En se rendant dans le Pacifique Sud et au Sri Lanka du 24 au 29 juillet 2023, Emmanuel Macron a mis en avant une approche française renouvelée pour la région.
Cinq ans après son précédent voyage et l’annonce d’une stratégie indo-Pacifique ambitionnant d’incarner une troisième voie, s’agit-il d’un aggiornamento géopolitique pour solder les comptes de l’AUKUS, cet accord de coopération militaire signé en 2021 entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis au grand dam de Paris ?
L’insularité, nouveau levier d’influence ?
Après Nouméa, Emmanuel Macron s’est rendu au Vanuatu, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Sri Lanka : ce fut la première visite d’un président français dans les États insulaires proches des territoires français, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie ou de la Réunion. De son côté, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a effectué une visite remarquée aux Fidji. La dénonciation de « nouveaux impérialismes », la défense des « souverainetés », l’urgence climatique ont dominé les prises de parole.
Le périple présidentiel a accordé la première place à la Nouvelle-Calédonie, à la mesure des enjeux que représente le territoire pour appuyer la qualité d’État résident que la France met en avant pour revendiquer son identité indo-pacifique. Plus significativement, ces visites dans l’arc mélanésien voulaient rendre compte de son intégration dans une aire culturelle et politique spécifique grâce à la Nouvelle-Calédonie. Cette dernière, qui dispose d’un statut différencié, pourrait d’ailleurs, à terme, voir la mise en place d’un fédéralisme insulaire augurant de nouvelles relations avec la France. L’espace océanien offre de multiples exemples d’associations entre autonomie et fédéralisme.
Si Emmanuel Macron a fait amende honorable au Vanuatu, ancien condominium franco-britannique, en reconnaissant le passé colonial de la France, il reste pour lui délicat d’exploiter le registre de « l’indépendance des peuples ». Non seulement les relations avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, désormais dirigées par des forces indépendantistes, restent complexes, mais le colonialisme constitue un souvenir vivace dans la région. À l’instar du Vanuatu, les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée n’ont obtenu leur indépendance qu’à la fin des années 1970.
Engagés pour la sécurité environnementale
La visite d’Emmanuel Macron intervient alors qu’il est devenu difficile pour la France de continuer à promouvoir une approche indo-pacifique à dominante stratégique. L’espace international est devenu plus contrasté. Les affiliations et les loyautés se recomposent à la lueur de clivages révélés par la guerre en Ukraine et le durcissement de la rivalité Chine-États-Unis.
Le « réengagement » de la France dans la région se fait à l’échelle de sa géographie insulaire et d’un agenda reflétant les mêmes vulnérabilités que ses voisins îliens. La France choisit ainsi le positionnement d’un « acteur engagé » aux côtés des premiers ministres vanuatuan Ishmael Kalsakau et papouasien James Marape, pour coopérer plus efficacement contre le réchauffement climatique, les catastrophes climatiques et défendre la biodiversité. Les pays océaniens ont été les premiers à ratifier l’accord de Paris sur le climat en 2015 et restent très mobilisés. Le président Macron entend défendre avec eux l’idée de contrats reposant sur des rémunérations contre services environnementaux. Une initiative dont la Papouasie-Nouvelle-Guinée devrait bénéficier en premier pour la défense de ses forêts primaires.
Cette diplomatie climatique innovante met quelque peu entre parenthèses le narratif indo-pacifique national jusqu’ici construit sur la thématique de la « France-puissance », au demeurant largement questionné. Celui-ci s’accorde mal avec la réalité de sa présence et les limites de ses moyens économiques et militaires face à des pays comme la Chine,ou les États-Unis.
La France a su démontrer par des déploiements ponctuels de bâtiments de guerre et d’avions de combat Rafale qu’elle était capable de projeter rapidement des capacités militaires en Indo-Pacifique. Les 13 milliards d’euros alloués par la loi de programmation militaire aux Outre-mer serviront avant tout à moderniser les équipements existants, incluant quatre patrouilleurs pour l’Océanie, et à augmenter les effectifs. Ceci permettra à la base militaire de Nouméa de renforcer son rôle d’assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle, d’aide à la surveillance maritime et à la formation régionales.
Prévenir l’érosion de la présence française dans une Océanie très convoitée
La tournée présidentielle devra cependant être suivie d’actions transformatives et entretenue par d’autres visites de haut niveau. À l’heure où la France a vu la mobilisation intense des réseaux sociaux et des médias locaux miner sa position en Afrique, elle peut craindre qu’un scénario similaire se mette en place dans le Pacifique Sud. Ériger Nouméa en pôle de sécurité environnementale et maritime, et redéployer l’Agence française de développement dans la région cherche à prévenir toute « surprise stratégique ».
Alors que les pays occidentaux ont longtemps exercé une grande influence en Océanie, la Chine a fait de réels progrès. Pékin a courtisé assidûment les élites politiques, investi dans des infrastructures indispensables au Vanuatu, aux Fidji, Tonga et en Papouasie-Nouvelle- Guinée, et est devenu un acteur économique significatif. Toutefois, sa stratégie a acquis une dimension sécuritaire qui inquiète.
En juillet dernier, Pékin a accueilli le premier ministre salomonais pour une visite d’État, poursuivant le développement des relations avec cet archipel stratégiquement important. Pékin a en effet signé un accord de coopération avec les Salomon en avril 2022, autorisant des escales techniques de ses bateaux et l’envoi potentiel de forces de police chinoises.
Le nouvel activisme diplomatico-militaire américain dans les îles du Pacifique est une autre réalité avec laquelle la France doit composer. En 2022, les États-Unis ont lancé l’initiative « Partners in the Blue Pacific » afin de renforcer la résilience climatique des États insulaires et les aider à protéger leurs vastes espaces maritimes. Récemment, ils ont signé un accord de défense avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ouvert de nouvelles ambassades aux Îles Salomon et à Tonga, renouvelé les accords de libre association avec les États Fédérés de Micronésie et Palau.
Rester mobilisé aux côtés des États insulaires
Les dirigeants du Pacifique ont une opinion mitigée de l’attention renouvelée et relativement récente qu’ils suscitent. D’une part, ils s’en réjouissent car ils peuvent l’utiliser à leur avantage. D’autre part, ils craignent que l’intensification de la concurrence géopolitique nuise à la cohérence régionale et à leur « Pacific Way ». Ils ne considèrent pas les relations avec les États-Unis et la Chine comme un choix binaire, et ils veulent éviter de devenir les pièces d’un échiquier dominé par des puissances plus importantes.
La France doit tenir compte de ces éléments. Il est tentant pour Emmanuel Macron de dénoncer comme il l’a fait les « ingérences » et les « nouveaux impérialismes ». Mais il lui faut démontrer qu’il apprécie les partenariats avec les États insulaires pour leurs valeurs propres et l’action diplomatique qu’ils peuvent conduire ensemble sur le climat, la biodiversité, l’exploitation des fonds marins et non uniquement dans une logique de concurrence géopolitique avec les États-Unis ou la Chine. La COP 28 prévue à Dubaï en décembre prochain constituera un test des capacités de mobilisation de la France aux côtés de ses nouveaux alliés.
Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.