La réunion du conseil de sécurité des Nations Unies cet après-midi, à la demande de l’Algérie, peut-elle faire peser une pression supplémentaire sur Israël ?

Une réunion du Conseil de sécurité en urgence et à huis clos pour discuter de la situation à Rafah après la frappe meurtrière ayant provoqué un incendie à des tentes occupées par des Palestiniens dans un camp de réfugiés et fait de nombreux morts – en la circonstance à la demande de l’Algérie – n’est jamais quelque chose d’anodin, même si ce n’est pas nécessairement déterminant. Le Conseil de sécurité s’est déjà réuni plusieurs fois sur la question de la guerre à Gaza, l’essentiel est de savoir quels sont les attendus d’une telle demande de réunion. Si l’objectif devait consister par la suite en une mise en accusation d’Israël après le bombardement meurtrier, cela donnerait sans doute lieu à un véto américain. Néanmoins, la démarche demeure significative pour évaluer le soutien américain. Le 25 mars 2024, les Etats-Unis n’avaient pas mis leur véto – et s’étaient simplement abstenus – concernant une résolution proposant un « cessez-le-feu immédiat ».

Comment peut-on expliquer qu’Israël ait touché des tentes d’habitants déplacés tuant ainsi plusieurs dizaines de civils alors que l’objectif était de tuer deux membres du Hamas ?

Tsahal se retrouve en quelque sorte piégé par la stratégie du Hamas. Les cibles avaient été, semble-t-il, préalablement identifiées – il s’agirait de Racine Rabia et de Khaled Nagar, deux responsables importants du Hamas opérant notamment en Cisjordanie -, mais dans la mesure où les activistes du Hamas se dissimulent dans la population civile, cela présente immanquablement le risque de ce que l’on qualifie pudiquement de « dommages collatéraux ». La frappe effectuée n’avait pas évidemment pour but de tuer des civils, mais la stratégie du Hamas pousse Israël à se retrouver dans ce type de situation ingérable en termes d’image.

N’est-ce pas étonnant de voir Israël poursuivre cette stratégie au risque de perdre la confiance de leurs alliés, en particulier des Etats-Unis ?

En réalité, il y a eu un changement partiel de stratégie sur le plan opérationnel dans le sud de l’enclave. Il ne s’agit plus véritablement comme au début de l’opération terrestre fin 2023, notamment dans le nord de l’enclave, de procéder de manière massive. Pour éviter de s’exposer encore davantage aux critiques accrues de la « communauté internationale », l’armée israélienne s’efforce de mener des opérations ciblées, avec une multiplication des frappes tactiques. Ce changement d’approche opérationnel fait suite à une demande expresse des Etats-Unis qui avaient averti qu’ils ne soutiendraient pas une opération terrestre massive à Rafah et qu’ils exigeaient la prise en compte de la protection des populations civiles. Il demeure que la tragédie qui vient de se produire n’est malheureusement pas forcément une surprise dès lors que l’objectif militaire déclaré d’Israël demeure d’éliminer la structure politico-militaire du Hamas et que, dans cette mesure la stratégie assumée de ce dernier consiste à se fondre dans les populations civiles, les opérations militaires font courir un risque majeur à ces populations civiles.

Comment est vécue la situation en Israël et quelles sont les contre-propositions de l’opposition ?

Il y a des débats très intenses au sein du cabinet de guerre. L’objectif de l’élimination du Hamas fait l’unanimité. Mais les divergences se font sur les modalités opérationnelles mises en œuvre et plus encore sur la problématique du « Jour d’après ». Le ministre du cabinet de guerre, Benny Gantz, par ailleurs opposant déclaré au Premier ministre Benyamin Netanyahou, lui a posé un ultimatum le 19 mai avec l’échéance du 8 juin prochain pour que le Premier ministre fasse connaître ses intentions politiques relatives au « Jour d‘après » quant à l’administration de l’enclave. Plus encore, le propre ministre de la Défense de ce dernier, en l’occurrence Yoav Gallant, a rendu public quelques jours auparavant, le 15 mai précédent, le fait qu’il s’opposait vigoureusement à la mise en place d’une administration civile de l’enclave par Israël et que cela impliquait donc de réfléchir sérieusement à cet horizon du « Jour d’après » dès lors que le principe d’un retour de l’Autorité palestinienne pour se substituer au Hamas dans la prise en charge de l’administration de l’enclave n’était pas validé par le Premier ministre. Concernant les opposants politiques de Benyamin Netanyahou, la tenue d’élections anticipées apparaît comme une nécessité à plus ou moins brève échéance, avant même la fin du conflit pour Yaïr Lapid, chef du parti Yesh Atid (« Il y a un futur » en hébreu), lequel ne fait pas partie du Cabinet de guerre, ou au moins à l’automne pour Benny Gantz, chef du parti Hosen L’Yisrael (« La résilience d’Israël » en hébreu) noyau dur de l’alliance politique dite « Parti de l’unité nationale ».

Récemment, la procureure de la CPI a demandé l’émission d’un mandat d’arrêt contre Netanyahou, la CIJ a quant à elle demandé à Israël de cesser l’offensive en cours sur Rafah, ces éléments peuvent-ils forcer Israël à renoncer à ces opérations en cours ?

Il est certain que ces éléments continuent d’isoler Israël au sein de la « communauté internationale ». Le soutien le plus important demeure celui des Etats-Unis, lesquels n’ont pas ratifié le Statut de Rome du 17 juillet 1988 créant la CPI entrée en vigueur le 1er juillet 2002. Les Etats-Unis vont certainement continuer à soutenir Israël autant qu’il leur est possible même si la situation devient de plus en plus inconfortable.

Est-ce que la reconnaissance de l’État de la Palestine peut accélérer un changement de la position des Etats européens dans leur soutien à Israël ?

C’est une décision importante de la part de la Norvège, l’Irlande et l’Espagne de reconnaître la Palestine. On note une forme d’évolution de la position des États européens depuis les conséquences induites par la réponse militaire d’Israël au massacre du Hamas perpétré le 7 octobre 2023. A l’image de la France, beaucoup cherchent une position d’équilibre. Dans la continuité de la reconnaissance de la Palestine devenue effective le 28 mai 2024, le ministre des Affaires étrangères irlandais a confié que les ministres européens des affaires étrangères avaient évoqué concrètement la possibilité de sanctions contre Israël. Le discours général se durcit incontestablement. Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne, est particulièrement sévère, mais il y a peu de chances pour que les Etats s’accordent à l’unanimité sur des sanctions contre Israël.

La situation humanitaire, et le risque de famine évoqué par les Nations Unies et plusieurs ONG, peut-elle encore s’aggraver ?

Paradoxalement, la situation humanitaire s’est, de manière très relative, quelque peu améliorée et apparaît un peu moins dramatique qu’il y a une quinzaine de jours où on se trouvait face à un risque de famine généralisée. Le port artificiel américain installé au large de Gaza qui est devenu opérationnel le 15 mai participe de cette amélioration avec la possibilité d’un acheminement accru de l’aide humanitaire, même si c’est loin d’être suffisant. Cette structure est en mesure d’éviter une situation de famine, mais la meilleure option demeure le rétablissement du transit terrestre par camions et cela est largement conditionné par la nature des opérations militaires en cours.

Propos recueillis par Henri Clavier pour Public Sénat.