Avec ces frappes, est-ce un nouveau front qui s’ouvre dans le conflit au Proche-Orient ?
Il y a eu des bombardements pour la première fois, et des objectifs très précis ont visiblement été touchés. Néanmoins, d’un strict point de vue militaire, les cibles sont nombreuses car assez minuscules. Si cela prouve que les Américains sont bien renseignés, il ne faut pas survaloriser les capacités militaires des Houthis. Ceci étant, les rebelles ont probablement été touchés, leurs infrastructures militaires étant relativement rudimentaires. Militairement, il y a un effet, mais à relativiser. Il n’y pas encore de modification des rapports de force. Il faut prendre ça avec un peu de recul.
En revanche, le fait que pour la première fois, le coup de semonce soit plus important que les quelques échanges ou interceptions qui ont eu lieu depuis plusieurs semaines en mer Rouge, est important. Ce n’est pas seulement symbolique. On observe la volonté des États-Unis et des Britanniques de taper du poing sur la table pour dire « stop ». Est-ce que cela sera suivi d’effets ? Je n’en suis pas totalement certain. Les Houthis font de la politique comme les autres, même s’ils vont devoir prendre en compte cet avertissement.
Cette intervention militaire est-elle un message envoyé à ce fameux « axe de la résistance » promu par l’Iran ?
Cet « axe » est, selon moi, à manier avec précaution. Certes, il existe, et d’ailleurs les Houthis s’en revendique formellement. Le problème, c’est que je ne suis pas persuadé que l’Iran – qui, bien sûr, regarde ce qui se passe – soit le « deus ex machina » qui manipule et décide qui fait quoi, qu’il s’agisse des milices en Irak, en Syrie, du Hezbollah, des Houthis…
Je pense que tous ces groupes, qui ont évidemment des liens avec Téhéran, ont aussi leurs agendas politiques nationaux. Pour revenir aux Houthis, bien sûr, ils présentent depuis décembre leurs opérations en disant qu’ils font partie de l’axe de la résistance, que leurs opérations sont en soutien au Hamas. En même temps, nous savons qu’il y a des négociations pour aboutir à une paix au Yémen entre les Houthis et l’Arabie Saoudite qui, pour l’instant, ne donnent pas beaucoup de résultats. Certes, il y a quasiment un gel des opérations militaires saoudiennes actuellement au Yémen. Mais les discussions piétinent.
Dans ce contexte régional très volatil, les Houthis ont pu se dire « on va profiter de la situation pour se rappeler au bon souvenir des Saoudiens », et accélérer le processus de négociation. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect des choses, qui est cependant très dangereux. Car nous ne sommes pas à l’abri d’un dérapage dans la région qui pourrait avoir des conséquences dramatiques.
Existe-t-il y a un risque d’escalade ?
Certes, même si l’hypothèse la plus probable est qu’il n’y en ait pas. Indépendamment même de la volonté des acteurs, la situation est totalement volatile. Il suffit de peu de choses pour que cela dérape. Les attaques houthistes pouvaient justement être cet élément de dérapage. Je pense que les Américains, qui n’ont pas du tout intérêt à une escalade, ont voulu frapper fort comme ils l’ont fait cette nuit. Le message est clair.
Au-delà de l’aspect militaire et géopolitique, les Occidentaux ont aussi un intérêt économique à sécuriser la mer Rouge.
Cette région est totalement essentielle pour le commerce international pour les Européens, pour beaucoup de monde. C’est pour cela que les Houthis font selon moi de la politique, au-delà de leur attachement à la cause palestinienne, comme dans tous les pays arabes. Ils jouent leurs intérêts propres et savent bien que d’un point de vue géopolitique, ils détiennent un moyen de pression extraordinairement important.
Propos recueillis par Thomas Guien pour TF1info.