du passé», sont révélatrices des offensives décomplexées de la Chine par rapport au dollar et des tensions entre les deux pays. Car devant ces attaques de Pékin, le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, continue d’appeler à une réévaluation du yuan, les efforts chinois étant jugés insuffisants.

En bref, et Hu Jintao l’a annoncé lui-même, les deux pays peuvent être partenaires, mais cela n’exclut pas les désaccords.

En matière de politique, les tensions n’en sont pas moins palpables. Dans un discours au Département d’État en marge de la visite du président chinois, Hillary Clinton a une nouvelle fois invité la Chine à des réformes politiques qu’elle qualifie d’indispensables pour une puissance du XXIe siècle. Et Barack Obama, qui avait déjà reçu le dalaï-lama, s’est entretenu avec des dissidents chinois dans le Bureau ovale.

À cette divergence de fond viennent s’ajouter des problèmes de coordination sur des questions épineuses, que ce soit le nucléaire nord-coréen et iranien, ou la lutte contre le réchauffement climatique. Obama attend de son homologue une plus grande coopération, mais il serait naïf de croire à des concessions de la part d’un pays chaque jour de plus en plus sûr de sa place sur la scène internationale.

Nouvelle guerre froide?

Dans le domaine stratégique, la récente visite de Robert Gates en Chine, placée elle aussi sous le signe de la coopération, masque difficilement l’ampleur de la rivalité. Malgré des discours très optimistes à Pékin, le secrétaire à la Défense a, à peine rentré à Washington, fait état des inquiétudes sur la modernisation des forces armées chinoises, dans laquelle de nombreux experts du Pentagone voient une menace pour la suprématie militaire américaine en Asie-Pacifique. Si la concurrence est déjà forte, elle sera bientôt critique.

Certains observateurs voient dans cette rivalité les signes d’une nouvelle guerre froide. Mais toute comparaison avec la confrontation entre Washington et Moscou est excessive. D’une part, l’Union soviétique n’avait pas la puissance économique de la Chine d’aujourd’hui et ne menaçait pas la suprématie américaine dans ce domaine. D’autre part, les relais de puissance de Moscou étaient limités aux luttes idéologiques, tandis que le modèle chinois semble chaque jour s’exporter un peu plus aux quatre coins du globe.

Enfin, la différence fondamentale tient au fait que Washington a compris que la Chine sera prochainement un acteur de premier plan, tandis que les dirigeants chinois voient dans les États-Unis une puissance irrémédiablement engagée dans la voie du déclin.

En d’autres termes, la Chine est un rival nettement plus coriace, et derrière le nécessaire dialogue avec Washington, la compétition est impitoyable et porte sur tous les fronts.