Alors que des dizaines de milliers de personnes ont manifesté lundi au Caire pour réclamer le départ du président égyptien Hosni Moubarak, ce dernier a procédé à un mini remaniement gouvernemental. Mais la contestation s’organise et doit se poursuivre dans la rue mardi. Didier Billion, spécialiste du Maghreb et directeur des publications de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) analyse la situation. Entretien
Comme dans tout processus révolutionnaire, c’est un peu compliqué à suivre. L’échéance de demain est en cela tout à fait déterminante. Dans l’hypothèse où des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue, les « mini » remaniements proposés ne suffiront plus. Se posera alors la question d’ « une transition en bon ordre » pour reprendre les propos d’Hillary Clinton. Dans cette hypothèse, les jours de Moubarak sont comptés. Mais ça ne signifie pas qu’il prendra pour autant la fuite comme Ben Ali en Tunisie. Il s’agit ici de ménager une transition sans vacance du pouvoir. L’Egypte est un chaudron qui commence à bouillonner et un pays de plus de 80 millions d’habitants.
C’est donc un mouvement qui se cherche mais qui tend à se doter d’une direction politique. Une partie de l’opposition et (ou) le mouvement d’opposition sont, non pas en train de se fédérer comme j’ai pu l’entendre ici là, mais s’organisent et se retrouvent sur le plus petit dénominateur commun qui est « dehors Moubarak ».
Enfin, un dernier élément à considérer est que l’armée n’hésitera pas à se séparer de Moubarak si elle considère qu’il n’est plus en situation d’exercer le pouvoir.
Hosni Moubarak est un peu en situation d’apesanteur. Il nous a expliqué qu’il désignait un vice-président, chose extraordinaire puisqu’en 30 ans ça n’était pas arrivé. Il nous a aussi expliqué qu’il y aurait plus de justice sociale. Mais il est trop tard pour cela.
Les Etats-Unis ont compris que l’Egypte n’était plus dans la même séquence politique et qu’il faut tout faire pour éviter cette vacance du pouvoir. Si demain cette manifestation est un énorme succès, l’armée égyptienne et les Etats-Unis vont mesurer cela.
La Tunisie, c’était se donner bonne conscience démocratique à bon compte. Obama a lâché Ben Ali très tôt. Il avait d’ailleurs très probablement pris des contacts avec l’état-major tunisien. Mais il n’y a pas d’enjeux géostratégiques en Tunisie. La situation est radicalement différente en Egypte qui reste une sorte de référent dans le monde arabe. Géostratégiquement, l’Egypte est un pivot au niveau du conflit israélo-palestinien et le canal de Suez. Les Etats-Unis ne peuvent avoir une position aussi radicale que sur la Tunisie. L’administration Obama essaie de se caler en fonction des évolutions sur le terrain. Les Etats-Unis sont la seule puissance extérieure qui ne veut pas être un commentateur.
Les Européens eux, sont des commentateurs. Je n’ai pas vu d’opposition très lisible sur des appels à la démocratie. Il y a eu un communiqué plus précis de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Mais c’est encore une position de principe. Ces trois pays, seuls ou unis ne sont pas en situation de peser pour des raisons liées à l’histoire récente.
Les Frères musulmans sont la seule force d’opposition structurée. Mais ils ne font pas la pluie et le beau temps en Egypte. Ils ont été très prudents et n’ont pas appelé aux manifestations au début. Ils ont subtilement pris le train en marche. Que cela plaise ou pas aux Etats-Unis, dans l’hypothèse où des élections libres et démocratiques seraient organisées, il est fort probable qu’ils feront un excellent score.
C’est une société déjà très islamisée. S’ils faisaient un excellent score, l’emprise serait encore plus forte. Ça ne veut pas dire qu’ils imposeraient la charia au peuple égyptien. Ne les prenons pas uniquement pour des obscurantistes. Mais il n’y aurait probablement pas de modifications très différentes dans la vie quotidienne. La très grande différence est le fait que Moubarak ne sera plus là. Les rapports politiques seront différents. Qu’il puisse y avoir des élections libres et démocratiques sera une grande différence. Les Egyptiens se sentiront représentés par ceux qu’ils ont élus. Or aujourd’hui, outre leur niveau de vie, les Egyptiens ne se sentent pas représentés.