Le président du comité militaire de l’Otan Rob Bauer avertit qu’il faut se préparer à l’éventualité d’une guerre entre l’Alliance atlantique et la Russie dans les 20 prochaines années. Quel est le but de l’Otan avec ces annonces ?

C’est de la communication ! Il ne faut pas oublier que les pays de l’Otan sont la base arrière de l’Ukraine. On peut même dire que nous sommes en guerre par procuration contre la Russie. Aujourd’hui, la situation est dangereuse, pourtant l’opinion publique n’en est pas vraiment consciente. Elle ne voit pas la guerre et se sent en temps de paix. L’Otan tente ainsi de l’alerter face à un conflit qui dure.

Quels sont les risques d’une guerre qui s’inscrit dans le temps ?

Il va falloir qu’on fasse des efforts sur les livraisons d’armes en Ukraine. Jusqu’à maintenant, nous avons surtout livré nos stocks. Là, nous allons devoir produire. Et tout ça va avoir un coût qu’il faudra, bien entendu, payer. En clair, on va nous demander de l’argent. Récemment, Thierry Breton a lancé l’idée d’un emprunt européen à hauteur de 100 milliards d’euros. Nous sommes dans une situation qui ressemble à celle vécue lors de la crise sanitaire où il a fallu payer la relance. Et tout cet effort financier supplémentaire il faut le justifier, d’où les déclarations de Rob Bauer sur un risque de troisième guerre mondiale. C’est sans doute un peu fort, mais ça reste un moyen pour sensibiliser l’opinion publique.

Il est évident que nous sommes dans des scénarios de remontée en puissance. La planification de défense de l’Otan (le NDPP) est en train d’être refaite et des contributions de plus en plus importantes vont être demandées aux États membres. Quant à la mobilisation de la population, il y a, effectivement, des réflexions sur la résilience des sociétés. Et c’est d’autant plus vrai quand on se rapproche de la ligne de front comme c’est le cas en Suède ou dans les pays baltes. Là-bas, on commence à préparer la population civile à être en conflit contre la Russie. Dans certains pays européens, on parle même du rétablissement du service national. L’objectif est que, si la situation dégénère, il ne faut pas se retrouver en incapacité de réagir.

 

C’est ce que nous sommes en train de vivre avec les livraisons d’armes en Ukraine…

Exactement. Les capacités de production des industries de défense et notamment de munitions n’ont pas été capables de suivre la cadence car elles étaient prévues pour le temps de paix. La réflexion qui est donc conduite actuellement sur l’industrie doit être menée sur tout le dispositif de défense. Si jamais il y a un début de conflit, il faut être prêt à pouvoir « switcher » (« changer de niveau d’action »). Or aujourd’hui, la plupart des pays ne le sont pas.

Ce qui explique le lancement cette semaine par l’Otan du plus vaste exercice militaire organisé depuis la fin de la Guerre froide ?

Là nous sommes dans le militaire proprement dit, pas dans la résilience. Ce sont des manœuvres de très grande dimension qui sont adaptées à une crise majeure contre la Russie. C’est un entraînement pour savoir s’ils seront prêts le jour où… Mais il ne faut pas oublier que c’étaient des exercices très fréquents dans les années 70.

Récemment, le ministre allemand de la Défense s’est montré très alarmiste en évoquant un conflit dans les 4 à 5 prochaines années.

Il y a une réflexion qui agite aujourd’hui l’Allemagne, mais pas seulement. Certains pays européens se disent que le conflit pourrait bientôt s’arrêter, que la Russie en profiterait pour reconstituer ses capacités de défense et industrielles et qu’il va falloir se préparer à un conflit majeur en 2028. Sans oublier que si Donald Trump revient au pouvoir, il y a un risque très fort que les Européens se retrouvent seuls en première ligne. À ce moment, ce qui était encore considéré comme non crédible va rapidement prendre de l’importance, c’est-à-dire la question de la dissuasion nucléaire française.

 

Un tel scénario est-il réellement plausible ?

Il faut se préparer à une telle éventualité, mais ça ne veut pas dire que ça va arriver. Ça correspond à un scénario où on se retrouverait avec un gel de la ligne de front, et sans accord de paix. Ceci rendra impossible la maîtrise du désarmement ou l’établissement d’un accord de sécurité en Europe. Conséquence, il faut se préparer au conflit suivant. Mais ça ne veut pas dire, encore une fois, qu’il aura lieu. C’est ce qu’on a vécu pendant la Guerre froide.

 

Quels seraient les signes annonciateurs d’un conflit qui se généraliserait ?

Je ne pense pas que le conflit se déclenche avec une attaque majeure car il faudrait quand même que Vladimir Poutine s’attaque directement à l’Otan. Mais il pourrait se dire qu’il y aurait une fenêtre de tir, si jamais il n’y a pas de garantie de sécurité américaine. Dans ce cas, il tentera de déstabiliser les pays du Nord et les pays baltes, soit avec des politiques de migration forcée, soit en prenant appuie sur les minorités pour menacer d’intervenir. Ça prendra au début la forme d’une guerre hybride.

 

Pas de guerre totale alors ?

Pas au départ, mais au point d’arrivée on peut se retrouver avec une arme nucléaire sur Paris. C’est vraiment une situation dangereuse. Le risque d’un engrenage qu’on ne contrôle pas est réel, on ne peut pas l’écarter. Il faut s’y préparer !

 

C’est le retour de la Guerre froide ?

C’est certain que nous avons changé d’époque. Il y a quelque chose d’irréversible dans ce qui s’est passé avec la Russie. Politiquement, ça va être extrêmement difficile de revenir à une situation apaisée, à une architecture de sécurité paneuropéenne avant plusieurs années.

 

Propos recueillis par Faouzi Asmoun pour La Dépêche du Midi.