Malgré des tractations qui durent encore, la trêve n’a pas pu être prolongée. Pourquoi ?
Ces négociations se font sous le sceau de la discrétion, on ne peut donc pas tout savoir, mais les responsabilités sont partagées. Du côté israélien, on peut imaginer une forte pression de la part des ministres d’extrême droite au pouvoir pour que ces tractations cessent, parce qu’ils ne supportent pas l’idée de négocier avec le Hamas et de dépendre d’eux pour la libération des otages. Si les services de renseignement israélien et l’armée sont plutôt enclins à continuer de négocier, il y a un rapport de force politique arbitré par Benyamin Netanyahou [Premier ministre israélien, NDLR]. Il est sous la pression des extrémistes de son cabinet de guerre et de son gouvernement, et il ne veut pas perdre la face. Dans la situation actuelle, c’est la prime aux plus radicaux.
Du côté du Hamas, on peut aussi imaginer des tensions internes et qu’une partie considérait comme insuffisant le nombre de prisonniers palestiniens libérés. Il y a des sensibilités qui ne sont pas favorables à des discussions avec les Israéliens, alors même que chacun s’accorde à considérer que le mouvement était le maître du temps sur ces négociations. L’attentat jeudi matin à Jérusalem [qui a fait trois morts, NDLR], revendiqué par le Hamas, est la preuve qu’une partie n’était pas favorable à une poursuite des pourparlers.
De part et d’autre, il y a des responsables qui ne sont pas disposés à faire beaucoup de concessions mais qui souhaitent quand même continuer à discuter, et cela semble bien être encore le cas sous l’égide du Qatar notamment. Et il y a aussi dans les deux camps des jusqu’au-boutistes qui ne veulent pas baisser les armes et aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quoi ? C’est la vraie question.
Dans la nuit, Israël a accusé le Hamas d’avoir « violé l’accord » de trêve en tirant des roquettes, conduisant à une reprise des frappes israéliennes sur Gaza. Comment analysez-vous cette annonce ?
C’est typique de la guerre de communication, classique en période de conflit. Qui a ouvert le feu le premier ? Je n’en sais rien. Et la difficulté de l’affaire est que les informations proviennent des protagonistes, qu’on n’a pas de raisons de croire. Les journalistes n’ont pas le droit de pénétrer à Gaza, on a donc très peu de sources indépendantes.
Une hypothèse cependant sur ces roquettes. Dans la bande de Gaza, il y a le Hamas, mais aussi le Jihad islamique qui, traditionnellement, est sur une position encore plus radicale, totalement hostile à toute forme de compromis. On peut supposer que des gens qui ne sont pas directement rattachés au Hamas aient pu lancer des roquettes. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’ils les ont tirés les premiers.
La pression de la communauté internationale avait été très forte pour qu’Israël signe l’accord de trêve. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné cette fois-ci ?
Les Etats-Unis ont un rôle de pression qui a montré son efficacité avec la signature de la trêve la semaine dernière. Cette fois-ci, même la présence d’Antony Blinken [chef de la diplomatie américain, NDLR] n’a pas été suffisante pour obtenir sa prolongation. Pourquoi ? Car même si les Etats-Unis continuent de s’afficher comme des soutiens inconditionnels d’Israël, leurs positions se sont modifiés.
Devant l’horreur de l’intensité des bombardements israéliens et leurs conséquences, les Etats-Unis, comme d’autres pays dont la France, ont commencé à émettre des critiques et à demander aux dirigeants israéliens de calmer le jeu. Or, le cabinet de guerre israélien se refuse à accepter quelque pression que ce soit. Ces pressions et critiques américaines depuis plusieurs semaines ont eu l’effet inverse que celui espéré, à savoir un renforcement de ceux qui sont déjà hostiles à toute forme de compromis avec le Hamas.
Dans cette situation de forte tension, les Etats-Unis n’arrivent plus à peser sur leurs homologues israéliens et c’est très problématique parce qu’il y a un risque de fuite en avant. Même si je pense qu’il y aura une nouvelle trêve, on a une situation très volatile et un raidissement des positions israéliennes.
Propos recueillis par Richard Godin pour L’Obs