Trois chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) réputés « non hostiles » vont tenter ce mardi de convaincre Laurent Gbagbo d’abandonner le pouvoir. Ce dernier se retrouve sous la menace d’une intervention militaire africaine. Philippe Hugon, auteur de « Géopolitique de l’Afrique » et chef de projet à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), décrypte la nouvelle donne.
Ce n’est pas la première fois que la Cedeao brandit la menace des armes pour régler un conflit dans lequel un de ses membres est impliqué. Créée en 1975 pour constituer un marché économique intrarégional entre ses quinze pays membres, l’organisation s’est dotée en 1990 d’une force militaire, l’Ecomog.
A l’origine, il s’agissait de mettre un terme à la guerre civile qui déchirait le Liberia. C’est en grande partie grâce à la Cedeao que Charles Taylor a été chassé du pouvoir.
Depuis, l’Ecomog est intervenue en Sierra Leone et en Guinée-Bissau, où elle a fait preuve de moins d’efficacité. Cette situation pourrait se répéter en Côte d’Ivoire, car il s’agit d’une force militaire limitée, qui n’a pas à sa disposition de moyens économiques conséquents. Il est donc peu probable que cette menace d’intervention militaire soit mise à exécution, car l’Ecomog n’en a pas la réelle capacité.
C’est un risque tout à fait plausible. On ne voit pas très bien comment l’Ecomog interviendrait : en soutenant les Forces nouvelles de Guillaume Soro, Premier ministre du Président élu Alassane Outtara ? Cela entraînerait un affrontement extrêmement violent entre les différentes parties vu que les milices n’ont pas été désarmées.
Une seule intervention militaire pourrait être vraiment mise en œuvre : celle concernant les mercenaires libériens venus prêter main forte à Laurent Gbagbo. Le but serait de surveiller la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Liberia, de manière à en empêcher le franchissement.
Oui, il s’agit d’une organisation qui est assez indépendante. Laurent Gbagbo n’a pas convaincu en dénonçant un complot de la France et des Etats-Unis contre lui. Il est cependant vrai qu’en plus du financement apporté par ses pays membres, la Cedeao reçoit une aide financière de la part de différents bailleurs de fonds, parmi lesquels l’Union européenne.
Mais cela n’a pas forcément d’influence sur la position pro-Ouattara que les quinze pays africains ont adoptée. Même si le Nigéria est le poids lourd de la Cedeao et qu’il est proche des Etats-Unis, et que la France a une influence économique sur le groupe, l’organisation prend ses décisions seule.
La Cedeao est une émanation de l’Union africaine, qui la contrôle. Ce n’est pas parce que les puissances étrangères la financent qu’elle calque ses positions sur celles de la communauté internationale. Prenons l’exemple du Soudan : l’Union africaine a apporté son soutien au Président Omar El-Bechir, malgré le mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale.
Le 28 décembre, trois chefs d’Etat de la Cedeao vont rencontrer Laurent Gabgbo : Boni Yayi, du Bénin, Ernest Bai Koroma de la Sierra Leone et Pedro Pires du Cap-Vert.
Ces chefs d’Etat, élus démocratiquement, auront toute la légitimité nécessaire pour parler avec Laurent Gbagbo. La Cedeao est une organisation qui est aux deux tiers démocratique : seuls quelques pays -le Burkina Faso, le Niger- n’ont pas à leur tête un Président qui est arrivé au pouvoir en toute légalité.
D’autres, comme le Ghana, le Mali, le Bénin, sont des exemples en matière de démocratie. L’argument selon lequel certains dirigeants de le Cedeao [Blaise Compaoré, élu avec plus de 80% des voix en novembre au Burkina Faso, pays membre de la Cedeao, ndlr] ne seraient pas légitimes pour contester son pouvoir ne tient donc pas.
Mais ces leaders ont avant tout été choisis car ils représentent les trois seuls pays de l’organisation qui ne sont pas ouvertement hostiles au Président déchu.
Cette rencontre est une opportunité présentée à Laurent Gbagbo pour se retirer : la diplomatie est l’une des cartes qu’il faut jouer, cela fait partie du mandat de l’Union africaine. Mais il n’y a aucune certitude que cela soit fructueux.